Samari Tchadjobo

« Faure Gnassingbé, c’est l’homme fort, propriétaire de tous les dossiers, de toutes les vies et libertés. Sous le ciel Togolais. Toutes partent de lui et mènent à lui. C’est le centre de l’État, le cœur de la nation. Chacun lui doit son souffle… »

Voilà un extrait d’un article publié en octobre 2019 par notre ami Kodjo Épou, un bout d’article qui dit tout sur la nature des prises de décision au sommet de l’État; et sur le danger pour la liberté et la vie des Togolais quand la décision d’emprisonner, de laisser mourir en prison ou de libérer ne peut venir que d’un seul pôle de décision, celui du Chef de l’État lui-même.

L’exemple le plus palpable sous nos yeux pour corroborer les propos tenus dans notre introduction est bien l’affaire des prisonniers de la supposée insurrection armée et des kidnappés du PNP de fin janvier 2020, dont presque personne ne parle plus. Après la libération, il y a exactement un mois de l’entraîneur de Sémassi et ex-entraîneur de l’équipe nationale junior, Monsieur Abraw Samer, nous totalisons aujourd’hui 65 prisonniers non encore libérés et détenus pour des motifs fallacieux. Le 14 juin dernier 61 prisonniers furent transférés de la prison civile de Lomé à l’ancienne gendarmerie face à la BTCI; et comme nous l’écrivions plus haut, Abraw Samer recouvra la liberté vendredi le 19 juin 2020. Trois détenus malades dont une femme sont actuellement internés au cabanon du CHU. Il y a un qui n’a jamais quitté la prison civile, parce que testé positif au COVID 19, il se trouve dans le secteur de la prison de Lomé réservé aux malades du coronavirus.

S’il y a un prisonnier qui est traité autrement que les autres, depuis son kidnapping à son domicile à Kpalimé vers fin janvier 2020, c’est bien Yakoubou Moutawakilou, SG du PNP de la localité, et dont la mère est décédée à son absence. Détenu d’abord à la Direction Centrale de la Police Judiciare (DCPJ), il fut ensuite transféré au Camp GP. Aux dernières nouvelles, il vient d’être conduit, jeudi 16 juillet, à la prison de Tsévié. Aboubakar Tchatikpi dit Janvion, transitaire de son état, également membre non influent du PNP, est le deuxième kidnappé le même jour, à quelques heures d’intervalle à son domicile à Lomé. Qu’ils soient arrêtés ou kidnappés par les Tonton-Macoutes de Faure Gnassingbé pour retrouver Tikpi Atchadam ou affaiblir son parti, tous sont aujourd’hui poursuivis pour insurrection armée à l’aide de talismans, de gourdins, de flèches et de couteaux rouillés, tout comme les malheureux raflés de fin novembre 2019 et fin janvier 2020, groupe dont fait partie l’artiste-chanteur Ouattara Fadel. Au Togo, on vous arrête, ou on vous kidnappe d’abord avant de chercher le chef d’accusation qui vous conviendrait. Ainsi va notre pays avec une justice qui n’existe plus, ou plutôt une justice qui s’est sabordée d’elle-même.

Il n’y a pas longtemps Faure Gnassingbé élargissait une trafiquante de drogue d’origine sud-américaine par une grâce présidentielle. Le Chef de l’État togolais ne s’est nullement préoccupé de la gravité d’un tel délit, passible de la peine de mort dans certains pays, pour prendre sa décision. Mais des milliers de ses compatriotes, pour des délits mineurs, d’autres pour aucun délit, mais pour des raisons politiques, croupissent en prison depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Autour de Faure Gnassingbé, on estime que même le demi-frère du Président togolais, Kpatcha Gnassingbé, ne mérite pas qu’on le gracie.

65 jeunes valides dont une femme, pour semer la peur et la psychose au sein des populations, donc pour des raisons politiques, sont violemment enlevés à leur lieu de travail ou à leur domicile; et croupissent depuis 19 mois pour les uns, et 7 mois pour les autres en prison. Une affaire inventée de toutes pièces est vite mise sur pied pour détenir des pères et mère de famille sans aucun jugement, sans que cela n’émeuve outre-mesure le procureur de la République ou le Ministre de la Justice. Ce qui prouve que nous sommes dans un pays où tout citoyen, pour un oui ou pour un non, ou pour rien du tout, peut à tout moment perdre sa liberté ou même sa vie. Ce qui prouve aussi que le Togo est devenu, surtout sous les Gnassingbé, un pays où les institutions n´existent que de nom.

65 jeunes Togolais qui avaient chacun un travail, de la famille et des enfants. Plusieurs dizaines de jeunes Togolais, aujourd’hui désespérés, à bout de souffle, dont pour beaucoup l’éducation des enfants en pâtit et les ménages se désagrègent. Faure Gnassingbé, malgré tous les calculs politiciens qui sont les siens, puisque apparemment c’est lui seul qui décide, doit faire recours au peu de sagesse et de bonté qui lui reste pour penser à la libération immédiate des Togolais et des Togolaises qui ne sont d’aucun danger pour la société togolaise.

Il n’y a pas de raisons que les embastillés dans la supposée affaire d’insurrection armée et les kidnappés du PNP continuent à croupir innocemment en prison et à être ainsi séparés de leurs familles. Notre société étant constituée d’êtres humains qui devraient être au centre d’actions de tout gouvernement, il y a ce qu’on appelle les raisons humanitaires.

Un grand merci à nos correspondants qui ont bien voulu nous renseigner depuis Lomé.

Samari Tchadjobo
19 juillet 2020
Allemagne