La situation des droits de l’Homme n’est pas rose au Togo, et c’est un secret de Polichinelle. Mais le prochain passage de notre pays devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies au crédit de l’Examen périodique universel (EPU) réveille les laudateurs du pouvoir et des réflexes de Mathusalem.

Pius Agbetomey dans ses oeuvres de « griotisme » | Caricature : Donisen Donald / Liberté
Pius Agbetomey dans ses oeuvres de « griotisme » | Caricature : Donisen Donald / Liberté

L’un de ces griots n’est autre que Pius Agbetomey, le ministre de la Justice, des Droits de l’Homme en charge des Relations avec les institutions de la République. Il tance même d’« aveugles » ceux qui ne voient pas de pseudos avancées considérables faites par le Togo en matière de droits de l’Homme.

Pius Agbetomey parle de progrès indéniables

Le Togo sera à la barre (sic) le 1er août prochain, devant le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, un organe dont il est membre depuis janvier 2016, au titre de son second passage à l’Examen périodique universel (EPU). Il s’agira pour notre pays de se faire évaluer par rapport à la mise en œuvre des recommandations à lui faites lors de son premier passage en octobre 2011.

Le gouvernement devrait présenter à cette occasion un rapport national inclusif. L’avant-projet de ce texte a été justement soumis à validation ce lundi au cours des travaux auxquels ont pris part les représentants des institutions de la République et des médias de la place. Et c’est à cette occasion que l’inénarrable ministre de la Justice, des Droits de l’Homme chargé des Relations avec les Institutions de la République, Pius Agbetomey s’est produit. Avec son habituelle dose de zèle.

A l’en croire, le gouvernement est déterminé à promouvoir et protéger les droits de l’Homme, consolider la démocratie, pour le bonheur des citoyens, et cet engagement est « irréversible ». Il voit des avancées indéniables enregistrées par le Togo en matière des droits de l’Homme, des libertés fondamentales et de la consolidation de la démocratie et évoque l’élection de notre pays au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en octobre 2015, au programme seuil du Millenium Challenge Corporation (MCC) et sa désignation comme Etat pilote des Objectifs de développement durable (ODD) comme des marques d’une certaine reconnaissance par la communauté internationale des multiples progrès indéniables enregistrés.

Et d’envoyer une pique aux détracteurs du pouvoir RPT/UNIR qu’il sert depuis des décennies : « (…) Seuls des voyants aveugles, c’est-à-dire ceux qui, bien que regardant, se refusent de voir, peuvent ignorer cette réalité. Mais l’objectivité et l’honnêteté intellectuelles imposent quand même de reconnaître ces réussites, si petites fussent-elles».

Le ministre dans son rôle

Cette sortie du ministre ne devrait pas étonner, pour qui connaît ses réflexes. Il s’agit d’un zélé et laudateur hors pair de Faure Gnassingbé. C’est le nouveau griot du pouvoir et il est simplement dans son rôle. En tenant ces propos prétextant des progrès et peignant comme malhonnêtes ceux qui ne le voient pas ainsi, Pius Agbetomey tacle sans doute tacitement Amnesty International et François Patuel, son Chercheur pour l’Afrique qui ont encore épinglé, en mai dernier, le Togo à qui ils reprochent beaucoup de violations.

On devrait d’ailleurs comprendre ces déclarations du ministre lorsqu’on les place dans leur contexte, celui du second passage du Togo à l’Examen périodique universel (EPU). C’est un test que le pays passe et l’issue de l’évaluation sera importante pour l’image du pouvoir Faure Gnassingbé. Dans une course effrénée à l’élection définitive au programme Compact du Millenium challenge account aux allures ostentatoires de mendicité, une bonne note en août prochain sera un bon point de plus qui sera vanté comme il se doit.

Au regard de l’enjeu aussi important, il faudrait s’attendre à des prestations d’autres laudateurs en matière des droits de l’Homme. Ces derniers, sans doute se cachant sous le manteau d’associations, viendront aussi peindre un Togo super respectueux des droits de l’Homme, chanter des louanges à Faure Gnassingbé…et s’en prendre aux voix discordantes.

Cela n’est pas sans rappeler de vieilles pratiques de l’époque du père où à ces genres d’occasions, de lugubres individus étaient instrumentalisés et venaient tirer à boulet rouge sur les institutions internationales de défense des droits de l’Homme qui osaient accabler notre pays, dans des déclarations et autres motions lues à la TVT. Amnesty International en sait beaucoup, elle qui est la cible par excellence de ces maltraitances (sic).

Il y a une anecdote racontée à l’époque d’Eyadema et qui met en scène des malvoyants de la ville de Dapaong déniant l’existence de morts alléguée par l’ONG de défense des droits de l’Homme dans un rapport. « Nous, aveugles de Dapaong, déclarons n’avoir jamais vu de cadavre sur nos plages ! », tels sont les propos qui leur étaient attribués.

Le pouvoir Faure Gnassingbé tient à séduire au maximum ses examinateurs et n’écarte lésine aucun moyen pour atteindre cet objectif. Les voix qui risquent de lui faire une contre-publicité sont étouffées et des manœuvres entreprises pour relever sa cote. C’est ce qu’il faut comprendre dans les tractations de l’ombre menées pour affaiblir l’Association des victimes de la torture au Togo (ASVITTO) et susciter la création d’une autre association de victimes qui devrait présenter à l’occasion de l’EPU un rapport plutôt mélioratif pour le régime.

« Indéniable » visage hideux des droits de l’Homme au Togo Vouloir cacher le soleil avec la paume de sa main, c’est ce que tentent toujours de faire les gouvernants qui s’emploient à dépeindre un Togo super respectueux des droits de l’Homme ou se fourvoyer dans des détours de l’esprit.

On a beau simuler dans les discours et sur certains médias un Togo havre des droits de l’Homme, les faits sont là, têtus et suffisamment parlants. Les avancées chantées ne se trouvent que dans les textes actualisés et adoptés, mais les actes posés sont contraires aux prescriptions légales. Tout autant que la misère, les violations des droits de l’Homme se vivent au quotidien par les populations. Et ce ne sont pas les illustrations qui manquent.

Amnesty International a dépeint dans son rapport en mai dernier un tableau assez réaliste qui résume la situation des droits de l’Homme. Entre autres questions, l’ONG internationale de défense des droits de l’Homme a évoqué l’usage excessif de la force et des armes à feu sur les populations aux mains nues, les tortures pour soutirer des aveux à des détenus, les violations des libertés publiques, etc. Avant Amnesty International, c’est le département d’Etat américain qui épinglait le pouvoir de Lomé dans un rapport.

L’état de la Justice à lui tout seul pourrait résumer la situation des droits de l’Homme au Togo, offrir en tout cas une bonne jauge. Mais hélas. L’injustice est sa marque de fabrique.

S’il y a un dossier qui l’illustre suffisamment, c’est celui des incendies dans lequel le pouvoir veut noyer ses opposants. Alors que les vrais commanditaires de ces actes criminels sont dans le sérail du pouvoir et que le principal accusateur instrumentalisé, Mohamed Loum a dédouané les leaders du Collectif « Sauvons le Togo », le Juge d’instruction a maintenu l’inculpation de certains et on tend vers un simulacre de procès. Tout donne l’air d’un pays où le gangstérisme d’Etat est érigé en mode de gouvernance.

C’est depuis janvier 2010 que des fonds estimés à environ 2 milliards de FCFA avaient été saisis par des éléments de la tristement célèbre Agence nationale de renseignement (ANR) sur des commerçants qui s’apprêtaient à s’envoler pour l’Asie. Seule une partie leur a été rétrocédée en 2012, après des tractations des victimes. Le reste est gardé jusqu’à ce jour.

Les manipulations dans le dossier du braquage diurne de l’aéroport de Lomé en septembre 2014 dénoncées par Me Zeus Ajavon sont une autre illustration des micmacs de la Justice togolaise qui fait arrêter des innocents que l’on veut présenter comme les coupables pour protéger les vrais auteurs.

L’autre fait qui risque de jouer en défaveur du Togo, qui plus est au Conseil des droits de l’Homme, c’est le refus du pouvoir de libérer Kpatcha Gnassingbé et les siens, conformément à la recommandation du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire.

Amnesty International dont l’opinion compte beaucoup, a conclu dans son dernier rapport que le Togo stagne en matière des droits de l’Homme, et cela risque de peser beaucoup dans la balance. « Depuis quelques années, la situation au Togo sur les droits de l’Homme stagne. Il y a quelques engagements qui ont été pris par les autorités togolaises, notamment devant la communauté internationale, qui n’ont pas été respectés ou qui ont été partiellement mis en œuvre. Il est important que la communauté internationale fasse preuve de vigilance, parce que cette situation sur les droits de l’homme pourrait se détériorer rapidement», avait indiqué François Patuel. « C’est ça qui est la vérité », dira-t-on du côté d’Abidjan.

Source : [25/05/2016] Tino Kossi, Liberté Nº 2200