Le fondateur du Parti national panafricain Tikpi Atchadam lors d’une manifestation contre le régime de Faure Gnassingbé, le 6 septembre 2017, à Lomé | Photo : DR

Son nom est sur toutes les lèvres. Prononcé avec des accents divers : chantant l’espérance dans la bouche de ses partisans, marqué d’un jaloux mépris par l’opposition historique ou sur l’air grossier du soupçon islamiste dans les cabinets ministériels. Ces derniers temps pourtant, Tikpi Atchadam est quasiment invisible. On en parle beaucoup mais on ne le voit plus guère. A la tête du Parti national panafricain (PNP), l’homme qui a réveillé la rue togolaise, et du même coup une opposition qui s’épuisait vainement à contester un pouvoir monopolisé depuis un demi-siècle par la famille Gnassingbé père et fils, se méfie.

L’histoire togolaise fourmille de destins politiques prometteurs fracassés au fond d’une geôle ou sous les balles de tueurs impunis. Le père de la nation togolaise après l’indépendance est le plus célèbre d’entre eux, dont l’assassinat a été revendiqué par Eyadéma Gnassingbé, père de l’actuel président Faure, en marge d’un coup d’Etat qui l’installera au pouvoir jusqu’à sa mort, en 2005. Tikpi Atchadam reconnaît « que les temps ont changé, le Togo n’est plus l’une des plus sanglantes dictatures d’Afrique ». Mais on n’est jamais trop prudent. Et puis, distiller cette idée de révolutionnaire en herbe aux abois n’est-il pas la meilleure protection ? Ne valorise-t-elle pas son importance alors qu’il n’a encore écrit que les premières lignes de son histoire ?

« Il nous inquiète »

En ce 18 septembre, quarante-huit heures avant une nouvelle vague de manifestations qui allaient jeter sur deux jours quelques dizaines de milliers d’opposants dans les rues de la capitale, Tikpi Atchadam prend des faux airs de bête traquée. A l’issue d’un long entretien tenu à l’ombre d’un manguier biscornu qui prend ses aises dans la cour de sa villa d’Agoé, quartier populaire à la sortie de Lomé, il ne raccompagnera pas son visiteur sur le pas de la porte. « Je ne me montre pas, ils ne savent pas que je suis là », lâche-t-il. Entendez les policiers. Un bodyguard taillé dans le roc surveille l’entrée une radio Motorola à la ceinture.

Pourtant, sa présence ici n’est un secret pour personne. Quelques minutes auparavant, il se disait « suivi et écouté ». Contacté au téléphone quelques jours plus tard, il refusera d’ailleurs un nouveau rendez-vous parce que « ses services de sécurité lui déconseillent de se montrer ». « Le président a tous les pouvoirs entre les mains : législatif, exécutif et judiciaire. Il est en train de monter un dossier contre moi », affirme-t-il. Petite paranoïa, excès de prudence ou calcul politique ? Le fait est que Tikpi dérange. Il siphonne dans le réservoir du pouvoir des électeurs originaires du nord, musulmans comme lui, lassés des promesses non tenues d’un pouvoir familial demi-centenaire. Il donne un coup de vieux à l’opposition historique, celle des « sudistes » de Jean-Pierre Fabre et consorts, et attire certains de ses partisans.

Le pouvoir se pencherait donc sur son cas. « Il n’est pas encore dans l’illégalité mais il nous inquiète », avoue le colonel Damehame Yark, ministre de la sécurité. « En avril, il a fait une tournée en Allemagne où il existe une grosse communauté togolaise. L’un de ses financiers est ensuite allé en Arabie saoudite. Il va aussi régulièrement au Ghana », ajoute-t-il. Le sous-entendu d’une menace islamiste transpire, sans aucun élément pour l’appuyer. Tikpi Atchadam balaie l’accusation : « Ils ne connaissent que la loi de l’argent et de la force, pas celle de la conviction. » « Je ne crois pas à ces menaces de l’État à son encontre. Il est intouchable pour le moment », lâche Isabelle Ameganvi, chef du groupe parlementaire de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), le principal parti d’opposition.

« Faire bouger les lignes »

« Pour le moment », Tikpi Atchadam est en effet très populaire, ce qui lui assure une forme d’immunité. En aurait-il été autrement si le pouvoir avait pu déceler l’apparition de cette comète dans le ciel politique togolais qui « peut potentiellement faire bouger les lignes », selon l’expression d’Isabelle Ameganvi ? « On ne l’a pas vu venir », reconnaît une source à la présidence togolaise. Jusqu’au 2 juillet 2017.

Ce jour-là le fondateur du PNP réunit 8 500 personnes dans un stade de son quartier d’Agoé et se révèle être un redoutable tribun. Sur le fond, il reprend les arguments que l’opposition serine depuis des années : halte à la prédation des richesses nationales par une minorité face à la misère du plus grand nombre et réinstauration de la Constitution de 1992 avec scrutin présidentiel uninominal à deux tours et limitation du nombre de mandats à deux. Et donc départ du président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis douze ans, qui ne pourrait pas briguer un nouveau quinquennat en 2020.

Ce qui surprit davantage furent ses nombreuses références à Mahatma Gandhi prônant la lutte mais refusant le recours à la violence sur un continent où la contestation est rarement pacifique. L’homme dégage en effet une grande sérénité. Il est à l’écoute de ses interlocuteurs, concentré, courtois, les yeux plissés accentuant le relief des scarifications qui strient ses joues. C’est là l’un des signes particuliers de nombre de Togolais du nord du pays.

« Ouverture d’esprit »

Tikpi Atchadam est né en 1967 à Kparatao, un village distant de 7 km de Sokodé, la capitale de la région Centrale, au sein de la communauté Tem. Elevé par des parents paysans, il dit avoir connu des « moments de misère ». « Ma haine de l’injustice a décidé de mon engagement politique », affirme-t-il. Un engagement qu’il dit avoir nourri en se plongeant étudiant dans la lecture. « J’y ai découvert que l’homme est maître de son destin s’il en a conscience. » Puis il voyage en Europe, où il découvre qu’il existe des endroits où « manger, se soigner, n’est pas un problème, que l’ouverture d’esprit est la garantie du développement ». L’anti-Togo en quelque sorte.

A l’issue de sa maîtrise en droit des affaires obtenue en 1992 à l’université de Lomé, il s’imagine professeur d’université. « Ils m’ont refusé une bourse en raison de mon militantisme dans les organisations étudiantes ». Pas de carrière professorale, donc, pour ce quinquagénaire dont un de ses proches vante « les talents de pédagogue ». Durant des mois, avant d’apparaître sur le devant de la scène, il a quadrillé le Togo profond, de petites réunions en petites réunions, pour convaincre. « La parole a une force, dit-il. Il faut ramener le discours politique dans la vie des gens et faire remonter la dynamique de la population dans les quartiers généraux des partis. Je leur explique avec des mots simples qu’ils comprennent ce que c’est qu’un budget, des lois sociales… Nous avons sorti ces sujets des amphithéâtres. »

Puis il pense à la magistrature jusqu’à ce que la lecture d’un livre sur les erreurs judiciaires ne mette un terme à cette vocation. S’en suivront douze années dans la fonction publique – dont deux ans comme secrétaire général de la préfecture de Tchaoudjo, où il fait ses premiers pas en politique et dit y « avoir été victime d’une tentative d’assassinat » – avant de rejoindre le ministère des droits humains, puis, en 2005, l’antenne togolaise de l’organisation non gouvernementale Care International. « J’ai à nouveau touché la misère des autres du doigt. J’ai aussi compris qu’en Afrique on ne peut rien changer si l’on n’est pas au pouvoir. »

« Combat à la loyale »

En 2014, cet admirateur de Cheick Anta Diop (1923-1986), éminent intellectuel sénégalais qui s’est attaché sa vie durant à rappeler l’apport de l’Afrique noire à la culture et à la civilisation mondiale, saute le pas : il crée le Parti national panafricain (PNP) avec « d’anciens copains de fac ». Il prend comme symbole la couleur rouge et un cheval cabré, pour « sa force, sa courtoisie et son élégance ». Autant de qualités dont il aimerait être paré.

Les structures dirigeantes du PNP restent floues. Le parti semble reposer sur le charisme de son leader. « On dit toutefois que le général Seyi Mémène, son cousin direct, serait son parrain politique », affirme une source de la présidence. Ce militaire à la retraite ne figurera pas au Panthéon de la démocratie togolaise. Originaire de la même région que son supposé filleul, il a en effet dirigé la redoutable sûreté nationale au temps d’Eyadema. Il était à ce poste lorsque le bouillant dirigeant du Parti socialiste panafricain Tavio Amorin, pourfendeur de la dictature de Gnassingbé père et inspirateur de Tikpi Atchadam, est assassiné en 1992 dans une rue de Lomé par deux hommes soupçonnés d’appartenir aux services de sécurité du pouvoir. Gandhi, Cheick Anta Diop, Tavio Amorin, la Révolution française… autant de références qui contredisent les accusations d’ethnicisme et d’islamisme lancées par le pouvoir et reprises du bout des lèvres par ses « partenaires » de l’opposition.

A ce jour, Tikpi Atchadam se garde de dévoiler ses ambitions politiques personnelles. « L’heure est à l’unité d’action avec les autres partis d’opposition pour obtenir le départ de Faure Gnassingbé. Ensuite, seulement, viendra le temps du combat à la loyale, programme contre programme, dit-il. Enfin, s’ils ne m’éliminent pas. »

Christophe Châtelot

Source : Le Monde