Des touristes photographient des elephants au Botswana | AFP / LMA
Des touristes photographient des elephants au Botswana | AFP / LMA

Naiwezi Shamoka, 47 ans, se repose à l’ombre d’un palmier. Elle ignore que 70 kilomètres plus loin, à Kasane, ville touristique au nord du Botswana, se tient une importante conférence sur le trafic des espèces protégées. Dans un hôtel quatre étoiles, à une heure de route de sa maison en paille, le président du pays Ian Khama et des représentants de gouvernements étrangers s’alarment du déclin, voire de la probable disparition des éléphants à l’état sauvage à l’horizon 2030.

Naiwezi, elle, s’inquiète de leur prolifération. Si le nombre d’éléphants a chuté de 15 % en dix ans en Afrique, il a triplé en trente ans au Botswana. Le pays abriterait 130 000 des 500 000 éléphants du continent. Et dans la région de Chobe, où vit Naiwezi, les hommes ne représentent qu’une infime partie des « habitants » de la savane. Selon les dernières estimations, ils seraient 24 000 pour 27 000 éléphants.

Une cohabitation difficile. Naiwezi pointe du doigt tout ce qu’elle possède : un champs de maïs, piétiné la veille par les pattes du mastodonte. Dans les années 1980, son mari, Gibson, aurait sorti son fusil et tiré en l’air pour effrayer la bête. Ou l’aurait simplement abattue. De quoi subvenir aux besoins de la famille pendant plusieurs mois.

Mais depuis que le Botswana fait figure de proue de la protection des animaux sauvages sur la scène africaine, le fusil de Gibson reste au placard. « Il est interdit de les tuer, sauf en cas de légitime défense », souligne Mike Chase, fondateur de l’organisation non gouvernementale Elephants sans frontières.

« Le Botswana est plus qu’un refuge pour les éléphants, c’est un sanctuaire. Ils migrent ici afin d’échapper aux persécutions des pays voisins », s’enthousiasme-t-il. Un paradis pour les éléphants, mais « un enfer pour les résidants » s’agace Amos Ben Mabuku, président de « Chobe enclave conservation trust », une des nombreuses associations du pays aidant les communautés locales à se développer grâce à l’argent du tourisme. Selon lui, ce ne sont pas les pachydermes, mais les hommes qui finiront par déserter la région. « Certains ont déjà plié bagage, ils ne se sentent plus chez eux », affirme-t-il.

Les éléphants circulent librement. Ils s’introduisent dans les champs, piétinent les récoltes et s’attaquent parfois aux habitants. A Mabele, le village de Naiwezi, « deux personnes ont été tuées l’année dernière », se désole Amos Ben Mabuku, qui rappelle que le pays compte seulement deux millions d’âmes. Selon Mike Chase, ces accidents peuvent être évités si « les agriculteurs ne plantent pas leurs maïs au milieu des passages empruntés depuis la nuit des temps par les éléphants. »

« La situation devient alarmante »

En 2014, 6 000 conflits entre animaux et habitants ont été recensés au Botswana. « Les victimes reçoivent des compensations financières », souligne Tshekedi Khama, frère du président et ministre de l’environnement, de la faune sauvage et du tourisme. Des compensations bien maigres à en croire les résidants de Mabele. « Je les attends toujours », explique Naiwezi d’un air las, allongée sur un matelas en caoutchouc. Les lions, eux, s’attaquent aux bétails. Le voisin de Naiwizi affirme que trente de ses vaches sont mortes sous les griffes de cette autre espèce « vulnérable ». Il a reçu 300 Pulas (28 euros) pour chacune d’elles. « Elles valent en réalité trois fois plus chères », dit-il d’un air las.

« La situation devient alarmante », assure le député de Chobe, Ronald Shamukuni. Si celui-ci a affirmé pendant la conférence « être prêt à mener une guerre sans relâche contre les braconniers et autres trafiquants d’espèces menacées », il a aussi demandé au ministre Tshekedi Khama de lever l’interdiction de la chasse. Depuis janvier 2014, le Botswana n’organise plus de safaris « meurtriers », contrairement à l’Afrique du Sud. « Si nous délivrons aux touristes quelques dizaines de permis de chasse chaque année, cela permettra de réduire légèrement le nombre d’éléphants et de les éloigner des villages », estime Ronald Shamukuni.

La délivrance de permis de chasse représente aussi un intérêt économique de taille. Un permis pour tuer un éléphant se vend au moins 10 000 euros. L’argent pourrait être versé aux communautés locales, comme cela se faisait avant l’interdiction de la chasse. « Il faut que les villageois puissent aussi tirer profit de cette faune exceptionnelle, qu’ils en perçoivent les avantages et pas seulement les inconvénients », rappelle Ronald Shamukuni.