Les Togolais majoritairement méfiants à l’endroit de la Police et réticents à s’y plaindre en cas de crime subi. C’est le résultat d’un sondage mené par le consortium Afrobaromètre sur une trentaine de pays africains. Des conclusions qui reflètent sans doute la réalité dans notre pays. Mais au-delà d’une simple méfiance des citoyens à l’égard de la Police, cette étude relève les relations heurtées entre les populations civiles et les corps habillés au Togo de façon générale.

Les Togolais ont raison pleinement raison d'être méfiant envers les forces de l'ordre qui puent la  Corruption, les Abus, les Bavures, etc... | Caricature : Donisen Donald / Liberté
Les Togolais ont raison pleinement raison d’être méfiant envers les forces de l’ordre qui puent la Corruption, les Abus, les Bavures, etc… | Caricature : Donisen Donald / Liberté

Le Togo à la pointe de la méfiance envers la Police

Le consortium de sondage Afrobaromètre continue ses études autour de différentes thématiques. Cette fois-ci, ce sont les relations entre les populations civiles et les forces de Police qui ont fait l’objet d’étude. Les populations africaines ont-elles le sentiment que la Police est à leur écoute et qu’elle maintient l’ordre dans leur pays ? Telle est en substance la question qui a été posée à un échantillon de citoyens africains.

L’enquête à concerné trente-quatre (34) pays et les témoignages obtenus montrent simplement un manque de confiance entre les populations et les forces de Police. Dans les deux tiers des pays concernés par l’enquête, la majorité des sondés trouvent inutile de se déplacer jusqu’au commissariat après avoir été victimes d’une violation de ses droits ou d’un crime, car la Police n’a pas d’oreilles pour eux.

D’autres sondés relèvent que les agents leur demanderaient de l’argent ou même que la Police ne sera pas capable d’intervenir. Et ce sont les raisons pour lesquelles une large majorité des victimes de crimes et autres actes délictuels interrogées ne vont jamais porter plainte auprès de la Police. En tête de ces pays, figure le Togo.

Des 34 pays concernés par ce sondage, c’est donc chez nous que cette méfiance entre les citoyens et le corps de la Police est plus prononcée. Le Togo est suivi du Bénin. Selon l’enquête d’Afrobaromètre :

  • 79 % des Togolais affirment ne plus vouloir amener les malfaiteurs aux postes de Police, à raison sans doute.
  • Ils sont 29 % de ces sondés à ne croire à aucune aide de la part de la Police et
  • 41% voient le gouvernement responsable de la recrudescence du crime et de la délinquance car ne faisant pas grand-chose pour éradiquer le fléau.
  • A en croire ces chiffres, plus de 24% de Togolais se sentent en danger dans la rue et 34% à la maison.

« Au Togo, face à la montée des vols à main armée et des braquages, la réponse trouvée à cette insécurité, c’est le lynchage. Le problème, c’est que beaucoup de Togolais ne veulent plus amener les voleurs au poste de Police. Au quartier d’Agoè comme dans tous les quartiers périphériques de Lomé, les raisons sont les mêmes : on ne fait pas confiance aux forces de sécurité. On préfère donc s’en occuper soi-même », rapporte le confrère RFI sur son site. Comme solution à ce manque de confiance généralisée des populations à la Police sur le continent africain, Boubacar N’Diaye, professeur d’Etudes africaines et de Science politique au Wooster college aux Etats-Unis qui planche sur la réforme des secteurs de sécurité, recommande simplement aux Polices africaines d’effectuer leur « révolution culturelle ».

Une méfiance amplement justifiée

Les conclusions du sondage d’Afrobaromètre concernant le Togo n’étonnent pas. Elles sont une caricature réelle de la situation dans notre pays. Les rares appels des citoyens aux forces de Police ou corps habillés en général tombent toujours dans des oreilles de sourds. Les forces de l’ordre et de sécurité ne donnent jamais de suite aux cris au secours des populations civiles en cas d’insécurité. Par mépris, par crainte pour leur propre sécurité sur le lieu d’intervention ou pour toute autre raison.

C’est un secret de Polichinelle, une fois sur le terrain, les corps habillés cherchent d’abord à connaitre celui qui les a appelés, dans l’espoir d’une suite favorable, avant de s’enquérir du problème pour lequel ils sont requis. Généralement, ces forces sont appelées en cas d’arrestation de malfrats par les populations. Mais la quasi-indulgence réservée à ces voleurs n’encourage pas à les appeler au secours une autre fois. Parfois, ces malfrats sont libérés sans autre forme de procès et on les retrouve quelques jours après en train de commettre les mêmes forfaits ou même s’en prendre aux citoyens qui les auraient fait arrêter. L’illustration de cette méfiance des citoyens à l’endroit des forces de Police est offerte par la situation engendrée par les braquages actuellement en vogue à Lomé et sa périphérie.

C’est depuis plusieurs mois que les vols connaissent une recrudescence dans la capitale. Chaque nuit, avec son lot de braquages suivis de morts d’hommes. Les cibles privilégiées sont des motocyclistes. Pour leur arracher leur moto, les malfrats n’hésitent pas à leur ôter la vie. Presque tous les quartiers sont concernés, mais les plus touchés sont Adidogomé, Agoènyivé et leurs environs.

L’insécurité n’épargne personne, des citoyens anonymes aux leaders politiques en passant par des corps habillés, tout le monde est touché par le fléau qui est même banalisé. Me Tchassona Traoré du Mouvement citoyen pour la démocratie (Mcd) a vu son cabinet cambriolé, un militaire a été récemment tailladé et en est décédé. La dernière victime en date de l’insécurité est un enseignant de l’Esag Nde.

Depuis les premiers signaux des braquages, les citoyens n’ont pas hésité à appeler les corps habillés au secours. Mais leurs cris leur reviennent en écho, et le phénomène continue. C’est à ne rien comprendre lorsqu’on sait que chaque année, des agents sont recrutés en masse dans les différents corps, les matériels de répression régulièrement acquis, des initiatives tous azimuts annoncées pour assurer une meilleure sécurité aux populations comme les opérations Araignée, la fameuse Police de proximité, entre autres.

Ce sont les corps habillés qui constituent en tout cas les couches de la population les plus dorlotées. Les citoyens ont l’impression légitime d’être abandonnés par les forces de l’ordre et de sécurité qui ont pourtant le devoir de leur assurer la sécurité. C’est logique qu’il n’y ait pas de relations de confiance entre les deux entités.

Une cassure réelle entre les corps habillés et les civils

On ne saurait aborder cette problématique de méfiance entre les citoyens togolais et la Police sans la placer dans le moule général des relations entre les civils et les corps habillés au Togo. C’est une méfiance généralisée des populations à l’endroit des forces de l’ordre et de sécurité que l’on constate. Et pour cause, les agents qui sont censés les protéger, les soumettent à des maltraitances de toutes sortes.

Au Togo, un militaire ou simplement un corps habillé est un surhomme qui a le droit de vie et de mort sur le civil. C’est un plaisir quasiment libidinal que les agents des forces de l’ordre et de sécurité éprouvent à réprimer les marches de protestation contre le pouvoir. Au 228, on peut taper sur le civil comme sur une bête de somme sans craindre quoi que ce soit. Même en cas de bavures entrainant mort d’homme ou lorsque sa responsabilité est ostentatoire, l’agent trouve toujours un avocat en ses supérieurs hiérarchiques. C’est ce rôle à la limite du cynisme qui est joué par le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Colonel Yark Damehame, dans l’affaire de la répression contre les populations de Mango les 6 et 7 novembre derniers.

A en croire Yark Damehame, ce sont les tirs de sommation faits en l’air et de simples fausses manœuvres du conducteur du char qui ont tué les sept (07) personnes. Les mêmes gymnastiques ont été notoires dans plein d’autres dossiers. Les agents fautifs n’ont jamais été confrontés à leurs actes. En tout cas, ils sont toujours protégés et l’impunité leur est assurée.

On jette à la figure des citoyens qu’ils sont mis aux arrêts de rigueur, mais personne ne connait leur identité et le châtiment qui leur est réservé. Les auteurs de la mort en avril 2013 des deux élèves à Dapaong, Anselme Sinandaré et Douti Sinanlengue ne sont jamais connus de l’opinion. Les auteurs des tortures sur les citoyens, les bourreaux du millier de Togolais en avril 2005 ne sont jamais inquiétés. Durant les audiences de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (Cvjr), les hauts galonnés se sont employés à nier toute responsabilité de l’armée dans les événements tragiques connus par notre pays…Au Togo, les corps habillés sont simplement des intouchables. Il y a une cassure réelle entre le civil et le militaire au Togo. Ceci peut donc expliquer cela.

Source : [18/11/2015] Tino Kossi, Liberté