Pendant ce temps, la minorité continue de piller les ressources et laisse la majorité dans l’indigence.

Caricature : Donisen Donald / Liberté
Caricature : Donisen Donald / Liberté

La bonne gouvernance et la lutte contre les crimes économiques font partie des refrains souvent chantés par Faure Gnassingbé et son gouvernement. Et dans cette perspective, plusieurs instruments ont été adoptés et des organes créés, à grand renfort de publicité. Mais à l’épreuve du terrain, ils se révèlent inefficaces. Dans certains cas mêmes, ces structures ne sont jamais entrées en fonction. C’est l’exemple de la fameuse Haute autorité de prévention contre la corruption et les infractions assimilées qui n’a pas encore démarré ses activités depuis sa création le 14 juillet 2015. Pendant ce temps, la corruption et les fléaux connexes peuvent prospérer.

Attributions claires et nobles

Promouvoir et renforcer la prévention contre la corruption et les infractions assimilées dans les administrations, les établissements publics, les entreprises privées et les organismes non étatiques. Telle est la mission de la Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la corruption et les infractions assimilées, en abrégé Haute Autorité dont la loi portant création a été votée le 14 juillet 2014, au cours de la quatrième séance plénière de la première session extraordinaire de l’année 2015. Les ambitions qui sous-tendent sa création sont donc assez nobles.

Parlant de ses attributions, la structure est chargée de :

  • veiller à la mise en œuvre, au sein de l’administration publique, des établissements publics ou de toutes personnes morales légalement constituées, des actions appropriées de formation et de mise en conformité, visant à prévenir la corruption et les infractions assimilées ;
  • évaluer périodiquement les instruments juridiques et les mesures administratives de lutte contre la corruption, notamment au moyen d’indicateurs et d’analyses statistiques ;
  • œuvrer à la réflexion en vue de l’adoption par les organismes publics et privés d’un manuel de formation des personnels, des codes de déontologie et de conduite, de procédures de conformité et d’audit, afin notamment d’assurer la transparence et l’intégrité des procédures de passation et du contenu des marchés publics et des contrats commerciaux;
  • maintenir à jour la liste des entreprises condamnées pour violation des règles relatives à la corruption et les infractions assimilées ;
  • proposer toutes mesures juridiques, administratives et pratiques de nature à prévenir et combattre les phénomènes de corruption;
  • répondre aux demandes d’avis de toute administration ou agent de l’Etat relatives à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ;
  • coopérer avec le ministre de la justice dans les procédures judiciaires liées à la corruption et infractions assimilées.

La Haute Autorité est également missionnée pour :

  • veiller, avec les autres administrations publiques, à la diffusion et à la vulgarisation des textes relatifs à la lutte contre la corruption;
  • organiser des actions de communication pour un changement de comportement, notamment en formant des partenariats avec les administrations et les organisations dont la mission est de prévenir et/ou de réprimer la corruption et les infractions assimilées ;
  • définir, accroître et diffuser les connaissances et les bonnes pratiques relatives à la lutte contre la corruption; promouvoir un système de gouvernance qui prévient les conflits d’intérêts, l’enrichissement illicite ou tout acte de corruption;
  • proposer à tous les ministères, notamment ceux qui ont des attributions en matière d’éducation ou de formation, des actions éducatives à l’adresse des apprenants ;
  • coopérer avec les institutions internationales et autorités homologues en vue d’assurer le renforcement des capacités des membres et du personnel de la Haute Autorité et le développement d’actions préventives communes, en concertation avec le ministère de la Justice, le ministère des Affaires étrangères, le ministère des Finances et le ministère de la Planification;
  • s’assurer de la bonne coopération entre elles, les personnes morales publiques ou privées et les médias dans la prévention et la lutte contre la corruption, tout en veillant au respect de la présomption d’innocence ;
  • et enfin publier un rapport annuel d’activités qui comprendra une analyse statistique de la corruption et des infractions assimilées.

Faut-il le rappeler, cette loi avait été votée même par des élus de l’opposition, contrairement aux habitudes. Tout en déplorant des « faiblesses » et une « inefficacité organisationnelle », ils ont voté ce texte qui, à leurs yeux, est un ensemble de mécanismes d’alerte qui mettent le peuple au centre, et un élément pouvant faire avancer un tant soit peu dans la lutte contre la corruption au Togo. « (…) Dans tous les cas, par rapport à 2001 où la Commission anti-corruption qui malgré tout, a fait un petit travail avec l’arrêt des petits fretins alors que les gros poissons se cachaient à Lomé 2, il fallait avancer. La réorganisation du système judiciaire qui est l’émanation des directives de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) et des conventions que le Togo a signées, oblige le pays à avancer dans ce sens », s’était justifié l’Honorable Ouro-Akpo Tchagnao, Vice-président de la Commission des Finances.

Des instruments pour bluffer, la corruption en vogue

Dans l’exposé des motifs, il était indiqué que cette initiative s’inscrit dans la dynamique de la modernisation du droit togolais et des institutions afin de les adapter à l’évolution de la société togolaise, et la corruption et les infractions assimilées requièrent une attention particulière. Les mérites de cet organe avaient été chantés. Mais tout cela semble visiblement de simples mots. La Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées n’est malheureusement pas fonctionnelle depuis sa création il y a un an.

Tout le boucan organisé à l’époque autour de l’adoption de la loi portant création de cette Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées ne visait qu’à séduire la communauté internationale et permettre au pouvoir de Lomé de gagner des points dans les rapports de Transparency International, mais aussi dans le processus d’admission au Millenium challenge account (MCA). Le procédé consistait pour le Togo à s’arrimer aux instruments internationaux de lutte contre la corruption, comme la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption que le Togo a signée le 10 décembre 2003 et ratifiée le 6 juillet 2005 et qui astreint l’Etat à réprimer ces fléaux, prévenir et éradiquer le phénomène de corruption, mais aussi la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption signée par notre pays le 30 décembre 2003 et ratifiée le 14 décembre 2009, et le Protocole de lutte contre la corruption de la CEDEAO signé le 21 décembre 2001 à Dakar, afin de plaire.

Par ailleurs, ce sont les dividendes politiques qui étaient recherchés. Il suffit de voir toute la récupération politicienne et médiatique qui suit les rapports faisant état de montée du Togo dans les classements Doing Business. Le Prof Aimé Gogué, élu de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI), déplorait déjà cette intention, au lendemain du vote de la loi instituant cet organe, et relevait déjà que la mise en place de cette institution ne vise qu’à « faire plaisir aux partenaires techniques et financiers ».

Une chose est certaine, si la lutte contre ces fléaux économiques était sincère, rien ne devrait empêcher l’exécution de ce projet de loi et l’entrée en service de cette institution aux ambitions nobles. Est-ce une stratégie pour permettre à la minorité au pouvoir de continuer d’accaparer les ressources du pays et laisser la majorité dans l’indigence ? Il est permis de le penser, lorsqu’on sait que la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées n’a pour attribution, comme le stipule sa dénomination, que de prévenir ces crimes.

Quant à la répression qui devrait accompagner la découverte de cas éventuels pour lutter contre l’impunité, elle ne fait pas partie de son ressort, elle est l’œuvre des juridictions étatiques idoines. La loi portant création de cet organe a abrogé le décret N°2001-095/PR du 9 mars 2001 portant création de la Commission nationale de lutte contre la corruption et le sabotage économique modifié par le décret N°2001-160/PR du 14 septembre 2001, qui assurait tant bien que mal cette tâche. S’agissant de la sanction, l’exposé des motifs du projet de loi portant création de la Haute Autorité a indiqué que cette prérogative est donnée au Code pénal.

Pendant que la Haute Autorité peine à entrer en fonction, la corruption et les infractions assimilées ont le vent en poupe. Le dernier cas en date, c’est sans doute ce dossier de marché de construction de route où un membre de l’Exécutif est venu gaillardement dire, devant les députés à l’Assemblée nationale, pour justifier un détournement de fonds ostentatoire, que la société de BTP a pris une partie de l’argent pour s’équiper en matériels. S’il n’y a pas corruption ou détournement de fonds, il y a au moins détournement d’objectif. Mais les fameuses juridictions étatiques de répression ne font rien dans ce dossier. Ah, on oubliait, il y a des « super ministres » qui sont empêtrés dans cette affaire puante…

Au demeurant, le Togo confirme sa réputation de pays des plus réformateurs (sic), des plus enclins à l’élaboration et l’adoption de textes ; mais c’est la mise en œuvre qui pose toujours problème. La création de cette Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées et son inactivité ne sont pas sans rappeler le sort de la Cour des comptes et d’un certain Koffi Edoh. Ici c’est Togo, dira-t-on.

Source : Tino Kossi, Liberté