Eyadema était présenté comme le plus magnanime de la planète Terre. Mais la charité semble congénitale à la famille Gnassingbé, et son rejeton le prouve assez bien.

Caricature : Donisen Donald / Liberté
Caricature : Donisen Donald / Liberté

L’une des dernières illustrations qui défraie la chronique, c’est sans doute l’ambulance offerte lundi dernier au CHR de Tsévié et dont la cérémonie a mobilisé tous les cadres et populations de la localité. Avec ses nombreux gestes systématiques à l’endroit des populations, la gouvernance De Faure Gnassingbé se réduit carrément à l’assistanat, et lui-même est dans le rôle d’une ONG de bienfaisance.

Une ambulance en cadeau au CHR de Tsévié

Faure Gnassingbé qui pense à ses gouvernés, cela n’arrive pas tous les jours. Mais les populations de Tsévié ont eu lundi dernier ce privilège. L’homme leur a offert une ambulance flambant neuve (qu’est-ce qu’on en sait ?). Et en prélude à la cérémonie de remise du don à laquelle était annoncé Faure Gnassingbé en personne, ce sont tous les êtres vivants de la localité qui ont été mobilisés pour y assister et remercier dignement « père Thérésa » du Togo – simple paraphrase de mère Thérésa -, le donateur.

Une note circulaire avait été rendue publique par la Direction du Centre hospitalier régional (CHR) de Tsévié, bénéficiaire du cadeau présidentiel, pour l’occasion. « Tout le personnel du CHR de Tsévié est invité à prendre part à la cérémonie de remise officielle d’une ambulance le Lundi 16 Mai à 7 heures précises par le chef de l’Etat, son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé. La présence de tous s’avère indispensable», stipule-t-elle. Au-delà du personnel hospitalier, ce sont toutes les forces vives de la localité qui étaient mobilisées, les populations carrément réquisitionnées. Selon les indiscrétions, certains habitants étaient sur les lieux depuis 5 heures. Mais le messie annoncé n’était pas au rendez-vous, il s’est fait représenter par la ministre de tous les départements et plus grande cumularde de la République – suivez les regards.

Loin d’être une dotation régulière de ce centre de soins en matériels par le gouvernement, cette ambulance est un cadeau de Faure Gnassingbé aux populations, et les officiels se sont employés à le relever dans leurs interventions, pour toutes fins utiles. On parle de la légendaire magnanimité de l’homme qui n’est pas à son premier geste. Mais ce folklore fait légitimement gerber les Togolais avertis.

« Quelle honte pour mon pays ? Donc depuis presque 50 années de dictature du père au fils, c´est seulement en 2016 qu’on se trouve dans l´obligation d’équiper un centre hospitalier digne de son nom d´une et une seule ambulance, et ceci par offrande. Quelle tristesse ! », peste l’un d’eux. Et un autre d’ajouter : « Comment peut-on tomber aussi bas au Togo? (…) A quoi sert même une ambulance sans ressource humaine? Avons-nous des médecins régulateurs et anesthésistes-réanimateurs au Togo? On nous prend pour des demeurés dans ce pays. Il n’y a que des esprits faibles qui croiront à ces histoires sans tête ni queue. A quelques mois des élections législatives et locales, le bal de l’achat de la conscience des populations a commencé ».

Aveu de la faillite de la gouvernance, place à la charité
Les natifs de Tsévié et ses environs ont peut-être toutes les raisons de jubiler pour ce geste présidentiel. Sans doute que le CHR manquait de ce véhicule utile pour le transport des patients en situation d’urgence, ou des blessés. C’est une constance que les unités de soins sur toute l’étendue du territoire en manquent. Ce sont de simples épaves qu’ont la plupart des centres, ces véhicules tombant régulièrement en panne. L’utilité de cette ambulance – pourvu qu’elle ne soit pas aussi un « second hand » qui tomberait souvent en panne – n’est plus à démontrer. C’est la non disponibilité de ce véhicule sanitaire qui était aussi en partie responsable du décès d’Yves Bété de la Fédération Togolaise de Football (FTF). L’ambulance du CHR de Notsè ( ?) était réquisitionnée ; le temps pour celle d’Atakpamé d’arriver pour évacuer l’accidenté sur Lomé, il a déjà rendu l’âme. Mais ce geste n’est pas moins illustratif de la faillite de la gouvernance de Faure Gnassingbé et un aveu par l’intéressé lui-même.

Dans les conditions normales, le CHR de Tsévié ne devrait pas attendre un geste humanitaire pour avoir une ambulance. Il devrait être équipé en matériels nécessaires par le gouvernement. C’est une prérogative de l’Exécutif de doter les centres de soins et autres structures en équipements utiles. Mais c’est justement à cette mission qu’il se dérobe, laissant les centres et unités de soins désuets et leur conférant le statut de mouroirs. Les gouvernants invoquent souvent un prétexte de manque de moyens pour se soustraire à cette obligation. Soit. Comment pouvait-il en être autrement lorsqu’une minorité de personnes accaparent les richesses nationales, les thésaurisent pour leurs familles, saignent l’économie et laissent l’Etat sans moyens ? Faure Gnassingbé lui-même a reconnu cette triste réalité le 26 avril 2012 dans son discours de circonstance, mais il n’a rien fait pour châtier les mis en cause et mettre fin à ce fléau. L’illustration palpable est offerte par la gestion faite du fameux projet BIDC en 2010. Doté d’un fonds de 10 milliards, ce projet devrait permettre de relever le plateau technique des centres publics de soins, notamment le CHU Sylvanus Olympio qui se trouve être le plus grand de référence au Togo. C’est le Conseiller médical de Faure Gnassingbé, le Col Badjona Sogné qui a eu à gérer ces fonds. En lieu et place de matériels neufs, ce sont des « occasions peinturées » (deuxième main) qui ont été acquises, dont le scanner qui n’a pu être inauguré par le Prince à cause d’une panne. L’appareil n’a fonctionné que rarement, selon ses humeurs ; et aux dernières nouvelles, il ne sert que de pièces détachées pour faire fonctionner le scanner du CHU Campus. Les populations devront se réduire à l’assistanat de Faure Gnassingbé et de la minorité qui écume son entourage. Certains citoyens voient en lui « une ONG mobile ».

Abêtissement des populations

Il y a une théâtralisation ostentatoire des actions du gouvernement qui choque. La moindre initiative, le moindre projet, programme ou geste est présenté(e) comme une faveur faite par les gouvernants aux citoyens. Les routes construites ou réhabilitées et autres ouvrages retapés sont systématiquement mis à l’actif de Faure Gnassingbé, et on donne l’impression que l’argent investi dans ces chantiers vient de sa poche. L’illustration a encore été offerte lors de la célébration du 56e anniversaire de l’indépendance du Togo. La nouvelle aérogare, le Radisson Blu Hôtel 2 Février, l’usine d’assemblage de motos chinoises à Notsè, le futur aéroport de Niamtougou, le projet E-village…sont brandis comme ses cadeaux à la population. Concernant ce dernier projet, les kits offerts aux chefs traditionnels étaient même dans des sacoches griffées à la photo de Faure Gnassingbé.

Le plus malheureux, c’est que la majorité des citoyens non avertis et ignorants de leurs droits et des devoirs des gouvernants, ingèrent ces racontars et applaudissent à rompre leurs phalanges. L’ambulance offerte au CHR de Tsévié est justement présentée par certains natifs comme la fin de leurs misères. Cela ne sent pas moins un abêtissement des Togolais par le pouvoir. Au-delà de la mobilisation des populations bénéficiaires, lors des remises des dons et autres gestes de charité, les donateurs sont présentés comme des dieux, louangés, vénérés, les bénéficiaires ignorant leurs droits. C’est justement l’effet recherché par les gouvernants à travers ces gestes généralement à visée électoraliste. Les législatives, c’est en 2018, dans deux ans donc, et il faut commencer à conditionner les populations…

Source : [18/05/2016] Tino Kossi, Liberté