Le commerce du sexe ou la prostitution à Abidjan prend une proportion importante avec le développement du proxénétisme. Elle inquiète aussi bien au sommet du pouvoir que dans les foyers.

On les appelle toutou, djandjou, djantran, tchouin, forces nouvelles, Génération Pressée Pressée (GPP), les lanceuses de foulards… On les rencontre partout, dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire, avec une spécificité pour chacune des dix communes sur les treize que compte le district d’Abidjan.

Des prostituées à la rue Princesse | Photo : Afrique Actualité
Des prostituées à la rue Princesse | Photo : Afrique Actualité

C’est à Marcory, en zone 4 que le commerce du sexe est plus connu des Ivoiriens. Pour rencontrer des prostituées, il suffit d’y faire un tour, aux environs de 21 h. Des jeunes femmes, dont l’âge varie entre 17 et 35 ans, errent à la recherche de clients. Ce sont les lanceuses de foulards. Elles sont à l’affut, près de bars, surgissent de nulle part et courent vers le taxi ou la voiture personnelle qui s’arrête dans leur pré-carré. « Je suis disponible pour vous. Quand et comment vous voulez », lâchent-elles aux potentiels clients.

Quand la clientèle se fait rare, c’est le jet de foulard qui départage les prostitués face au client. Elles lancent leurs foulards. Et là, le client n’a pas le choix. Il doit se contenter de celle qui aura réussi à le toucher en premier grâce à son foulard. Dans le cas contraire, il risque de provoquer une  »guerre » entre la  »préférée » et celle dont le foulard a atterri le premier.

Cette méthode d’approche de la clientèle s’est déportée dans la commune de Cocody où l’on rencontre également au niveau du quartier Vallon des filles de joie parfois très agressives. Celles-ci n’hésitent pas à faire la « peau d’un couple », surtout à la femme, qui a le malheur de passer dans leur périmètre alors qu’elles attendent depuis longtemps sans avoir reçu un seul client pour la soirée.

Réseau

De ce commerce de sexe indirect, des bars en ont fait leur spécialité. Ils sont les lieux privilégiés où l’offre et la demande se croisent.

Dans la commune de Koumassi, c’est au quartier Soweto né de la déformation de son fondateur Zoé Bruno, également appelé  »Koumassi Bia sud », situé juste derrière le camp Commando, qu’une floraison de maquis (bars, NDLR) a vu le jour. On y rencontre des filles de joie de tout âge, 12 ans et plus. Ces mineures appelées forces nouvelles, non seulement pour leur efficacité au lit, nous apprend-on, mais aussi « leurs services » qui mettent à mal la paix dans les ménages. « Je les déteste ces enfants-là !» lâche Yvonne K., la trentaine environ. « A cause d’elles, mon père à un moment donné avait déserté le domicile. Il louait un appartement pour une qui avait presque la moitié de mon âge. Elle devait avoir 15 ans. Ce sont des briseuses de foyers. »

A Soweto, c’est à une heure tardive que ces prostituées, qui certainement sont conscientes des griefs de leurs  »rivales », arrivent sur le lieu du travail. Les prix des passes se négocient et une fois le montant conclu, la force nouvelle prend la direction d’un hôtel avec son client.

Des filles de joie à l'entrée d'un bar à Abidjan | Photo ; Afrique Actualité
Des filles de joie à l’entrée d’un bar à Abidjan | Photo ; Afrique Actualité

A Yopougon, la commune de la joie qui regorge de milliers de maquis et bars, on rencontre les djantrans, les djandjous, les tchouins et les toutous à tout bout de chemin, mais surtout à la fameuse rue Princesse. Là, elles sifflent l’alcool comme de l’eau. « Ce sont les filles les moins chères », explique Jean-Pierre K., en faisant allusion aux prix de passe. « Mon aller avec une, à Yop City, il faut passer par son ventre », souligne-t-il. Pour lui, une inviter une prostituée à partager un repas fait déjà partie des frais de prestation. Une situation qui n’est pas anodine. Elle illustre la pauvreté dans laquelle vivent ces filles, prêtes à tout pour un morceau de pain.

A Abobo Baoulé, dans la commune d’Abobo, le réseau pourvoyeur de prostitués dont l’âge varie entre 14 et 40 ans est tenu par une nigériane connue sous l’appellation de Maman. Toutes ses employées sont d’origine nigériane. Promettant emploi bien rémunéré pour leurs filles, elle arrive à convaincre les parents au Nigeria  pour ensuite forcer ces Nigerianes à se prostituer à Abidjan.

Charges

« Ma sœur Sandra et moi avons été obligées, après avoir exercé pendant plus d’une année pour elle, de la quitter et nous installer à notre propre compte », explique Viviane. Sandra et Viviane jurent que si dès le départ elles savaient que Maman leur offrirait la prostitution comme emploi, leurs parents ne les auraient pas laissées prendre le car pour Abidjan. Elles-mêmes n’auraient pas accepté non plus.

« Maman a dit à nos parents qu’elle possédait plusieurs magasins de cosmétique, de quincaillerie et de pagnes. Elle avait besoin de jeunes filles respectueuses pour leur gestion. C’est pourquoi papa et maman nous ont demandé que comme, les études ne marchaient pas bien de partir avec elle. Ainsi, un jour, nous pourrions subvenir aux besoins de nos parents, si à notre tour, nous réussissions. C’est une fois, ici qu’elle nous apprend qu’il s’agit de nous donner à des clients de son bar. » La passe était à 1500 cfa (2,29 euros, NDLR). Maman prélevait 500 cfa, afin d’assurer les charges de loyer, d’électricité et d’eau. Ses deux « protégées » percevaient 1000 cfa et devaient se prendre en charge elles-mêmes.

Ce bar collé à la seule boulangerie du village Abobo baoulé,  »la Boulangerie le 15 » emploie une quinzaine de jeunes, du moins c’est que nous avons pu constater sur place pendant deux jours. Il ouvre le soir à partir de 18 h 30 et ferme tard dans la nuit, quand la clientèle devient rare.

Dans la commune d’Adjamé, dans son enquête, un confrère révèle que le réseau génération pressée pressée, des adolescentes dont l’âge varie entre 12 et 15 ans, est tenu par des hommes. « Nous n’avons pas forcé les petites filles à se prostituer », relaie-t-il des propos d’un proxénète soulignant qu’il rend service à des enfants abandonnées par les familles qui aujourd’hui vivent une misère indescriptive.

Combat

Dans un post, un internaute, habitant le quartier  »Bracodi » d’Adjamé crie sa colère contre un phénomène qui se développe dans ce quartier considéré comme un quartier précaire, phénomène contre lequel les autorités n’ont jusque-là engagé aucune action pour y mettre un terme.

« Quand nous portons plainte contre le dénommé A., propriétaire de Ademili bar et que le commissaire du 27e ne peut mettre cet individu à la disposition du procureur de la République… », s’est indigné l’internaute. Il qualifie de deux poids deux mesures une récente action de la ministre de la Solidarité, de la Famille et de l’Enfant, Anne Désirée Ouloto. Ses services ont fait une descente musclée dans un bar de Cocody, quartier chic où résident le président Alassane Ouattara et ses ministres.

« Nous sommes meurtris quand nous voyons ce qui se passe à Cocody avec l’arrestation de proxénètes qui gèrent un bar de strip-tease à Cocody Riviera Golf, alors que, nous, notre volonté de voir fermer Ademili bar est jusque-là sans suite, » dénonce-t-il. Ce bar enregistre, selon certaines sources, la visite de hautes personnalités de l’Etat.

Le ministère de la Famille saisi de cette pratique qui n’honore pas la femme, a décidé de voler au secours des jeunes filles obligées de se prostituer afin de subvenir à leurs besoins quotidiens pour certaines et d’autres pour s’occuper de toute une famille qui vit la misère totale. « Nous allons poursuivre notre action dans toutes les communes d’Abidjan, » a prévenu la ministre Ouloto. Affaire à suivre…

Source : [21/04/2015] Jules Eugène N’Da, Afrique Actualité