L’armée africaine a une triste réputation au sein des peuples qu’elle est censée protéger et défendre contre des ennemis extérieurs et intérieurs.

L'armée nigériane, la première au front contre les bandits islamistes de Boko Haram | Archives : Leadership
L’armée nigériane, la première au front contre les bandits islamistes de Boko Haram | Archives : Leadership

De l’aveu des militaires eux-mêmes, ils ne sont pas aimés par les populations qui les méprisent voire les haïssent. D’où vient ce constat de désamour dans des pays où l’armée est chargée des basses besognes criminels en collusion avec des pouvoirs discrédités et illégitimes, bêtes et méchants ? Triste héritage de l’armée coloniale, l’armée néocoloniale est une armée d’occupation au service de la dictature; elle n’est pas au service du peuple, elle sert à le réprimer, à le terroriser. Elle est parfois tribalisée et tribaliste quand le dictateur qu’elle sert est un tribaliste compulsif. Les armées tribalistes sont toujours les déclencheurs des génocides et autres massacres de masse des ethnies qui s’opposent aux bandits au pouvoir.

La démocratie ne peut en aucun cas s’accommoder d’une armée prétorienne conçue pour la tyrannie et l’impunité. A l’ère de la démocratisation, il est capital de réfléchir sur les fondations du nouvel ordre politique dont doit faire partie l’armée. Avec l’avènement des rébellions armées obscurantistes de fanatiques liberticides sur le continent africain, comme Boko Haram au Nigeria, les armées néocoloniales des pays africains ont montré leurs limites. Incapables d’affronter les rébellions armées, leur salut, la plupart du temps, se trouve dans la fuite. Courage, fuyons ! Ce genre d’armée archaïque a fait son temps et doit être changé.

Cette approche holistique qui peut apparaître comme un amalgame, parce que quelques différences existent ici et là entre pays africains, est un résumé des tares de l’armée néocoloniale africaine en général. Si tel ou tel aspect décrit n’apparaît pas dans tel ou tel pays, il ne faut pas en faire l’arbre qui cache la forêt. Etre à l’abri d’une tare aujourd’hui, n’est aucunement une garantie pour demain, car chaque tyran possède ses lubies.

Une armée d’occupation contre le peuple

Il faut remonter à l’époque de la colonisation transparente d’avant les années 1960 pour mieux appréhender le phénomène. En effet, après les indépendances truquées, les faux pères de l’indépendance, des despotes aux petits pieds, véritables marionnettes au service des colons mafieux qui les ont costumés et poudrés avec une raie au milieu de la chevelure frisée, pour faire plus élégant, à leur image, ont été les vrais fossoyeurs de la lutte de libération nationale. Les colons les ont proclamés chefs d’Etat avec un drapeau et un hymne national, pâle copie de marches militaires, comme La Marseillaise, en « francofaunie » ou de cantiques chrétiens genre God Save The King pour les esclaves des Britanniques. Ces nouveaux pays ont hérité des armées coloniales mercenaires qui besognaient pour le colon afin d’écraser dans le sang et la barbarie toute velléité anticolonialiste de leurs pauvres compatriotes asservis et humiliés.

Toute armée coloniale est une armée d’occupation étrangère. C’est, conscients de ce constat, que les tyrans africains, qui ont pris la succession des colons, au niveau de la visibilité, ont conservé à leur profit, au détriment des peuples, ces armées d’occupation constituées de militaires régnicoles. Quant aux officiers blancs de l’ancien régime, restés à leurs postes, ils ont été affublés de titres ronflants de conseillers techniques ou d’instructeurs. C’est en se servant de ces armées de mercenaires sans patriotisme que les dirigeants africains illégitimes ont assis leur pouvoir crapuleux et leur règne de bêtises ubuesques. Grâce aux armées d’occupation, ils ont bâti les partis uniques, anéanti toutes les oppositions et embrigadé le peuple. Aux opposants et surtout aux anticolonialistes, ils n’offraient que la prison, l’exil ou la mort.

C’est à force d’utiliser l’armée dans des missions extramilitaires de répression politique et de confiscation du pouvoir prébendier que certains officiers ont aussi pris goût aux combines politiques et aux délices du pouvoir qui les flattait. Préférant se servir eux-mêmes à la mangeoire, ils ont fait des coups d’Etat en se présentant comme des sauveurs patriotes. Mais les peuples allaient déchanter, en découvrant chez ces hyènes revêtues de peau de mouton, des prédateurs encore plus cruels et cyniques que ceux qu’ils ont chassés du pouvoir.

Dans les Etats néocoloniaux, la politisation de l’armée, vouée exclusivement à des missions extramilitaires, a eu pour conséquences graves l’éloignement de l’armée de son objectif véritable, à travers la négligence voire l’abandon de la formation, de la discipline, du patriotisme, de l’éthique. Dans la pratique, cette déchéance se manifeste par le vol, le pillage, le viol, les assassinats, la trahison et les massacres durant les périodes troubles de contestation du régime prédateur en place. En temps « normal » de terreur, ce sont les brutalités, le racket, le tribalisme, les violations massives des droits humains contre les populations qui, pourtant, les logent, les nourrissent et les blanchissent gratuitement. L’armée, au lieu de rassurer, fait peur à ceux auxquels elle est censée offrir la sécurité. Elle est une grave source d’insécurité.

Les Africains ont-ils tort de ne pas aimer leur armée ? Ils ne sont pas masochistes. Certains officiers sont des parrains du trafic de drogue, les principaux acteurs du détournement de la rente pétrolière ou des revenus des sociétés d’Etat. Ils sont riches comme Crésus et volent comme des babouins cynocéphales au milieu d’une bananeraie. Les plus voleurs sont les plus incompétents qui n’hésitent pas à recourir au tribalisme, au népotisme, au trafic d’influence pour s’enrichir, terroriser le peuple et protéger leurs péculats crapuleux. Quand ils sont au pouvoir, ils n’ont pas de politique ; ils n’ont qu’un appétit démesuré. Ils sont les principaux voleurs de la République. C’est la politique du ventre.

A l’heure de la démocratisation des pays africains, il est plus que pertinent de s’interroger sur le rôle de l’armée en régime démocratique. Ne pas le faire, c’est s’exposer aux errements du passé avec la possibilité du retour des coups d’Etat des petits sergents autoproclamés généraux vingt-quatre heures après leur putsch. Quand on procède à une révolution (changement de système politique), le tout premier acte de souveraineté du nouvel Etat, consiste à consolider son nouveau pouvoir en rompant avec l’ancien système par le changement radical de la nature et de la fonction des corps chargés de la sécurité et donc de la survie du nouveau système politique.

Il faut changer le commandement lié à l’ancien système à travers les officiers qui l’incarnent. Il faut réassigner de nouvelles missions à l’armée pour la transformer en armée républicaine, c’est-à-dire une armée dépolitisée, détribalisée, représentative du tissu national et vouée exclusivement aux missions militaires au seul service du peuple et non plus d’un homme ou d’un soi-disant parti politique organisé autour d’une mafia politico-administrative prédatrice et illégitime. Elle est illégitime parce qu’elle n’est au pouvoir que par la grâce des fusils pointés sur le peuple et des élections truquées et scandaleusement sanglantes.

Le tribalisme politique consiste à privatiser l’Etat au profit d’une ethnie, au détriment des autres ethnies de l’ensemble national. Le tribalisme politique est le tribalisme ordinaire, peu dangereux, fait de préjugés, instrumentalisé par les politiciens au pouvoir. Son but consiste à faire de l’ethnie du despote un bouclier contre les autres ethnies. Mais l’envers de la médaille est la mise en danger criminelle de l’ethnie « bénéficière » du tribalisme politique, car aux yeux des autres, elle est un bouc émissaire tout désigné, dans l’attente d’une revanche. En Côte d’Ivoire, les deux camps ennemis qui s’affrontaient, lors de la course sanglante au pouvoir, ont, à tour de rôle, tribalisé l’armée pour arriver à leurs fins. Il en va d’ailleurs de même dans l’administration publique de ce pays. Ils sont allés jusqu’à déguiser le tribalisme politique sous l’euphémisme de l’ivoirité.

Les Centrafricains sont pris au piège de la tribalisation de la vie politique par une armée tribale, acteur principal de la vie politique depuis Bokassa. Au Togo, La Conférence Nationale Souveraine a exigé, en vain, du dictateur Gnassingbé Eyadema, la détribalisation du recrutement et du commandement au sein de l’armée au pouvoir. Durant ces assises nationales, en 1991, le Comité d’Action contre le Tribalisme et le Régionalisme a révélé que 50% des officiers supérieurs de l’armée étaient originaires du même village que le général-président Eyadema !

Au Congo Kinshasa, de Mobutu aux Kabila père et fils, l’armée prend toujours la couleur ethnique du détenteur du pouvoir. Au Congo Brazzaville, la tribalisation de l’armée a débouché sur une guerre civile, tout comme au Tchad, où le vainqueur fait massacrer l’ethnie de l’opposant vaincu. Cette odieuse politique antinationale a débouché au Ruanda sur un terrible génocide avec la complicité de l’armée française. L’élection d’Alpha Condé en Guinée a été la victoire d’un tribalisme sur un autre tribalisme, à travers la rivalité des politiciens malinké et peuhl. Feu Sékou Touré a fait des petits avec son tribalisme maladif contre les Peuhl. La démocratie a été grossièrement caricaturée à travers des affrontements communautaires. La victoire d’Alpha Condé, très contestée, n’a été possible que grâce à la composition ethnique de l’armée qui a penché en sa faveur en réprimant sauvagement les manifestants du camp adverse, majoritairement des Peuhl. La composition ethnique de l’armée aurait penché du côté des Peuhl, que l’opposant Sellou D. Diallo aurait été proclamé vainqueur.

Pour qu’une armée d’un pays se comporte en armée d’occupation étrangère, il faut un Etat de non-droit et l’impunité dont se prémunissent, contre la loi, tous les lâches qui torturent leur peuple. Avec l’émergence timide ici et là de l’Etat de droit, la peur a changé de camp, les bourreaux civils et militaires ont peur, et considèrent que leur cramponnage au pouvoir à tout prix est leur seule garantie d’impunité, leur bouée de sauvetage.

Après le constat affligent que nous venons de faire, nous sommes légitimement en droit de nous demander si l’armée, dans nos pseudo-Etats néocoloniaux, que d’aucuns considèrent comme un corps parasitaire et inutile, doit être supprimée.