Le président de l'Observatoire togolais des médias, Augustin Siszing | Photo : Africa Time
Le président de l’Observatoire togolais des médias, Augustin Siszing | Photo : Africa Time

« Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier », Martin Luther King dixit. Une assertion qui s’harmonise avec la dernière décision de l’Observatoire togolais des médias (OTM).

Profession : journalistes. Ils sont au four et au moulin, ces messieurs et dames. Présents à toutes les conférences de presse. On dirait qu’ils ont supplié le bon Dieu pour avoir une partie de son pouvoir d’ubiquité. Ce sont aussi de bons gueulards, usant de manœuvres pour amener les organisateurs d’événement à leur payer le « gombo » ou le « communiqué final ». C’est-à-dire les 2000 ou 5000 FCFA qui sont versés à chaque journaliste au titre de frais de déplacement. Parfois, ces journalistes ne s’empêchent pas d’émarger devant le nom des organes de presse invités mais absents.

Le jour où ils n’ont aucun reportage en vue, ils mettent leur meilleure veste et vont de service en service. Objectif : faire chanter les maîtres des lieux pour leur extorquer des fonds. Une affaire qui marche et dans laquelle excellent plusieurs directeurs d’organes de presse. Les citoyens se reprochant quelque chose, se font avoir facilement. Par contre, ceux qui sont droits dans leurs bottes, les renvoient sans autre forme de procès. Pour la petite histoire, il y a quelques années, un directeur d’organe avait été coincé par sa victime qui avait fait appel à la police. Appréhendé, le journaliste devrait choisir entre « se faire fesser » et « prendre le chemin de la prison ». La petite honte est mieux que la grande, dit-on au sud du Togo. Le journaliste et directeur de publication avait rapidement opté pour le premier choix. Dans sa veste « pétrolier brillant », il s’était fait fesser proprement afin de tourner la page.

C’est dans cette périlleuse aventure que se sont lancés les deux journalistes Elom Atsitsogbé et Thierry Affanoukoé, dans l’affaire de tilapias contenant des résidus de médicaments vétérinaires constituant un danger pour la santé publique. Mais mal leur en a pris. Bien qu’ils aient pris l’engagement de ne publier aucun article sur cette affaire, ils n’ont pas pu encaisser les 5 millions de FCFA pour lesquels ils ont vendu leur silence. Un chèque sans provision. Donc une balade en week-end sans argent. Ensuite, le bihebdomadaire L’Alternative a fait un immense travail de salubrité publique en mettant dehors le scandale que certains hommes d’affaires véreux ont tenté d’étouffer avec la complicité des journalistes, censés à être la voix des sans voix. A cause de 5 millions, des Togolais peuvent mourir d’intoxication alimentaire. Quelle cruauté !

Enfin, l’Observatoire Togolais des Médias (OTM), suite à une plainte déposée par Gagou Kossi Soklakou, l’une des personnes concernées par l’importation des malheureux tilapias, pour « chantage et tentative d’extorsion de fonds », a suspendu les deux journalistes pour six mois « au cours desquels les mis en cause ne sont plus considérés comme journalistes ». Et cette décision serait sous-tendue par l’article 6 du Code de la déontologie de la presse du Togo qui a trait à la dignité professionnelle.

« C’est une erreur de croire que le salut public puisse commander une injustice », enseigne Condorcet. N’est-il pas courant de voir, nous les professionnels des médias, nous liguer contre une injustice, une situation de non droit ? N’est-ce pas ce que nous faisons actuellement dans le cadre de l’article 497 du nouveau Code pénal qui viole les dispositions du Code de la presse et de la communication ? Ceci étant, nous ne pouvons pas nous taire lorsque cette injustice émane de nous-mêmes. « La suspension de six mois au cours desquels » Elom Atsitsogbé et Thierry Affanoukoé « ne sont plus considérés comme des journalistes » ne répond à rien du tout. C’est un abus de pouvoir qui ne dit pas son nom. Une extrapolation dangereuse que tout professionnel de médias ne doit pas cautionner. Quand on veut plaire aux gens, il faut bien faire les choses en respectant ses propres lois. Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas l’OTM qui confère la qualité de journaliste à un citoyen.

Des journalistes togolais escrocs qui voulaient plumer le president Boni Yayi du Benin | Infographie : 27avril.com
Des journalistes togolais escrocs qui voulaient plumer le président Boni Yayi du Benin | Infographie : 27avril.com

Nous sommes heureux quand l’OTM rapporte que « les deux confrères ont reconnu les faits qui leur sont reprochés et ont présenté leurs excuses à l’endroit de toute la presse pour avoir jeté du discrédit sur la corporation ». Qu’est-ce qu’ils sont nombreux, ces « jeteurs de discrédit sur la corporation » ! Il y en a au sein de l’Observatoire lui-même. A-t-on déjà oublié « La Lettre du Continent » N°680 du 9 avril 2014 qui avait mis à nu des journalistes togolais qui, surfant sur l’affaire Patrice Talon, étaient allés au Bénin pour escroquer le président Boni Yayi? A l’époque l’OTM n’avait pas trouvé nécessaire de prendre des sanctions contre les mis en cause. Et le phénomène de chantage fait son petit bonhomme de chemin avec des directeurs qui, pour le même numéro, confectionnent deux exemplaires différents : l’un pour le dépôt légal et le public, et l’autre pour le chantage. Mais le plus souvent, ce sont ces magouilleurs qui sont bien lotis quand il s’agit de la répartition de l’aide à la presse. C’est la mafia à tous les niveaux. Nous y reviendrons.

Nous osons croire que l’OTM ne s’arrêtera pas à ces deux « cobayes » et qu’il s’attaquera aux autres personnes qui jettent du discrédit sur la corporation. Le cas de ce journaliste qui s’est mué en avocat défenseur d’un ministre et qui va jusqu’à monter une ethnie contre un de ses confrères est à prendre au sérieux. Ils sont nombreux dans ce mauvais rôle. La sauvegarde de la confraternité n’est-elle pas l’une des prérogatives de l’OTM ?

Source : [18/11/2015] R. Kédjagni, Liberté