La perpétuelle quête du mieux-être pousse la plupart des Africains, surtout les jeunes à prendre le chemin de l’aventure. Malheureusement cette  recherche de l’eldorado tourne souvent à la désillusion. Les médias aussi occidentaux que locaux font l’écho de l’effroyable drame humain qui se déroule quotidiennement avec les migrants africains dans la Méditerranée. Ceux qui arrivent à franchir les barrières pour se frayer un chemin vivent un calvaire indescriptible, bien qu’il y ait quelques-uns qui s’en sortent.

Rond-point Démocratie à Libreville, Gabon | Archives,

Mais l’occident est-il la seule destination pour les Africains en général et les Togolais en particulier ? A priori non ; puisque l’immigration intra-africaine est aussi considérable, avec bien évidemment son lot de mésaventures. Le Gabon autrefois terre « promise » pour les Togolais, où il y a eu des vagues qui y sont allées dans les années 1980, 1990 et même 2000, est pratiquement devenu un « enfer » sur terre pour la majorité des Togolais qui y sont actuellement.  Leur rêve s’est transformé en un cauchemar indescriptible au point où les demandes de rapatriement se multiplient auprès de l’ambassade du Togo au Gabon.  Aux aventures « voulues » s’ajoutent les diverses formes de trafics d’enfants qui ne cessent d’accroître avec des réseaux en bande organisée et des conséquences insupportables. Un séjour au pays de Léon Mba  nous a permis de constater ce désastre humain que vivent la plupart des Togolais au Gabon avec des témoignages aussi poignants qu’émouvants. Faut-il toujours rêver de ce pays ?

Une aventure périlleuse

« Jeune  frère,  que  fais-tu encore au Togo ? Ne veux-tu pas tenter le Gabon ? Les gens y ont réussi, pourquoi pas toi ? » . Ces interrogations reviennent bien souvent dans les échanges entre certaines personnes déjà en aventure  dans un pays étranger, avec quelques-uns de leurs proches restés au bercail et qui sont aussi tentés par « la route ». Dans bien des cas, les Togolais vont au Gabon à la recherche du travail bien rémunéré, car dans la conscience collective, « ça paye bien au Gabon ».

Ils sont plus de 25 mille (source consulaire), plus de 30 mille (estimation d’un Togolais)  à vivre sur le territoire gabonais, pour ne pas dire l’une des plus fortes communautés étrangères au « pays Vert-jaune-bleu ». Certains y vivent de façon clandestine, faute de papiers,  alors que d’autres  sont dans la légalité. Les colonies togolaises se trouvent dans pratiquement toutes les 9 provinces du Gabon,  même si celle de Port-Gentil est la plus considérable. En dehors de ceux qui y sont depuis des années et y ont fondé des familles, la majorité de la communauté togolaise est composée de jeunes. Ceux-ci sont venus au Gabon par divers canaux.

Certains s’y sont retrouvés par l’entremise d’un proche parent, qui leur a promis monts et merveilles. Bien souvent, pour attirer ces jeunes, les supposés bienfaiteurs leur font croire qu’ils auront un travail assuré, une carte de séjour et bien d’autres avantages, devant lesquels succombent la plupart des jeunes.  D’autres aussi partent pour le Gabon par pur suivisme. Ils sont attirés par leurs amis ayant tenté eux aussi l’aventure et qui dégagent un semblant de prospérité. « Je suis arrivé ici parce que j’avais un ami qui a tenté l’aventure et qui m’a proposé de le rejoindre. Il m’a rassuré que les premiers mois seront un peu compliqués, mais dès que je vais réussir à avoir les papiers et un  job, tout ira mieux et que je ne regretterai rien. Il m’a maintes fois rappelé que la vie au Gabon est acceptable que l’enfer de Lomé », a raconté un jeune togolais vivant à Port-Gentil et qui a préféré parler sous le sceau de l’anonymat, comme la plupart de ses camarades d’infortune.

D’autres compatriotes ont « atterri » au Gabon par la force des choses. Ils sont victimes du trafic d’êtres humains entre le Togo et le Gabon. Dans bien des cas, il s’agit des jeunes filles ou femmes à qui ont promet d’habitude des travaux domestiques bien rémunérés. Elles sont acheminées clandestinement au Gabon par la mer. Parti de Lomé, le convoi fait  escale au Bénin puis à Kalaba au Nigeria, avant de prendre des pirogues de fortune pour le Gabon.

Le cauchemar gabonais

Tout d’abord, les jeunes filles qu’on fait passer par la mer pour le Gabon vivent elles autres leurs  premières difficultés en chemin avant de faire objet d’un esclavagisme moderne. Elles sont tout d’abord arrachées à leurs parents dans les villages et recoins du Togo. Nous avons pu rencontrer une parmi elle qui s’est confiée. L’air timide, le regard fuyant, celle que nous allons nommée ici Philomène, nous explique ce qui lui est arrivé : « Les trafiquantes  viennent dans les familles pour soudoyer nos parents. Elles leurs promettent qu’au bout de quelques mois de travail au Gabon, nos vies vont changer et que nous pourrions réaliser les choses au pays. Elles  s’engagent à prendre en  charge nos frais de transport et autres ».

Quelque part à Libreville, Gabon | Archives

Le trajet est long et peut durer des mois, avec tous les risques qui vont avec. Un témoignage d’un rescapé de cette traversée est poignant : «  En mer, nous étions exposées aux intempéries et aux caprices des piroguiers. Nous étions  privées de nourriture, et pour en bénéficier, on nous contraint à coucher avec les piroguiers qui étaient sans scrupule. De notre voyage, il y avait une fille  qui n’avait pas pu supporter et qui est décédée avant l’arrivée à destination », raconte-t-elle  tout en larme.

Mais une fois sur le terrain, ces jeunes filles sont tout simplement vendues et placées dans des familles gabonaises où elles sont exploitées à volonté. Les trafiquants avec leur cruauté  légendaire, confisquent  les salaires  qui devraient revenir aux filles pendant une longue durée. Ces dernières sont victimes de maltraitances corporelles et psychologiques. Ce trafic en bande organisé profite à plusieurs personnes sur la chaine. D’autres personnes aussi financent les voyages des jeunes filles et qui deviennent en retour leur propriété privée qu’ils exploitent allègrement. « Parfois je me retrouve avec 10.000 CFA par mois puisque celle qui m’a amenée ici passe régulièrement prendre mon salaire qui  était de 170.000F CFA. C’était vraiment dégueulasse mais on n’avait plus d’autres choix que de subir, car on n’a nulle part où se plaindre », a narré une femme victime de cette pratique odieuse.

Pendant la période de la CAN-Gabon 2017, une pirogue a été interceptée au large des côtes gabonaises. Dans cette embarcation, se trouvaient 18 jeunes filles togolaises parmi lesquelles se trouvaient des mineures. Elles ont été détenues par les autorités gabonaises de l’immigration avant leur rapatriement le 8 mars 2017.

Les jeunes garçons, pour ce qui les concerne, n’arrivent pas non plus à tirer leur épingle du jeu. Une fois sur le sol gabonais, ils sont confrontés aux problèmes de visa ou de carte de séjour, puisqu’ils ne disposent souvent que des visas de 1 à 3 mois. Ces derniers sont  contraints de se confiner dans leur lieu de résidence.

L’ambassadeur du Togo au Gabon | Photo : S »A. / Liberté

D’autres, pour s’en sortir, sont obligés de se compromettre dans des pratiques ignominieuses. Par exemple lors de nos recherches, certains jeunes joueurs togolais transférés au Gabon  ont confié à des personnes ressources au niveau de l’ambassade du Togo que, pour toucher leur salaire ou avoir une place dans l’équipe, ils sont obligés de « donner leur derrière ». Les filles qui n’ont  plus d’issues favorables s’adonnent à la prostitution pour survivre, là aussi exploitées par des proxénètes.

Faut-il encore rêver du Gabon ?

Il est certes vrai que la situation togolaise n’offre pas un avenir radieux à la jeune génération. Mais vu la configuration actuelle du Gabon, il est fortement déconseillé aux jeunes togolais de prétendre aller en aventure dans le pays d’Omar Bongo. Cette alerte ne vient pas de nous, mais de Mouti Kondi, chargé des affaires consulaires à l’ambassade du Togo au Gabon. « En l’état actuel des choses, il n’est pas souhaitable que les parents laissent leurs enfants prendre le chemin du Gabon. Nous sommes submergés ici à l’ambassade par des demandes de rapatriement au Togo.

Les cas de démences et d’autres curieuses maladies psychosomatiques se développent chez certains compatriotes qui n’en peuvent plus. Nous sommes dépassés par les évènements. Il faut une sensibilisation pointue sur le terrain pour parler tout d’abord aux jeunes par rapport aux risques qu’ils prennent, les dissuader et aussi conseiller les parents. Actuellement les trafiquants ciblent les zones septentrionales du Togo pour prendre les filles et venir les vendre ici. Parmi les 18 arrêtées (celles rapatriées le 8 mars 2017 Ndlr), se trouvaient   14 qui venaient  de Bassar (Nord Togo, Ndlr) », a- t-il lancé.

La situation économique titubante du Gabon, due principalement à la chute du pétrole, fait apparaître chez les nationaux un sentiment plus où moins xénophobes. Ceux-ci voulant à tout prix protéger leurs  « jobs », ce qui ne favorise plus l’accès facile au travail pour les étrangers. Le Gabon n’est sûrement plus une terre promise pour les étrangers, et par ricochet pour les Togolais. Allez au Gabon doit répondre à une nécessité. « Il faut venir si tu as une compétence certaine à vendre et une base financière », comme le conseille un jeune togolais résidant à Libreville.

Source : Shalom Ametokpo, Liberté No.2395 du 13 mars 2017