La mobilisation populaire pour le départ de Faure Gnassingbé ne faiblit pas. Près de trois semaines, après la répression barbare et sanglante des militaires et miliciens à la solde du régime, qui ont fait des morts, des blessés et des réfugiés, les Togolais ont été encore nombreux à descendre dans les rues mardi, mercredi et jeudi. Les revendications restent les mêmes : retour à la Constitution de 1992, droit de vote à la diaspora, révision du cadre électoral, libération de toutes les personnes arrêtées et détenues depuis le 19 août dernier.

Mobilisation populaire à Lomé le 9 novembre 2017 pour le départ de Faure Gnassingbé | Photo : DR

A Lomé, ce sont des marées humaines qui quittent Bè-Gakpoto, CCP (Adéwui) et Atikoumé pour se retrouver au grand carrefour Deckon, avant de converger vers le point de chute, la plage. La particularité dans la mobilisation de cette semaine, c’est que même les villes et localités qui ont jusque-là adopté une position d’observateurs, sont rentrées dans la danse.

Ainsi, pendant ces trois jours de manifestation, Aneho, Afagnan, Vogan, Kévé, Anié, Atakpamé, Kpalimé, Tchamba et bien d’autres localités ont bougé et connu de fortes mobilisations. Les manifestants, au-delà des revendications traditionnelles posées par la coalition des 14 partis politiques de l’opposition, exigent purement et simplement le départ de Faure Gnassingbé. « Eux (Ndlr, les leaders de l’opposition), ce sont des politiques. Ils ont leur manière de poser leurs revendications. Nous qui sommes le peuple, nous demandons le départ de Faure Gnassingbé. Nous sommes fatigués de 50 ans de gouvernance improductive, 50 ans de crimes économiques, 50 ans d’assassinats. Faure doit partir, sinon nous ne quitterons pas la rue », a lancé un manifestant à Atikoumé. Cette détermination se lit sur ces visages qui ne montrent aucun signe de fatigue, contrairement à ce qu’aurait souhaité le régime RPT/UNIR qui compte sur l’essoufflement de la mobilisation pour reprendre sa mainmise sur le pays.

« Nous leur avons démontré que nous sommes vraiment fatigués. Ils comptent sur notre fatigue pour ne plus nous voir nombreux dans les rues ce mercredi. Mais oui, vous avez démontré que nous sommes vraiment fatigués d’eux, c’est pourquoi vous êtes sortis nombreux et nous penserons que vous sortirez encore plus nombreux que ça jeudi », déclarait Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais, lors du meeting ayant sanctionné la marche de mercredi. Et Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson de renchérir : « Le mouvement que vous voyez là, vous pensez que ça va faiblir ? Non. Le pouvoir se trompe. Le mouvement grandira au jour le jour jusqu’à ce que l’objectif soit atteint ».

Durant ces trois jours, les manifestations se sont déroulées pacifiquement. La leçon à tirer, c’est que lorsque le régime ne relâche pas sa soldatesque aux trousses des paisibles populations, tout se passe calmement. Les manifestations des 7, 8 et 9 novembre sont la preuve que l’opposition a toujours organisé ces marches de façon pacifique. Toutefois, malgré les dispositions prises par les organisateurs, des individus non identifiés ont voulu semer du désordre.

Plusieurs infiltrés appréhendés lors des marches

Les manifestants, même en chantant et lançant des slogans hostiles au régime de Faure Gnassingbé, restent vigilants tout le long des itinéraires. Ils sont leur propre sécurité et, à ce titre, ces manifestants scrutent les faits et gestes d’individus suspects dans la foule. Mardi, un individu a été arrêté avec un long couteau dans le sac, au niveau du point de départ d’Adéwui. Il a été remis aux forces de l’ordre. Dans la même journée, un autre ayant un pistolet automatique et des grenades lacrymogènes dans le sac, a été appréhendé au niveau de Gbossimé, dans le cortège qui a quitté Atikoumé. Il a été molesté par quelques manifestants avant d’être remis à la Police. Mercredi, trois autres individus non identifiés ont été interpellés avec des armes blanches, au milieu de la foule de manifestants. Ils ont été molestés et remis aux forces de l’ordre. « Ils nous infiltrent, mais grâce à Dieu et à notre vigilance, nous les arrêtons. La répression aveugle ne peut pas arrêter ce grand mouvement du peuple togolais qui aspire à la liberté et au changement », a indiqué mercredi Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson.

Tous ces individus appréhendés sont assimilés aux miliciens ayant opéré les 18, 19, 20 et 21 octobre derniers à Lomé, bastonnant jusque dans les domiciles les paisibles populations qui traînent encore des blessures aujourd’hui. Que viennent-ils faire encore au milieu des manifestants ? Qui sont leurs commanditaires ? Autant de questions qui brûlent les lèvres, mais auxquels la Police ne pourrait pas répondre aux Togolais qui souffrent encore dans leur âme, surtout quand on voit les exactions qui continuent à Sokodé et à Bafilo.

Sokodé et Bafilo, des cités interdites

Pendant qu’à Lomé et dans plusieurs autres villes du pays, les Togolais crient leur ras-le-bol contre le régime cinquantenaire, à Sokodé et à Bafilo, la chasse à l’homme entreprise par les militaires depuis quelques semaines a repris mardi. Ces militaires ont assiégés les deux villes, bastonnant tout le monde. L’on note encore plusieurs blessés graves. De nombreuses personnes ont fui la ville de Sokodé pour se réfugier dans la brousse. Même certains défenseurs des droits de l’Homme qui assistent les blessés au Centre hospitalier régional (CHR) de Sokodé ont été pris pour cibles par les militaires. « J’ai fui l’hôpital hier (Ndlr, mardi 7 novembre 2017) et la ville de Sokodé. Les militaires lourdement armés étaient venus à l’hôpital et ont demandé à voir la personne qui s’occupe des blessés. Les infirmiers m’ont alerté de se mettre à l’abri et j’ai réussi à fuir le CHR dans des conditions très déplorables. Dieu aidant, j’ai réussi à fuir et j’ai dormi dans la brousse hier nuit. Ce matin, grâce aux bonnes volontés, j’ai fui la ville de Sokodé, laissant les blessés à leur propre compte », témoigne Assiba Johnson du Regroupement des jeunes africains pour la démocratie et le développement (REJADD).

Interpellé sur la situation à Sokodé et Bafilo, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame, avec des arguments tirés par les cheveux qu’on lui connaît, n’a pas pu convaincre. Pour lui, des armes circulent à Sokodé, c’est pourquoi il ne peut permettre que des manifestations pacifiques de l’opposition se tiennent dans la ville. « Vous parlez de Sokodé, il y a des armes qui sont en circulation. Les deux militaires ont été tués, leurs armes emportées. Jusqu’à présent on ne sait pas qui les détient. Est-ce que c’est normal ? Est-ce que c’est comme ça qu’on manifeste ? A supposer que les deux militaires avaient AK47, plus de 80 cartouches sont en circulation. A partir du moment où on ne sait pas qui détient ces armes et à quelle fin, je trouve qu’il faut éviter de dire qu’on va manifester dans la ville de Sokodé », a-t-il déclaré à nos confrères de la radio BBC. Et pourtant, quelques heures plus tôt, le même ministre disait qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait dans cette ville. Et le soir à la TVT, c’est autre chose qu’il a débité.

Cependant, la coalition de l’opposition dit ne pas oublier les populations de ces deux villes. Les leaders prévoient d’ailleurs s’y rendre pour de grandes manifestations dans les prochains jours. « Nous sommes sereins. Nous irons marcher à Sokodé et Bafilo aux côtés de ces populations très prochainement », a indiqué Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson. Sokodé et Bafilo sont devenues aujourd’hui des cités interdites. Tout attroupement est dispersé à coup de bâtons et de grenades lacrymogènes. Les populations sont terrorisées et vivent constamment dans la peur. Et c’est dans cette situation qu’on appelle au dialogue pour un apaisement dans le pays.

Dialoguer tout en maintenant la pression

Les «mesurettes» prises par le gouvernement et brandies comme un trophée de guerre ne semblent pas distraire la coalition des 14 partis politiques de l’opposition. Elle n’entend pas faire cesser la mobilisation de rue pour un dialogue dont on ne connaît pas encore le contenu. D’ailleurs pour Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition, si on doit discuter, c’est pour parler des conditions de départ de Faure Gnassingbé. « On n’est pas contre le dialogue. On est favorable au dialogue pour discuter des conditions du départ du chef de l’Etat », a-t-il indiqué. Il va plus loin en affirmant que le gouvernement use d’un double langage en appelant au dialogue et en réprimant en même temps les manifestations de l’opposition. « Mais ça veut dire que le gouvernement tient un double langage. Dans le même temps qu’il prétend préconiser l’apaisement de la situation, lui-même brutalise, violente les manifestants au lieu de départ des manifestations à Sokodé et à Bafilo. Alors qu’est-ce qu’on peut dire de ça? Ça veut dire que le gouvernement est toujours dans la logique de la duplicité », a ajouté Jean-Pierre Fabre.

Tout compte fait, les trois jours de manifestations de la coalition auront le mérite de montrer au régime de Faure Gnassingbé jusqu’où le peuple togolais est prêt à aller pour obtenir ce qu’il veut. « Nous ne fléchirons pas, avant d’avoir obtenu satisfaction des revendications légitimes du peuple togolais », a lancé Nathaniel Olympio mercredi.

Source : L’Alternative No.656 du 10 novembre 2017