Un bras de fer entre les ministres Ayassor et Agadazi fait le malheur des paysans : Le torchon brûle entre Adji Otèth Ayassor et Ouro-Koura Agadazi, respectivement ministre de l’Agriculture et ministre de l’Économie et des Finances. Même le Premier Ministre Sélom Komi Klassou se trouve incapable d’éteindre le feu qui, dans son extension, embrase les champs et greniers de plusieurs centaines de paysans.

Les paysans togolais font les frais d'un bras de fer entre le ministre de l'Économie et des Finances Adji Otèth Ayassor (g) et celui de l'Agriculture, de l'Élevage et des Pêches Ouro-Koura Agadazi | Infog : 27avril.com
Les paysans togolais font les frais d’un bras de fer entre le ministre de l’Économie et des Finances Adji Otèth Ayassor (g) et celui de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Hydraulique Ouro-Koura Agadazi | Infog : 27avril.com

Les deux puissants ministres de Faure Gnassingbé ne s’aiment plus. Plus grave, ils se livrent une guerre qui prend en otage 300 à 350 paysans producteurs de semences situés sur toute l’étendue de territoire. Entre juin et juillet de l’année dernière, le Réseau national des semenciers du Togo a livré 440 tonnes de semences certifiées de maïs et 150 tonnes de semences certifiées de riz au Projet pour la Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO), sur commande de celui-ci.

Plus de huit mois après, ce projet placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture peine à rembourser les créanciers. Conséquence, toute la filière de production de semence, de Lomé à Cinkassé est plongée dans l’angoisse. Sans ressources financières, plusieurs paysans ont abandonné leurs champs et pris la fuite, sous le harcèlement des institutions de microfinance auprès desquelles ils ont contracté des prêts pour pouvoir produire et livrer à l’Etat sa commande. Les paysans indexent le conflit d’être par exemple à l’origine de la mort de leur point focal à Agbélouvé qui, faute de moyens pour soigner sa femme hospitalisée, a fait une crise qui l’a rapidement emporté.

Les familles sont en proie à la misère et les enfants privés d’éducation scolaire, se plaignent les semenciers.

Le PPAAO est une composante du fameux Programme national d’investissement agricole (PNIASA). Financé à hauteur de 9 milliards de nos francs, sur un prêt de la Banque Mondiale, ce projet a été géré, selon plusieurs sources, de façon catastrophique. Les fonds se seraient vite volatilisés dans des réseaux et procédures obscurs. « La mise en oeuvre du projet est à peine à 13% de résultats, pour 40% d’exécution physique alors que l’exécution financière a dépassé les 100%; ce qui veut dire qu’on a fini d’épuiser tout le financement de la Banque Mondiale (9 milliards) alors que sur 10 activités prévues, seulement 4 ont été réalisées et les résultats sont bien en deçà des résultats », révèle une source qui a requis l’anonymat.

L’enveloppe financière mise à disposition du Togo étant épuisée, c’est sur la contrepartie financière de l’Etat togolais que se réalise le reste des activités du projet. D’où l’implication du tout puissant Ayassor dans la crise actuelle. Le PPAAO doit 292 millions de francs CFA aux paysans. Et ce montant doit provenir du Trésor Public. Mais le détenteur des clés de la bourse fait blocage. Selon les informations, il reproche à son collègue de l’Agriculture des vices de procédure dans la gestion du marché. Par exemple, on évoque le fait que les commandes soient passées, les semences réceptionnées et même redistribuées aux bénéficiaires avant même que le contrat ne soit signé. « Le ministre dit que s’il ne voit pas les semences stockées quelque part, il ne paiera pas », confie un de ses proches. Alors que lesdites semences ont été réceptionnées et redistribuées depuis et qu’aucune trace ne puisse être encore retrouvée.

D’aucuns croient savoir même que le malaise est profond et que le ministre des Finances Adji Otéth Ayassor est décidé à imposer une discipline financière à son collègue de l’Agriculture Ouro-Koura Agadazi, souvent cité par l’Autorité de Réglementation des Marchés Publics (ARMP) dans des pratiques indécentes de passation de marché. En effet, les milliards investis dans les multiples projets placés sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Hydraulique, sont littéralement dilapidés par des fonctionnaires véreux souvent placés par le maître des lieux.

Règlement de compte ?

Ce qui oppose Ayassor à Agadazi va au-delà de la procédure viciée d’achat des semences, croient savoir plusieurs personnes de part et d’autres. Il se murmure au ministère de l’Agriculture qu’Ayassor n’aurait pas du tout digéré la mise à l’écart d’un de ses pions, à la tête d’une direction au ministère de l’Agriculture, par Agadazi, et qu’en retour, il bloque le décaissement des fonds pour le paiement des créanciers du ministère. En réclamant de voir les semences bien stockées dans un magasin avant de décaisser les 292 millions, Ayassor sait qu’il demande une preuve que son adversaire n’a pas la chance de pouvoir produire.

Aujourd’hui, le climat est tendu entre les Finances et l’Agriculture. Aux producteurs de semences qui ne cessent de mettre la pression, le ministre en charge de l’Agriculture se contente de dire que c’est son collègue qui refuse de libérer les fonds. Et qu’il a même saisi le Premier Ministre Sélom Komi Klassou. En vain. Certains producteurs seraient allés eux-mêmes se lamenter à la primature. Sans résultat. Adji Otèth Ayassor continue de tenir fortement la bourse, en s’opposant au décaissement. C’est d’ailleurs un jeu qui passionne particulièrement le crâne rasé. Depuis qu’il est entré au gouvernement, M. Ayassor en fait voir de toutes les couleurs à ses collègues. Il n’épargne même pas les Premiers Ministres qui, eux-mêmes, sont obligés de le supplier parfois. Là, c’est le doigt du colonel qu’il tient fermement entre ses dents.

Lui-même tout puissant ministre qui fait la misère à ses collaborateurs qu’il se presse de jeter en prison, selon ses humeurs, Ouro-Koura Agadazi qui s’est toujours montré comme un fidèle qui jouit d’une attention auprès du Prince, est aujourd’hui dans de beaux draps. Cela fait des mois que cette crise dure, et on voit bien que ses prétendues relations avec le Prince et ses réseaux à la présidence ne suffisent pas pour faire lâcher le morceau à l’autre protégé Ayassor.

Et les producteurs dans tout ça ?

Lorsque deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui en souffrent, dit-on souvent. On peut dire dans ce cas que lorsque deux protégés de Faure Gnassingbé se battent, ce sont les paysans qui en souffrent. c’est la troisième fois que les producteurs de semences sont dans l’attente du versement de leurs dus. « Nous ne demandons pas une augmentation de salaire ni une révision d’une quelconque grille salariale, nous demandons juste qu’on nous rembourse nos sous. Si on parle de vice de procédure, en quoi cela nous regarde, nous ? Ce sont eux qui s’occupent des procédures non ? En quoi un paysan est-il mêlé à un vice de procédure pour qu’on le pénalise pour cela ? », s’interroge un des créanciers.

Entre-temps, après livraison des produits qu’ils ont eux-mêmes acheminés jusqu’aux points de livraison, les Finances ont demandé aux producteurs de passer à l’Office Togolais des Recettes (OTR) pour régler les impôts. Ce qui a été fait en octobre, soit deux à trois mois après livraison des produits. Les producteurs ont dû racler le fonds de leurs caisses pour mobiliser un millions deux cent mille qu’ils ont versé à l’OTR. Cela n’a pas été suffisant pour faire avancer leur dossier.

A l’orée d’une nouvelle campagne agricole, ils se demandent si leur sort connaîtra une amélioration et leurs fonds seront libérés. Face à la situation, certains n’excluent pas des manifestations de rue dans les prochains jours à Lomé pour se faire entendre. On annonce l’édition 2016 du Forum du Paysans pour la fin du mois de mars à Kara. Les producteurs de semences menacent de se faire entendre bruyamment à ce rendez-vous auquel sont attendus Faure Gnassingbé et son ministre de l’Agriculture, le colonel vendeur de maïs (sic), Ouro-Koura Agadazi, si jusque là, le règlement de leur facture n’est pas effectif.

Source : [15/03/2016] Mensah K., L’Alternative No. 506