C’est une constance que les pouvoirs despotiques ont toujours donné une place importante au militaire et à la force en général dans leur régence. Eyadéma, militaire de formation et de carrière s’était entouré de ses collègues tout au long de son règne. Le fils lui ayant succédé dans les conditions qu’on sait, lui emboite bien les pas, avec sa gouvernance empreinte de force. La dernière illustration est le parachutage des militaires à la tête de certaines préfectures. A quelles fins ? Est-ce en perspective des locales ?

Caricature : Donisen Donald / Liberté
Caricature : Donisen Donald / Liberté

Des militaires nommés à la tête des préfectures

Comme depuis quelque temps où le Conseil des ministres se tient régulièrement, les membres de l’Exécutif se sont encore retrouvés (sic) ce mercredi, autour de Faure Gnassingbé. Au cours de cette réunion devenue hebdomadaire, le Conseil a adopté deux projets de loi et écouté trois communications. Par ailleurs, il a été pris des décrets de nominations de préfets au titre du ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales.

Ils étaient en effet une bonne dizaine de préfets à avoir été nommés. Il s’agit de :

  • Biténéwé Kouma nommé à la tête de la préfecture de l’Est Mono ;
  • Sogbo Kokouvi Ametepe pour le Bas Mono ;
  • Alibo Yao pour Yoto ;
  • Akakpo Edoh aux commandes de la préfecture de l’Ogou ;
  • Assan Kokou Bertin pour le Kloto ;
  • Kuevi Coco Foly pour le Dayes ;
  • Pali Tchabi Bassabi pour la préfecture de Sotouboua ;
  • Ataba Abalounorou pour la Binah ;
  • Mateindou Monpion pour la préfecture de Tchaoudjo ;
  • Douti Mangliba Nsarima pour la Keran ;
  • Soufoloum Adam Kassim aux commandes de la Sous-préfecture de la plaine de Mô.

Cela a peut-être échappé à la vigilance du commun des Togolais, parmi les préfets et sous-préfet nommés, il y a au moins trois officiers des corps habillés :

  • Kouma Biténiwé, ancien Chef d’Etat major des Forces armées togolaises (Fat) admis à la retraite et ex-patron du Cabinet militaire de Faure Gnassingbé ;
  • Colonel Mateindou Monpion, ex-Officier des Fat retraité entre-temps à la tête de la Police nationale ;
  • et le Commandant Soufoloum Adam Kassim.

Ceux-ci iront s’ajouter à leurs camarades qui se trouvent déjà sur le terrain à l’instar de l’inénarrable Commandant Ouadja Gbati, cité dans les actes de torture dans le dossier Kpatcha et jusqu’à récemment patron du Service de recherche et d’investigation (Sri), parachuté à la préfecture de l’Oti en remplacement du tribaliste Awade Hodabalo à l’issue du Conseil des ministres extraordinaire du 28 novembre consécutif aux violences de Mango dans le cadre de la restauration de la faune, le Colonel Didier Bawubadi Bakali, ex-aide de camp de Faure Gnassingbé et tout-puissant préfet de la Kozah, le Col Dadja Maganawoè, véritable potentat à Dankpen entre autres.

La militarisation systématique du pays continue

C’était la marque de fabrique de son père. Militaire de formation, Eyadéma adorait s’entourer d’officiers des corps habillés et les nommait à tous les postes, même civils. Son fils Faure Gnassingbé présenté comme le plus policé de ses rejetons, assure bien sa succession en la matière. Tous les secteurs de la vie politique, économique et sociale sont maillés de dignitaires des corps habillés.

  • Ministères (Agriculture avec le Col Ouro-Koura Agadazi, Sécurité avec le Col Yark Damehame),
  • Directions générales de sociétés d’Etat (Port avec le Contre-amiral Fogan Adegnon, Direction des Transports…),
  • dans le domaine de la santé avec le Col Wiyao Adom Kpoou à la direction du CHU-Sylvanus Olympio, préfectures et mairies, dans le domaine du sport (le Col Kossi Akpovi remue ciel et terre pour parvenir au perchoir de la Fédération togolaise de football) …ils sont omniprésents.

Depuis quelque temps, Faure Gnassingbé ne pense qu’armée, n’a d’yeux et d’oreilles que pour les corps habillés dont il est aux petits soins. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les forces de défense et de sécurité sont l’objet d’une attention particulière depuis plusieurs années. Quelqu’un dira que c’est leur étoile qui brille. Un programme spécial de refondation des Fat a été élaboré, le territoire entier maillé en différentes zones militaires, de nouvelles divisons, unités ou des camps créés, du matériel militaire acquis, entre autres sollicitudes à l’égard des corps habillés. Ce sont toujours eux qui sont chouchoutés au cours du mandat 2015-2020 placé pourtant sous le sceau du social. Lors du Conseil des ministres de ce mercredi, Faure Gnassingbé a encore pensé militaire. Il a été adopté un projet de loi portant code de justice militaire.

« Ce projet de loi pallie les manquements identifiés dans l’ancienne législation datant de 1981. Il promeut ainsi une justice militaire ayant vocation à s’exercer dans le respect des droits humains, sans pour autant remettre en cause le pouvoir disciplinaire reconnu aux autorités hiérarchiques par les lois et règlements en vigueur au sein des forces de défense et de sécurité. Le présent projet de loi prévoit désormais certaines infractions graves inhérentes à la vie militaire et qui échappaient jusqu’à présent aux prescriptions des textes disciplinaires de l’armée ainsi qu’au code pénal. Il consacre, par ailleurs, les juridictions militaires dont la mission essentielle est de connaître non seulement les infractions qui ne se conçoivent que dans la vie militaire, mais aussi celles de droit commun. Le nouveau texte permet d’offrir, sous la supervision de la cour suprême, des garanties d’une justice équitable à tous les justiciables », rapporte le communiqué tenant lieu de compte rendu.

Vaste mouvement en perspective des locales ?

La militarisation du pays a commencé avec Faure Gnassingbé depuis. Doit-on mettre ces parachutages de dignitaires des corps habillés à la tête de certaines préfectures dans ce moule et fermer la page ? Ces nominations sont-elles désintéressées ? Certains observateurs lient justement ces parachutages tous azimuts de militaires et autres civils préfets à une précédente action de Faure Gnassingbé, la prise du décret d’application de la loi portant statut de l’opposition et surtout concédant des avantages au chef de file, Jean-Pierre Fabre donc, et les mettent toutes dans une stratégie globale visant à « placer ses pions » et gruger l’opposition par rapport aux élections locales.

« (…) La pression monte sur Faure pour qu’il organise les locales. S’il est vrai que les faucons comme Biténiwé, Mompion et consorts sont nommés préfets, c’est en préparation des élections locales. On cherche sûrement à miner le terrain avec des préfets va-t-en guerre et prêts à intimider voire embrigader les populations avant de commencer les préparatifs pour l’organisation des locales. Ceci permettra de limiter la casse et d’empêcher que l’opposition ne rafle toutes les grandes villes comme le prédisent beaucoup d’analystes. Je préfère me tromper d’analyse », analyse un compatriote sur une plateforme d’un réseau social. Un autre pour qui le pouvoir ne fait rien sans rien, croit dur comme fer que les prochaines étapes seront « la désignation des chefs traditionnels contre l’avis des populations locales, une vaste campagne d’intoxication de la population par les faux opposants, la recomposition de la Ceni et des Celi et le lancement précipité des locales ».

Chose curieuse, lorsqu’on observe les préfectures où les galonnés ont été parachutés comme préfets, ils se révèlent être des coins où l’opposition dispute l’électorat au pouvoir. D’abord l’Est-Mono qui est assez disputé entre le parti au pouvoir et l’opposition. Lorsqu’on prend les législatives de juillet 2013, Djimon Oré, à l’époque aux couleurs de l’Union des forces de changement (Ufc), avait réussi à y remporter un siège. En cas de locales, il faudrait parvenir à dompter les populations et les conditionner à voter pour le pouvoir qui ne part pas avec la faveur des pronostics. Un militaire ferait bien l’affaire, d’où la nomination de Kouma Biténiwé. Deuxième illustration, la préfecture de Tchaoudjo qui a toujours été disputée entre le parti au pouvoir et l’opposition. Certains pensent qu’elle est plutôt acquise à l’opposition et que ce sont les manœuvres louches, intimidations et autres fraudes qui sont les recours du régime.

Certains diront que le gouvernement n’a pas prévu de ligne budgétaire pour les locales dans la loi de finance gestion 2016, et donc qu’on ne peut pas organiser ces élections cette année. Mais avec le régime en place où le gangstérisme d’Etat est institutionnalisé en mode de gouvernance, « on est possible de tout ». Il peut décider d’organiser ces locales à tout moment et surprendre ses adversaires politiques. L’opposition sérieuse (et non la racaille constituée des plaisantins) ne perd donc rien à se préparer pour être prête à tout moment. La vigilance doit être son maitre mot…

Source : Tino Kossi, Liberté