Boris Nemtsov et les sympathisants moscovites atterré par son assassinat à Moscou. Boris Nemtsov se promenait avec une jeune femme sur le Grand Pont de pierre, juste à côté du Kremlin, quand «vers 23h15, une voiture s'est approchée d'eux, quelqu'un a tiré des coups de feu, dont quatre l'ont touché dans le dos, causant sa mort». | Photos : AFP / AP / Keystone / 27avril.com
Boris Nemtsov et les sympathisants moscovites atterré par son assassinat à Moscou. Boris Nemtsov se promenait avec une jeune femme sur le Grand Pont de pierre, juste à côté du Kremlin, quand «vers 23h15, une voiture s’est approchée d’eux, quelqu’un a tiré des coups de feu, dont quatre l’ont touché dans le dos, causant sa mort». | Photos : AFP / AP / Keystone / 27avril.com

L’opposant russe et ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov a été tué par balles en plein centre de Moscou, devant le Kremlin, dans la nuit de vendredi à samedi, «un assassinat qui a tout d’une provocation», selon le président Vladimir Poutine.

Boris Nemtsov se promenait avec une jeune femme sur le Grand Pont de pierre, juste à côté du Kremlin, quand «vers 23h15, une voiture s’est approchée d’eux, quelqu’un a tiré des coups de feu, dont quatre l’ont touché dans le dos, causant sa mort», a déclaré une porte-parole du ministère russe de l’Intérieur, Elena Alexeeva, à la chaîne de télévision Rossia 24.

«Poutine a déclaré que cet assassinat brutal portait les marques d’un meurtre commandité et avait tout d’une provocation», a indiqué aussitôt son porte-parole, Dmitri Peskov.

Un responsable du Comité d’enquêtes, Vladimir Markine, a indiqué de son côté que «pas moins de six ou sept coups de feu ont été tirés sur Boris Nemtsov par un inconnu circulant en voiture».

«Devant moi, je vois le corps de Boris. Il y a beaucoup de policiers autour», a déclaré à l’agence Ria Novosti un proche de M. Nemtsov, l’opposant Ilia Iachine, arrivé rapidement sur les lieux.

Rossia 24 a montré des images du corps de Boris Nemtsov allongé par terre sur le pont. Des traces de sang étaient visibles, selon une journaliste de l’AFP sur place.

Plusieurs personnes ont été témoins de l’assassinat et la jeune femme qui accompagnait Boris Nemtsov a été interrogée par les enquêteurs, a précisé la police, citée par les agences russes.

Aussitôt la nouvelle connue, des Moscovites sont venus déposer des fleurs près de l’endroit ou l’opposant a été tué.

Assassinat minutieusement planifié

Les enquêteurs russes ont estimé samedi que l’assassinat Boris Nemtsov en plein centre de Moscou a été «minutieusement planifié.

«Il ne fait aucun doute que ce crime a été minutieusement planifié, tout comme le lieu choisi pour le meurtre», sur le Grand pont de pierre, juste à côté du Kremlin, a écrit le Comité d’enquête russe dans un communiqué.

«Selon toute vraisemblance, l’arme qui a été utilisée est un pistolet Makarov», une arme de poing en service dans les forces de police et l’armée russe et par conséquent très répandue, poursuit le communiqué.

Les enquêteurs ont ainsi retrouvé sur les lieux du meurtre six douilles de munition de calibre 9 mm, mais qui proviennent de différents fabricants, ce qui rend plus difficile de déterminer leur origine.

«Boris Nemtsov se rendait avec sa compagne à son appartement, qui est situé non loin du lieu des faits. Il est évident que les organisateurs et les auteurs de ce crime étaient informés de son trajet», a conclu le Comité, chargé de l’enquête.

Selon le communiqué, les témoins du meurtre ont déjà été interrogés par les enquêteurs.

Au-delà du crime politiquement motivé, les autorités étudient également la piste islamiste, Boris Nemtsov ayant reçu des menaces à la suite de son soutien au journal satirique français Charlie Hebdo après les attentats de Paris début janvier, selon le Comité d’enquête.

La piste d’un assassinat lié au conflit ukrainien est également envisagée, l’opposant ayant publiquement appelé les Russes à protester contre «l’agression russe en Ukraine».

«Tout le monde sait que parmi les parties prenantes au conflit se trouvent des individus très radicaux, qui ne répondent à aucune autorité», a déclaré le porte-parole du Comité, Vladimir Markine.

Les internautes russes sont pour leur part nombreux à citer une interview accordée début février par Boris Nemtsov au site internet Sobessedniki.ru, dans laquelle l’opposant avouait craindre pour sa vie à cause de ses prises de position contre Vladimir Poutine.

Réactions atterrées

Le président américain Barack Obama a condamné «le meurtre brutal» de Boris Nemtsov et appelé «le gouvernement russe à rapidement mener une enquête impartiale et transparente», tandis que le secrétaire d’État John Kerry s’est déclaré «choqué et attristé».

Le Conseil de l’Europe, par la voix de son secrétaire général Thorbjoern Jagland, s’est également déclaré choqué et l’ONG Human Rights Watch (HRW) a appelé les autorités russes à enquêter sur ce meurtre de «manière impartiale».

À Moscou, les réactions atterrées se sont multipliées.

«C’est une terrible tragédie pour tout le pays», a réagi aussitôt l’ancien ministre des Finances de Vladimir Poutine, Alexeï Koudrine.

L’un des compagnons de Boris Nemtsov dans l’opposition, l’ancien Premier ministre de Vladimir Poutine Mikhaïl Kassianov a estimé que cet assassinat était «le prix à payer pour le fait que Boris s’est battu pendant des années pour que la Russie devienne un pays libre et démocratique».

«Au XXIe siècle, en 2015, un chef de l’opposition a été tué sous les murs du Kremlin. Cela dépasse l’imagination», a-t-il déclaré aux journalistes présents sur les lieux.

Le président ukrainien Petro Porochenko a lui aussi réagi: «Il (Boris Nemtsov) était un pont entre l’Ukraine et la Russie, et ce pont a été détruit par les coups de feu d’un assassin. Je pense que ce n’est pas par hasard», a-t-il écrit sur Facebook.

Seule note discordante, un responsable du parti communiste russe, Ivan Melnikov, a estimé qu’il s’agissait d’une «provocation sanglante (…) destinée à relancer l’hystérie antirusse à l’étranger», dans une déclaration citée par Ria Novosti.

Boris Nemtsov devait participer dimanche à une manifestation de l’opposition dans un quartier excentré de Moscou. Un responsable de la manifestation, Leonid Volkov, a annoncé que celle-ci était annulée et remplacée par une marche à la mémoire de l’opposant assassiné.

Le testament politique de Nemtsov, trois heures avant sa mort

À l’antenne d’une radio moscovite trois heures à peine avant sa mort, l’ancien ministre Boris Nemtsov, virulent critique du Kremlin, appelait les auditeurs à manifester dans un discours enflammé sur l’Ukraine et le président Vladimir Poutine, signant là son testament politique.

Vendredi, pendant 45 minutes, la voix grave, le ton sérieux, l’opposant a présenté ses propositions pour «changer la Russie», n’hésitant pas à couper ses interlocuteurs, deux journalistes de la radio Ekho Moskvy qui tentent sans succès de le dérider.

Sans surprise, la marche anticrise qu’organisait Boris Nemtsov dimanche dans la banlieue moscovite et qui s’est transformée depuis sa mort en un appel à manifester dans le centre de Moscou, occupe une place de choix dans l’interview, qui ressemble parfois davantage à un monologue comme lui reproche l’une des journalistes.

«Cette marche demande l’arrêt immédiat de la guerre avec l’Ukraine, elle exige que (le président russe Vladimir) Poutine cesse son agression», rappelle Boris Nemtsov, qui livre ensuite sa position sur la grave crise économique que traverse la Russie.

«La cause de la crise, c’est l’agression (de l’Ukraine), qui a été suivie des sanctions, puis des fuites de capitaux, tout ça à cause de l’agression insensée contre l’Ukraine que mène Poutine», dénonce celui qui, comme Kiev et les Occidentaux, assure que Moscou a envoyé des troupes soutenir les séparatistes prorusses dans l’est du pays, ce que le Kremlin a toujours démenti.

Lorsqu’une journaliste évoque la Crimée, péninsule ukrainienne rattachée à la Russie en mars après un référendum, et assure que la population souhaitait rejoindre la Russie, l’opposant tranche d’un ton catégorique, résumant en deux mots toutes ses convictions: «La force de la loi».

«La population voulait vivre en Russie, j’en conviens. Mais la question est ailleurs: il ne faut pas faire selon ses volontés, mais selon la loi et il faut respecter la communauté internationale», soutient-il.

Mettre les hommes politiques corrompus devant les tribunaux, couper de moitié le budget militaire et augmenter celui de l’éducation… Les propositions se succèdent, mais Boris Nemtsov n’est pas dupe: «L’opposition n’a pas beaucoup d’influence sur les Russes actuellement», explique-t-il.

Pour y remédier, l’opposant plaide pour l’octroi d’une heure d’antenne par semaine sur l’une des principales chaînes de télévision russe. «Quand on concentre le pouvoir entre les mains d’une seule personne, cela ne peut mener qu’à la catastrophe. À une catastrophe absolue», avertit celui qui était l’un des rares à oser encore critiquer Vladimir Poutine.

Boris Nemtsov, ministre réformateur devenu opposant radical

Boris Nemtsov avait notamment été l’un des chefs de file de la vague de contestation sans précédent, qui avait marqué en 2011-2012 la campagne électorale de Vladimir Poutine, alors candidat pour un troisième mandat de président.

Plusieurs fois interpellé par les forces de l’ordre lors de manifestations, il avait aussi subi des perquisitions et été mis sur écoute, sans jamais cesser de dénoncer la corruption de ce qu’il appelait le «système oligarchique» du Kremlin.

Le teint toujours bronzé, les cheveux en brosse, l’air séducteur malgré de grands yeux noirs pochés de cernes, Boris Nemtsov, physicien de formation, avait commencé sa carrière peu avant l’effondrement de l’URSS, élu en 1990 au Soviet suprême, le parlement soviétique.

Génération des jeunes ministres

Après avoir été gouverneur de la région de Nijni-Novgorod, à 400 km à l’est de Moscou, il avait entamé une ascension fulgurante sous la présidence de Boris Eltsine, sous lequel il avait incarné la génération des jeunes ministres réformateurs de la Russie post-URSS.

De mars 1997 à août 1998, il avait obtenu le poste de vice-premier ministre chargé du secteur énergétique et des monopoles, secteur très convoité. Ce poste lui valait d’être régulièrement dénoncé par le Kremlin comme un homme politique lié aux oligarques ayant profité de la vague de privatisations des années 1990.

Boris Eltsine, dont il était très proche, avait envisagé un temps d’en faire son dauphin, avant de lui préférer le chef du FSB (ex-KGB) Vladimir Poutine.

Limogé en août 1998, Boris Nemtsov bascule dans l’opposition lorsque son rival devient président. Aux législatives de 1999, l’opposant est élu à la Douma (chambre basse du parlement) et rejoint le parti libéral SPS, dont il dirige une fraction qui se distingue par ses critiques virulentes envers Vladimir Poutine.

Son opposition au pouvoir se fait de plus en plus tranchante après les élections législatives de 2007, qu’il dénonce comme «les plus malhonnêtes de l’histoire de la Russie».

Associé à Kasparov

Un an plus tard, en 2008, après avoir échoué à se présenter à l’élection présidentielle comme candidat unique d’une opposition affaiblie par sa disparité, il décide de créer le mouvement Solidarnost, sous l’égide de l’opposant et ex-champion d’échecs Gary Kasparov.

Mais c’est surtout au côté d’Alexeï Navalny, un autre opposant des plus déterminés à Vladimir Poutine, que Boris Nemtsov s’affichera comme figure de proue des manifestations qui ont secoué Moscou pendant l’hiver 2011-2012.

Après la réélection de Vladimir Poutine au Kremlin en mai 2012, il a continué à dénoncer les dépenses jugées excessives du président et la corruption, notamment lors des jeux Olympiques d’hiver à Sotchi.

L’influence de ce vétéran de l’opposition, très présent sur les réseaux sociaux, semblait cependant diminuer au profit d’une nouvelle génération d’opposants incarnée par Alexeï Navalny, de 17 ans son benjamin.

C’est d’ailleurs avec lui qu’il avait appelé à la tenue dimanche d’un vaste rassemblement de l’opposition pour dénoncer la mauvaise gestion par le Kremlin de la grave crise économique que traverse la Russie en raison des sanctions occidentales et de la chute des prix du pétrole.

Sources : [27, 28 /02/2015] AFP + Reuters + ATS; Vidéo : EuroNews

Titre : 27avril.com