Et si la justice togolaise était condamnée à rester vicieuse, avec ses tares et ses plaies aussi béantes ? Cette assertion doit faire dresser des cheveux sur des têtes. Mais elle sied assez bien à la situation qu’elle traverse. Les initiatives s’enchainent pour, dit-on, assurer sa modernisation et son indépendance. La dernière en date est l’élaboration de ce qui est appelé Politique nationale de la justice (Pnj), assortie d’un plan d’action de la justice. Mais le mal persiste et n’est pas près de la guérison.

La pauvre dame justice souffre dans les mains de Faure E. Gnassingbé et de son nouveau ministron Pius Agbétomey, tellement elle est archaïque, dépendante et instrumentalisée...| Caricature : Donisen Donald / Liberté
La pauvre dame justice souffre dans les mains de Faure E. Gnassingbé (jaune) et de son nouveau ministron Pius Agbétomey, tellement elle est archaïque, dépendante et instrumentalisée…| Caricature : Donisen Donald / Liberté

Politique nationale de la justice (PNJ)

Tel est le nom de la nouvelle initiative prise par le pouvoir, dans le but, dit-on, d’assurer à la justice togolaise son indépendance. Un atelier de validation de ce document a été tenu mardi et mercredi derniers à Lomé. Etablir sur cinq ans les fondements d’une justice indépendante, efficiente, accessible à tous y compris les populations les plus vulnérables ; créer un environnement juridique soutenant le développement du secteur privé et l’intégration du Togo dans l’économie mondiale ; tels sont les objectifs visés par cette Politique nationale de la justice assortie d’un plan d’action. « Vers une justice indépendante, efficiente et accessible : Le document de politique nationale et de plan d’action sur la table de validation », proclame Togo-Presse dans sa parution N°9681 du mercredi 9 décembre. L’atelier visait essentiellement à améliorer le document en vue de sa validation.

Bien évidemment, les travaux ont été parrainés et ouverts par le ministre de la Justice et des Relations avec les Institutions de la République, Pius Agbetomey, en présence du chef de la Délégation de l’Union Européenne, Nicolas Martinez-Berlanga et de la Représentante résidente du Pnud au Togo, Mme Khardiata Lo NDiaye, dont les institutions sont partenaires dans la mise en place’ de cette Politique nationale de la justice.

Les intentions des gouvernants sont assez louables. A en croire le quotidien national, ils veulent débarrasser la justice togolaise de « ses nombreux handicaps qui freinent son évolution et ayant pour noms : faiblesse du cadre juridique, institutionnel et organisationnel, insuffisance de moyens de gestion de l’administration plénipotentiaire et de la réinsertion, faible accès au droit et à une justice équitable pour tous, faiblesse des capacités de pilotage, etc. », la « dépouiller de ses scories ». Cette politique vise à termes à rendre la justice togolaise indépendante.

Cette PNJ est composée d’une partie narrative et d’un plan d’action définissant six grandes orientations pour la période 2016-2020. Elles sont relatives aux cadres juridique, institutionnel et organisationnel, à l’administration pénitentiaire, à l’accès au droit, aux capacités professionnelles et managériales des acteurs, aux infrastructures, équipements et logistiques, ainsi qu’au financement et au pilotage du système judiciaire.

Selon le ministre Agbetomey, « L’implémentation de ces orientations stratégiques permettront, d’une part, au gouvernement d’avoir une idée claire de ce que devrait être la justice togolaise dans les années à venir, et d’autre, de disposer d’un outil programmatique permettant de conduire les réformes tout en tenant compte des interrelations et interactions entre les différents acteurs de l’institution judiciaire ». L’objectif final, ajoute-t-il, c’est « d’aboutir à une justice équitable, impartiale et accessible à tous »

Il était une fois le Programme national de modernisation de la justice (PNMJ)

L’information sur l’élaboration et la tenue de cet atelier de validation de la fameuse Politique nationale de la justice doit rappeler aux Togolais avisés une précédente initiative : le Programme national de modernisation de la justice (PNMJ). Elaboré début 2005, ce programme a bénéficié de la l’appui du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et se voulait la stratégie gouvernementale de mise en œuvre de l’engagement 2.7 pris dans le cadre des consultations ouvertes avec l’Union européenne le 14 avril 2004, qui vise à « assurer par des mesures adéquates à préciser ultérieurement, un fonctionnement de la justice impartial et indépendant du pouvoir exécutif’ ». Il a fait l’objet d’une lettre de politique sectorielle adoptée en Conseil des ministres le 19 octobre 2005.

Financé à hauteur de dix (10) milliards de FCFA par le Pnud, l’Union européenne, la France et couvrant la période 2006-2010, le PNMJ avait quasiment les mêmes objectifs que son cadet du PNJ : indépendance de la justice ; efficience de la justice ; prévisibilité du droit ; assujettissement de l’administration au droit ; amélioration de l’accès au droit. Il était déroulé autour de six (06) axes : renforcement des capacités d’administration du ministère de la Justice ; modernisation de la législation ; renforcement de l’indépendance et amélioration du fonctionnement des juridictions ; renforcement des capacités des magistrats et auxiliaires de justice; implantation d’un contrôle juridictionnel de l’action administrative ; amélioration de l’accès au droit.

Ce PNMJ était coordonné par Mme Evelyne Hohoueto. A en croire les sources officielles, la PNJ s’inspire des leçons tirées du Programme national de modernisation de la justice, tout en se reposant sur les leviers tels que l’approche genre, le développement du capital humain, la promotion des technologies de l’information et de la communication, etc.

Le mal de la partialité de la justice persiste

La mise en œuvre du PNMJ est arrivée à échéance depuis l’année 2011 et devrait impacter positivement la problématique de l’indépendance de la justice. Mais ce n’est qu’un euphémisme que de dire qu’il n’y a rien à signaler. Les résultats chantés par le pouvoir se réduisent à des séminaires de renforcement des capacités du personnel judicaire – on parle de plus de 60 sessions de formation sur diverses thématiques organisées à l’endroit de plus de 700 professionnels de justice dont les magistrats, les avocats, les greffiers, les huissiers, les notaires et commissaires-priseurs entre 2007 et 2010 -, l’équipement des juridictions et des services de la chancellerie, la création (loi N° 2009-24 du 30 octobre 2009) et l’opérationnalisation du Centre des formation des professions de justice (CFPJ) depuis le 08 Décembre 2010, la remise de kits individuels aux magistrats, l’appui à la création d’une police technique et scientifique : dotation des unités de police et gendarmerie de matériel informatique, bureautique et roulant, de logiciels bio crime, de mallettes de police scientifique et technique et d’un laboratoire de cyber criminalité, entre autres. En tout cas, la modernisation, l’indépendance et l’efficacité de la justice attendues de ce programme ne se sont pas réalisées. Et cela s’est senti dans plusieurs dossiers ou affaires sensibles connus par la République. La PNJ sera-t-elle efficace ?

On le voit bien, les initiatives soi-disant pour sortir la justice togolaise des sentiers battus s’enchainent. C’est une course infinie à une justice vertueuse qui est engagée depuis 2005 par le pouvoir Faure Gnassingbé, sans compter les actions intermédiaires claironnées par les gouvernants. Mais la réalité reste intacte sur le terrain. L’indépendance de la justice demeure un rêve dans le ventre du chien. « (…) Ce n’est pas une question de terminologies ou de programmes. On a beau multiplier les programmes, les projets, les politiques, les plans d’action…le fléau restera intact. Ce n’est pas une question de textes. Notre pays est réputé avoir les meilleurs textes, mais les réalités du terrain ne changent pas. Peut-être qu’après cette PNJ, on parlera de campagne pour l’indépendance de la justice togolaise, avec des cortèges qui vont circuler dans les rues de la ville de Lomé au son de la fanfare (…) », se gausse un observateur, qui relève « un manque de volonté des gouvernants » et qu’ « il y a encore du chemin à parcourir ». Le Professeur agrégé de Droit, Kossivi Hounnaké allait presque sur ce terrain, en marge d’un séminaire organisé la semaine passée à l’endroit des professionnels de la communication sur la gestion médiatique des conflits, relevant que l’indépendance et l’impartialité de la justice togolaise ne dépendent pas des textes, mais des hommes qui l’incarnent…

Source : [11/12/2015] Tino Kossi, Liberté