Illustration : Sébastien Thibault

Depuis vendredi 15 janvier dernier, la presse togolaise vit une nouvelle épreuve. Le Président du Tribunal de Première Instance de Lomé Kossi Kutuhun, a ordonné sur requête de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), le retrait du récépissé de l’Hebdomadaire L’Indépendant Express. Créé en 2007 par le confrère Carlos Ketohou, la justice togolaise a mis fin à l’existence de cette entreprise de presse qui emploie plus d’une dizaine d’agents.

Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais le cas L’Indépendant Express vu le contexte et la mobilisation des organisations de presse contre cette énième injustice, apparaît un coup d’assommoir. La mise à mort d’un organe de presse pour un article intitulé « Scoop de fin d’année : Femmes ministres interpellées pour vol de cuillères », laisse une bonne partie de la presse togolaise sans voix.

Liberté de la presse fortement menacée

Pour l’article susmentionné, le Directeur de la Publication Carlos Ketohou avait été enlevé nuitamment le 30 décembre 2020 par les éléments du Service Central de Recherches et d’Investigation Criminelles (SCRIC) de la Gendarmerie Nationale où il a passé quatre jours.

Pendant qu’il était encore au SCRIC, il a reçu la convocation de la HAAC. De là, il a été envoyé au Tribunal pour la suite qu’on connaît aujourd’hui.

Pour les organisations de la presse, la sanction de la HAAC est « excessive ». La finalité de la démarche de la HAAC et l’implication du SCRIC en amont font craindre un lendemain incertain.

Le Patronat de la Presse Togolaise (PPT) s’est insurgé contre des méthodes ubuesques de la Gendarmerie nationale portant atteinte à la liberté de la presse au Togo. « La propension du Scric à vouloir appliquer aux journalistes l’article 497 du code pénal est attentatoire à la liberté de presse au Togo », a rappelé le PPT dans un communiqué en date du 09 janvier dernier.

Selon cette organisation de presse, seule la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) est habileté à réguler la presse togolaise. En cas de délit de presse, le code de la presse et de la communication prime sur le code pénal.

« Point n’est besoin de rappeler au Scric le principe sacrosaint selon lequel le particulier prime sur le général », a indiqué Isidore Akollor, Président du PPT qui s’insurge contre l’obstination du Scric visant à museler les journalistes.

Cette réaction du PPT fait suite à la vague de convocations du Scric dont sont victimes des journalistes togolais ces temps-ci.

Le ministre de la Communication et des Médias Professeur Akodah Ayewouadan trouve que les démarches du SCRIC sont justifiées. « Les délits de presse ont cette particularité d’être à cheval ou en tout cas, à la lisière du droit pénal. Ce qui justifie parfois que certains journalistes se retrouvent d’abord au SCRIC avant éventuellement de voir la HAAC reprendre la main lorsque la qualification est établie et que le délit de presse est retenu », a-t-il déclaré.

Pour l’un des porte-parole du gouvernement, les relations parfois tendues entre les journalistes et l’Etat ne sont pas l’apanage du Togo. Et le SCRIC étant une structure de l’Etat, les relations que les journalistes peuvent avoir avec ce service, doivent rester des relations ‘cordiales’.

Selon lui, le SCRIC n’investigue pas seulement à charge. Son objectif, c’est de chercher à établir le délit de presse ou le délit pénal, ce qui peut entrainer ce passage entre le SCRIC et la HAAC.

« A chaque fois que le délit de presse est établi, la HAAC a repris la main », a-t-il souligné.

Sans aucun doute, la liberté de la presse est fortement menacée. Par peur de disparaître, les organes vont tout simplement recourir à l’autocensure. Pourtant, la place de la presse critique en démocratie est plus qu’indispensable.

Une suite logique après les restrictions des manifestations publiques

Au lendemain des élections législatives du 20 décembre 2018 avec une Assemblée Nationale « unicolore», le peu d’acquis de la lutte pour la démocratie au Togo a été supprimé. Avec une Assemblée Nationale à sa solde, le régime de Gnassingbé Faure a complètement basculé dans la paranoïa.

Le 07 août 2019 précisément, la loi sur les manifestations publiques de 2011 dépouillée de toute sa substance a été actée par les députés choisis.

« Les réunions ou les manifestations pacifiques sur la voie publique et dans les lieux publics ne peuvent se tenir avant 11h00 et au-delà de 18h00 », souligne la nouvelle loi. Plus loin, « pour des raisons stratégiques, économiques et sécuritaires, toutes les manifestations sont interdites sur certains axes et zones notamment toutes les routes nationales, les axes et zones où se déroulent de fortes activités économiques, dans les centres urbains, les axes et zones proches des institutions de la République, les axes et zones proches des chancelleries et résidences des ambassadeurs et représentants d’organisations internationales et les axes et zones proches des camps militaires et des camps de service de sécurité », définit la loi.

Par ailleurs, le nombre de manifestations organisées par semaine dans une ville peut être limité par l’autorité administrative compétente, en fonction de la disponibilité des forces de sécurité devant être affectées à leur encadrement.

Depuis lors, les manifestations publiques sont réduites à leur portion congrue. Et lorsque cela s’ajoute à la menace grave qui pèse sur la presse, il y a bien péril en la demeure. Aucun pays ne peut se développer dans la peur.

Lorsqu’on étouffe la population, elle ne peut aucunement libérer ses énergies et son génie. De la restriction des manifestations publiques à la menace sur la presse indépendante, c’est un grand recul pour le Togo et un grave danger pour le pays en ce sens que le pays risque de fonctionner sur des rumeurs. Aussi, les manifestations spontanées seront-elles privilégiées avec tout ce que cela engendrera comme conséquence dramatique sur le pays.

Personne n’a intérêt que le Togo bascule dans l’inconnu. Il importe que Gnassingbé Faure intègre la bonne gouvernance en plus de la démocratie et l’alternance pour le mieux être de tous.

Kokou Agbemebio

Source : Le Correcteur