Jonathan Fiawoo (insertion) usurpe une villa à Lomé. Devanture de l’immeuble situé 45, rue des Ormes à Nyékonakpoè | Photo : Liberte-Togo
Jonathan Fiawoo (insertion) usurpe une villa à Lomé. Devanture de l’immeuble situé 45, rue des Ormes à Nyékonakpoè | Photo : Liberte-Togo

L’une des carences de la justice togolaise est son incapacité à dire le droit et à s’y tenir, au point que certains se plaisent à faire remarquer qu’il existe le droit international et « le droit à la togolaise » du fait de l’immixtion de considérations qui finissent par tordre le cou à la loi. Comme cette décision rendue le 15 avril 1988 en faveur des héritiers de feu Walter Amavi Lokotrolo représentés par Ayélé Lokotrolo Lawson, ayant pour avocats Mes Ocansey et Hégbor contre les héritiers de feue Paulette Tao d’Almeida représentés par Jonathan Fiawoo dont l’avocat est Me Yawovi Agboyibo. Une maison à étage sise au 45, rue des Ormes à Nyékonakpoè, a été attribuée par la cour d’Appel et la cour de cassation à Jonathan Fiawoo après que celui-ci a brandi un « reçu de vente » d’une valeur de…200.000 FCFA alors que le Tribunal de Première instance avait débouté.

Cette affaire n’est que le prolongement du malheureux incident dont nous avions fait écho dans notre parution du mercredi 29 avril dernier. Après une altercation ayant opposé Mme Ayélé Lokotrolo épouse Lawson au sein de l’église Salem de Hanoukopé à M. Jonathan Fiawoo, celui-ci a suivi la voiture de cette dame, et comme dans les films hollywoodiens, lui a barré la voie et s’est rué sur elle pour la rouer de coups en pleine rue. Nous apprenons vendredi dernier que dans son compte rendu des faits, M. Fiawoo a lâchement et intentionnellement omis d’avouer à son avocat le fait d’avoir suivi la dame et l’avoir agressée à son tour au point que celle-ci perde la montre de valeur qu’elle arborait. Son avocat, bien que surpris et désarçonné par ce qu’on peut qualifier de « mensonge par omission », l’a quand même défendu. Et si durant l’altercation qui les a opposés, Jonathan Fiawoo a eu à proférer des menaces à l’encontre de la dame, ce n’est certainement pas à cause de ce qui s’est passé au sein de l’enceinte de l’église. « Si tu ne retournes pas d’où tu viens, tu n’y retourneras plus jamais », aurait menacé en substance celui qui, pendant longtemps, avait été président de la Chambre de commerce et d’industrie du Togo (CCIT). Il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on.

Le 23 avril 1992, la Cour d’appel de Lomé avec à sa tête le président Akakpovi, a infirmé le jugement N° 343/88 prononcé le 15 avril 1988, et après avoir statué, « dit que la vente consentie par Walter Lokotrolo est régulière et parfaite et partant, opposable à ses héritiers ». Près de 17 ans plus tard, soit le 15 janvier 2009, la chambre judiciaire de la Cour suprême, suite au pourvoi N° 42/RS du 11 novembre 1994, rejette celui-ci, prononce la confiscation de la taxe de pourvoi et condamne les demandeurs aux dépens. Mais les héritiers de Walter Lokotrolo ne comptent pas se livrer en agneau sacrificiel, ce qui augure certainement une reprise de ce procès. De quoi s’agit-il en fait ?

De façon succincte, M. Walter Lokotrolo avait eu pour concubine Paulette Tao d’Almeida, mère de Jonathan Fiawoo et celle-ci avait résidé avec ses enfants dans la demeure de celui-là. A la mort de Paulette d’Almeida le 17 août 1973, sa fille Toovi Afi mit la maison en location. M. Amavi Walter Lokotrolo décéda par la suite en décembre 1980, et c’est à la demande des héritiers de celui-ci que ceux de Paulette d’Almeida, avec à leur tête Jonathan Fiawoo brandissent un supposé contrat de vente de la demeure qui est une villa de 5 chambres, 2 séjours, 3 salles de bain et cuisine pour une valeur de…200.000 FCFA ! Il est alors utile que les amoureux de la chose juridique prennent connaissance de ce qu’avaient été les péripéties de ce dossier jusqu’à l’audience du vendredi 15 avril 1988, il y a donc 27 ans.

Le 13 février 1984, les héritiers de Lokotrolo Amavi représentés par Ayélé Lokotrolo, épouse Lawson ont fait donner assignation aux héritiers de feue Paulette Tao d’Almeida prise en la personne de Jonathan Fiawoo à comparaître le vendredi 17 février 1984 devant le Tribunal de Première classe de Lomé. Le point de fait de l’audience dit que feu Amavi Lokotrolo possédait de son vivant une villa maison à étage sise à Lomé Nyékonakpoè bâtie sur un terrain de 5 ares immatriculée au Livre foncier sous le N° 11923 Vol. LX F° 177. Depuis 1975, les héritiers de feue Paulette Tao d’Almeida occupaient cette villa sans droit ni titre de propriété, et sous prétexte que le sieur Lokotrolo, avant son décès, aurait vendu l’immeuble pour la somme de 200.000 FCFA à leur auteur et ce, devant Me Hillah, notaire à Lomé, mais le point de fait relève qu’en 1975, le terrain nu valait plus d’un million dans le quartier concerné. Les héritiers de dame d’Almeida (dont Jonathan Fiawoo) se sont abstenus d’exhiber l’acte de vente dont ils se prévalent et depuis 1975, ils ont loué la maison et en perçoivent les loyers et se refusent de la délaisser au profit des héritiers de Lokotrolo.

L’assignation fut inscrite au rôle général sous le N° 109/84 et appelée à l’audience du vendredi 17 février 1984. Mais comme on pourrait le deviner, l’affaire connut plusieurs renvois successifs « pour divers motifs » jusqu’à l’audience du 4 septembre 1987 à laquelle elle fut utilement retenue. Après que les avocats ont déclaré s’en rapporter à leurs conclusions respectives déposées au dossier, le Ministère public qui a eu la parole pour ses conclusions, a déclaré s’en rapporter à la justice. Et voici in extenso le point de droit et les discussions qui en sont issus.

« Point de droit : La cause en cet état présentait à juger les différentes questions de droit résultant des conclusions des parties et des pièces du dossier ; quid des dépens ? Sur quoi l’affaire fut mise en délibéré pour le jugement être rendu le 4 décembre 1987, lequel délibéré fut prorogé au 18 mars 1988 puis au 15 avril 1988. Et ce jour 15 avril 1988, le Tribunal vidant son délibéré, a rendu le jugement dont la teneur suit :

Le Tribunal, ouï les parties en leurs conclusions respectives ; le Ministère public entendu ; et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Monsieur Amavi Lokotrolo possédait une villa maison sise à Nyékonakpoè, bâtie sur un terrain de 5 ares et habitée par Madame Paulette Tao d’Almeida ;

Madame Paulette Tao d’Almeida décéda le 17 août 1973 ; sa fille Toovi Afi mit en location la maison du 9 octobre 1975 jusqu’en 1981 où l’immeuble fut repris pour un usage personnel ;

Monsieur Amavi Lokotrolo décéda en décembre 1980 ; les héritiers de ce dernier réclamèrent aux héritiers de Mme Tao d’Almeida la propriété de l’immeuble par eux occupé, motif pris de ce que leur auteur jouissait de la maison en qualité de concubine de leur père ;

Les héritiers de Tao d’Almeida opposèrent aux héritiers de Lokotrolo un contrat de vente notarié  conclu en leur faveur en 1972 chez Maître Jules Ayité Hillah entre leurs auteurs respectifs ;

Par assignation en date du 13 février 1984, les héritiers de Lokotrolo sollicitent du Tribunal de Première instance de Première classe de Lomé l’annulation du contrat de vente opposé par les héritiers de Tao d’Almeida, motif pris de ce qu’il serait un faux, l’expulsion de l’immeuble qu’ils occupent sans droit ni titre et la condamnation des héritiers Tao d’Almeida au payement des loyers indûment perçus.

Mais par conclusion en réponse, les héritiers Tao d’Almeida, sur la base de l’article 94 du Code de procédure civile, concluent à l’irrecevabilité de l’action intentée contre eux par les héritiers Lokotrolo et ont, par demande reconventionnelle, sollicité du Tribunal que la vente consentie par M. Amavi Lokotrolo en 1972 à leur auteur soit déclarée parfaite et régulière, qu’elle soit en conséquence confirmée et que autorisation soit donnée au conservateur de la propriété foncière en vue de muter l’immeuble en leur nom ». Les remarques issues de la discussion furent tout aussi édifiantes et ont fait intervenir un entrepreneur.

« Discussion : Attendu qu’il est constant ainsi que le démontrent les pièces du dossier, notamment le devis de l’entrepreneur J. Casoni que le terrain litigieux ainsi que le bâtiment qui y est érigé furent la propriété du feu Lokotrolo avant 1972, date du contrat de vente produit par les défendeurs et contesté par les demandeurs ;

Attendu qu’il a été fait mention dans ledit contrat de vente que cette dernière portait sur une parcelle de terrain urbain non bâtie ;

Attendu que suivant le devis de l’Entrepreneur J. Casoni, les travaux de construction d’une maison à étage sur l’immeuble litigieux devaient prendre fin et auraient effectivement pris fin le 9 février 1972, puisqu’en 1973 la maison était déjà habitable et habitée par Mme P. Tao d’Almeida ;

Attendu que les héritiers de cette dernière, en affirmant leur propriété sur l’immeuble litigieux, n’ont à aucun moment prouvé quand et comment leur auteur avait pu entreprendre et finir les travaux de construction de la maison ; qu’il y a lieu, au vu de ces observations contradictoires, d’enlever tout crédit au document contractuel qui d’ailleurs ne contient pas la date précise de sa rédaction, un des éléments substantiels qui pouvait permettre au Tribunal de se situer dans le temps ;

Attendu par ailleurs que les héritiers de feue P. Tao d’Almeida attendirent que mutation soit d’abord faite au nom de Lokotrolo Amavi puis en leur nom alors qu’en droit, ils devaient, munis du contrat de vente, faire directement muter en leur nom l’immatriculation de l’immeuble au registre foncier en tant que véritable propriétaires ;

Attendu que M. Amavi Lokotrolo décéda en décembre 1980, que les héritiers Tao d’Almeida firent en 1982 immatriculer à leurs frais, mais au nom du feu Lokotrolo l’immeuble litigieux au registre foncier ;

Attendu que le fait pour les défendeurs d’attendre le décès de celui qui pouvait, le premier, contester leur propriété sur l’immeuble, avant d’entreprendre la procédure de mutation d’immatriculation au registre foncier, constitue une preuve de mauvaise foi de leur part ; qu’il y a lieu une fois encore d’écarter tout moyen tendant à attribuer aux défendeurs la propriété de l’immeuble litigieux et de déclarer la demande reconventionnelle irrecevable ;

Attendu qu’il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande des héritiers Lokotrolo sur tous ces points sauf l’exécution provisoire ;

Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort ; reçoit la demande des héritiers Lokotrolo ; la juge régulière et bien fondée en la forme ;

Au fond : Ecartant des débats le contrat de vente considéré comme peu crédible eu égard aux motifs ci-dessus ; déclare la demande reconventionnelle irrecevable ; condamne les héritiers Paulette Tao d’Almeida à vider de corps et de biens des lieux litigieux ; dit que les héritiers Lokotrolo demeurent en tant que successeurs de leur auteur propriétaires de l’immeuble litigieux ; condamne les héritiers Tao d’Almeida à verser aux héritiers Lokotrolo la somme de 5.210.000 francs, montant des loyers indûment perçus par eux jusqu’à la date de l’assignation ainsi que ceux perçus jusqu’à ce jour ; rejette la demande d’exécution provisoire ; condamne les défendeurs aux dépens ».

Rappelons que l’immeuble conflictuel a déjà abrité dans le passé M. Dahuku Péré alors ministre, Akrima Kogoé et Edoh Antoine, ancien DG des Douanes et qu’aujourd’hui, il est en location contre 650.000 FCFA mensuellement.

Il apparaît donc, au vu de ce jugement, que les problèmes du foncier ne datent pas d’hier et que les esprits vautours qui cherchent à tordre le cou au droit dans leurs intérêts personnels, ont la vie dure. Il vous souvient que le nom de Jonathan Fiawoo est apparu comme acteur principal dans le braquage financier dont la banque panafricaine Ecobank a été victime il y a quelques mois. L’homme a tenté de manipuler et sa femme, et la justice pour que le droit soit dit en sa faveur. Tout le monde se rappelle comment il était arrivé à l’audition, tiré à quatre épingles –certainement pour influencer la justice-, mais n’était plus retourné à la maison et a dû goutter aux délices de la privation de liberté. Cette affaire foncière est la preuve qu’en matière de manipulation de la justice, l’homme s’y connaissait depuis. Sinon, il est utile que ceux qui disent le droit et pensent que la justice doit retrouver ses lettres de noblesse –si jamais la justice togolaise en avait-, se prononcent dans ce dossier qui n’a certainement pas encore connu son épilogue, un dossier mal tranché pouvant être rouvert à la volonté d’une des parties en conflit.

Si le 26 avril dernier, après qu’il s’est inspiré des films et a barré la route à dame Ayélé Lokotrolo pour ensuite la rouer de coups, le sieur Jonathan Fiawoo avait avoué cet épisode à son avocat, on croirait à sa sincérité. Si dans le dossier Ecobank, le même Jonathan Fiawoo n’avait pas usé de tous les attributs de Machiavel pour que ce soit sa femme Elvire Blanchette Grunitzky qui paye seule sa cupidité à lui, on douterait de sa capacité de nuisance. Mais les faits sont têtus et finissent toujours par rattraper leurs auteurs. Modernisation de la justice togolaise, nous avait-on dit ? La réouverture de ce dossier constituera une preuve tangible de cette profession de foi, surtout que celui qui menacerait de mort madame Ayélé Lokotrolo n’est pas héritier de M. Amavi Lokotrolo, mais a brandi le fameux reçu de vente. D’un autre côté, les avocats des deux parties avaient longtemps eu des intérêts convergents, Agboyibo ayant été président du Comité d’action pour le renouveau (Car) et Gahoun Hégbor, son Vice-président ! Et l’information selon laquelle Jonathan Fiawoo aurait avoué avoir « acheté » l’avocat de la partie adverse pour 5 millions de FCFA, reste une piste à explorer même si aujourd’hui l’état de santé de Gahoun Hégbor n’est plus ce qu’il était, de même que celui du notaire Ayité Hillah, grabataire.

Source : [04/05/2015] Abbé Faria, Liberté 1936