Les autorités caressent le rêve de voir un jour le Togo se hisser au rang des pays émergents, raison pour laquelle la zone franche a été implantée dans le pays depuis des décennies. Mais si des sociétés qui se sont vu accorder une période d’exonération d’impôts doivent du jour au lendemain manipuler leurs données comptables pour se déclarer en faillite et reverser des centaines d’employés dans le cercle des chômeurs, il y a lieu de se pencher sur les conditions qui ont prévalu lors de leur installation. Nous apprenons que l’une d’elle, spécialisée dans la confection des mèches pour femmes, se prépare à mettre la clé sous le paillasson. Reste à savoir si cette pratique est permise, valable et si elle répond aux clauses des sociétés des zones franches d’ailleurs.

La société installée dans la zone franche du Togo, après avoir bénéficié pendant plusieurs années des largesses fiscales et autres avantages, s'apprête à déménager ses activités à Lagos au Nigéria. Une fraude sérieuse contre le fisc togolais, l'OTR. Ci-dessus, L’entrée de l’usine de production avec au fond les cartons d’empaquetage | Photo : Liberté
La société installée dans la zone franche du Togo, après avoir bénéficié pendant plusieurs années des largesses fiscales et autres avantages, s’apprête à déménager ses activités à Lagos au Nigéria. Une fraude sérieuse contre le fisc togolais, l’OTR. Ci-dessus, L’entrée de l’usine de production avec au fond les cartons d’empaquetage | Photo : Liberté

Que le Togo traverse une situation de vie chère est une chose, mais que cette cherté de la vie ne se remarque pas sur la tête des femmes, en est une autre. L’impression générale est que la crise ne semble pas avoir atteint la tête des femmes, et donc les sociétés spécialisées dans la confection des mèches de cheveux. La beauté de la femme étant logée au-dessus de sa tête, elle accorde à cette partie de son corps le plus grand soin, quitte à effectuer des coupes sur les frais de la popote. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, on apprend que NINA, l’une des sociétés installées au Togo dans le cadre de la zone franche, s’activerait à se déclarer en faillite.

La semaine dernière, nous avons pu approcher des employés de cette société et voilà ce que nous avons appris : « Nous travaillons au ralenti depuis un moment. Depuis le 8 mars dernier, nous n’avons pas été au boulot ; la direction nous fait dire que les ventes ne coulent pas alors que tous les jours, nous nous employons à produire les quantités requises », nous a confié un employé. Mais un autre a été plus loin dans ses confidences. «En réalité, nous sentons comme un air de préparation à une fermeture de la société. Parce qu’en mars déjà, bien que nous n’ayons pas travaillé, la direction nous avait rappelés pour nous verser un montant qui représente 35% de notre salaire. Et ce mois encore, nous avons reçu la même chose. Quand nous avons cherché à comprendre, il nous a été répondu que ce sont des « mesures d’accompagnement ». Nous ne comprenons pas ce qui se passe étant donné que NINA fait partie de la zone franche. A quelle sauce nos autorités veulent nous faire manger par ces étrangers ? Actuellement ce sont d’anciens stocks qui sont en train d’être écoulés et les cartons sont en cours d’évacuation de l’usine», nous a-t-il confié.

Des informations alarmantes pour les employés de NINA en provenance du Nigeria, font état de ce que les responsables de la société sont en train d’installer la même société à Lagos sur une surface beaucoup plus vaste que celle de Lomé, et certains employés auraient été contactés avec des « propositions indécentes » tendant à leur faire rallier cette ville sitôt les travaux achevés. Ceci expliquerait donc cela.

Comment les responsables de NINA s’y prendraient-ils pour se déclarer en faillite si les agents de l’Etat chargés des contrôles devraient s’acquitter de leur tâche avec conscience? Il est vrai que la manipulation des résultats d’une société est chose possible, mais il est tout aussi vrai qu’à partir des bénéfices nets déclarés de la société, celle-ci pourrait être épinglée. Autre chose, pour quelle finalité emploie-t-on le terme « mesures d’accompagnement » si les responsables ne sont animés d’aucun dessein perfide ? C’est le lieu d’interpeller les autorités sur les conditions qui ont sous-tendu l’adhésion de la société NINA au sein de la zone franche togolaise. Car une zone franche n’est pas installée pour mettre la clé sous le paillasson après avoir réalisé d’énormes profits.

La société installée dans la zone franche du Togo, après avoir bénéficié pendant plusieurs années des largesses fiscales et autres avantages, s'apprête à déménager ses activités à Lagos au Nigéria. Une fraude sérieuse contre le fisc togolais, l'OTR. Ci-dessus, Au fond, les logements et à droite, un des magasins de stockage | Photo : Liberté
La société installée dans la zone franche du Togo, après avoir bénéficié pendant plusieurs années des largesses fiscales et autres avantages, s’apprête à déménager ses activités à Lagos au Nigéria. Une fraude sérieuse contre le fisc togolais, l’OTR. Ci-dessus, Au fond, les logements et à droite, un des magasins de stockage | Photo : Liberté

Selon les informations, c’est en 1990 que NINA s’est installée au Togo et pendant au moins une décennie, elle a été exonérée d’impôts et autres taxes connexes, ce qui lui a permis de faire des profits à faire pâlir des sociétés hors-zone franche. En 2013, l’entreprise aurait été provisoirement fermée pour non payement d’impôts. Et moins de deux ans plus tard, la voilà en pleine délocalisation vers la Nigeria. Etait-il inscrit dans les clauses du contrat que NINA pourrait partir ailleurs après avoir été exonérée d’impôts ? Si elle a pu entamer sa réimplantation dans un autre pays, c’est signe qu’elle n’est pas aussi en faillite que ça !

Le Togo n’est pas le seul pays à avoir initié la zone franche, loin de là. Si aujourd’hui l’Ile Maurice est classée parmi les pays émergents comme Hong-Kong et Singapour, ce n’est certainement pas pour avoir autorisé des entreprises à s’installer sur son sol pour repartir quelques années après. Constituée de trois îles couvrant une superficie de 2.040 km2, ce pays compte 1,3 millions d’habitants et a accédé à l’indépendance en 1968. Il ne vivait que de l’exportation de la canne à sucre dont les cours fluctuaient souvent à la baisse. Mais grâce à un Premier ministre visionnaire, le pays diversifia sa production dans diverses industries exportatrices en créant des zones franches. Quatre décennies plus tard, ce petit pays sans richesses naturelles est devenu premier pays africain en matière de compétitivité et son revenu par tête d’habitant est passé à 9.300 dollars pendant que le Togo lutte pour se maintenir à 600 dollars. Assurément que l’Ile Maurice n’a pas ouvert sa zone franche aux entreprises pour que celles-ci, après en avoir profité, se déclarent en faillite.

Le phénomène du chômage est un casus belli au Togo, malgré les fanfaronnades d’un ministère dit du Développement à la Base, de la Jeunesse, de l’Artisanat et de l’Emploi des Jeunes ou de la Délégation à l’organisation du secteur informel (DOSI). Les 1400 employés qui vont bientôt grossir les rangs des chômeurs drainent derrière eux des bouches à nourrir, et Dieu seul sait combien. Pendant qu’une société à laquelle trop de concessions auraient été faites au point d’être en train de s’installer ailleurs, se prépare à envoyer des pères et des mères de familles à la rue, le pouvoir en place, incapable de créer des entreprises ou de protéger l’emploi de ses administrés, dit pouvoir organiser une élection présidentielle sur fonds propres et voudra quémander les voix de ces futurs chômeurs. Ainsi fonctionne le Togo, hébergeur d’une zone franche et « futur pays émergent ».

Quels seront les droits que versera la société NINA aux employés dont certains cumulent une quinzaine d’années de service ? Il nous revient que l’ancien directeur général avait été sauté de son poste lorsqu’il avait émis l’idée de construire des logements sociaux aux employés qui en deviendraient propriétaires aux termes de la collaboration. L’Inspection du travail et des lois sociales pourra-t-elle défendre les droits des employés ou ceux-ci devront-ils se référer à des avocats pour voir leur cause mieux défendue ? On attend de voir.

Source : [13/04/2015] Abbé Faria, Liberté-Togo