Faure Gnassingbé | Photo : RoT

C’est une véritable levée de boucliers qu’a suscitée la surprenante nouvelle annonçant le dictateur togolais Faure Gnassingbé comme médiateur dans la crise malienne. Si nous étions au prermier jour du quatrième mois de l’année, on aurait pensé à une plaisanterie du « poisson d’avril », tant l’information quant au choix du personnage est plus que surprenante. Si le projet arrivait à terme et qu’effectivement le président de fait du Togo Faure Gnassingbé débarque un jour à Bamako pour offrir ses services en tant que médiateur,ce serait avec quel CV? Sur quelles références pourrait-il s’appuyer pour prétendre offrire ses « bons offices »?

En pays tem il y a un proverbe populaire qui dit: «Si quelqu’un vous promet de vous donner un chapeau, levez la tête pour voir celui que lui-même porte avant de savoir s’il en est capable.» Que ce soit sur le plan moral, sur le plan du respect des institutions de la république, sur le plan du respect des règles démocratiques incluant le respect de la vérité des urnes, sur le plan du respect des libertés individuelles, du respect des droits de l’homme, sur le plan de la prise en compte de toutes les composantes ethniques du pays dans la gestion des richesses pour le bien de tous, dans quel domaine, au sein de ce catalogue, Faure Gnassingbé peut-il être considéré comme un modèle pour prétendre faire profiter son expérience aux autres? Et les autorités maliennes savent-elles vraiment avec qui elles veulent faire équipe?

Et c’est à juste titre que l’une des rares figures de la vraie opposition encore sur le terrain, Madame Kafui Adjamagbo Johnson, secrétaire générale de la CDPA et coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro(DMK), s’est étonnée et indignée sur Radio France Internationale du choix de celui qui écrase les Togolais avec sa minorité méchante, pour jouer la médiation dans la crise malienne afin d’aider à améliorer les relations entre la CEDEAO, la France , le reste de l’union européenne et le gouvernement de transition malien.« Nous avons des doutes sur les intentions réelles. Monsieur Faure Gnassingbé se propose comme médiateur alors qu’il n’incarne pas les valeurs qui sous-tendent le combat du peuple malien, que même chez lui, il n’arrive pas à faire preuve d’ouverture. Il malmène son opposition. Il est fermé à toute discussion».

Nous lisons partout que Faure Gnassingbé entretiendrait de bonnes relations avec la junte malienne et que ce sont nos frères du Sahel qui seraient venus solliciter ses services. Tout le monde sait que si le chef d’état de fait du Togo est toujours au pouvoir malgré son impopularité, malgré les fraudes électorales, malgré la corruption endémique et malgré surtout les massives violations des droits de l’homme, c’est grâce au soutien de l’extérieur, surtout de la France. Et c’est également un secret de Polichinelle que le gouvernement de transition au Mali est depuis plusieurs mois à couteaux tirés avec le gouvernement français et avec une CEDEAO apparemment manipulée de l’extérieur. Et la curieuse médiation de Faure Gnassingbé dans la crise malienne devrait aider à améliorer les relations entre l’organisation sous-régionale et la communauté internationale, dont surtout la France. C’est aussi connu qu’au sein de la CEDEAO il existe également des chefs d’états qui sont taxés de relais de cette France-là.

Et parmi les points qui constituent la pomme de discorde entre Paris et Bamako il y a l’expulsion des medias français « France 24 », « Radio-France Internationale » (RFI) et la volonté des autorités maliennes de mettre fin aux accords de défense entre les deux pays; ce que le gouvernement français ne veut pas entendre de cette oreille. Vu toutes ces raisons que nous venons d’évoquer, il est clair que si Faure Gnassingbé devenait effectivement ce médiateur tant vanté,le bras de fer entre le Mali et la France feront partie des sujets de négociation et le « négociateur » togolais demandera sûrement à ses interlocuteurs de mettre un peu d’eau dans leur vin en faveur du gouvernement français. Nous nous demandons alors, comment dans une telle constellation où beaucoup d’intérêts contradictoires s’entremêlent, le président de fait du Togo pourrait-il être considéré comme un personnage neutre, ou même un « négociateur » ami du pouvoir de Bamako comme le pensent déjà certains observateurs. Voilà pourquoi nous nous demandons dans le titre de cet article d’après celui qui tire les ficelles de la marionnette Faure Gnassingbé. C’est pourquoi nous ne comprenons pas cette nouvelle posture adoptée par les autorités maliennes qui seraient venues d’elles-mêmes solliciter l’intervention du dictateur togolais. Sont-elles conscientes de la puissance nocive des soutiens du pouvoir de Lomé? Sont-elles sûres que leur « ami » togolais les soutiendrait en acceptant de scier la branche sur laquelle il est assis? Les circonstances de cette curieuse intrusion du président togolais dans l’imbroglio malien ne ressemblent-elles pas plutôt à une manipulation qui, si elle va jusqu’au bout, risquerait de destabiliser le pouvoir du « révolutionnaire » Assimi Goïta et ses amis?

Ces méthodes qui consistent pour les soi-disant dirigeants togolais à jouer à  » Mère Thérèsa » à l’étranger alors que dans leur propre pays les effets de la dictature et de la mauvaise gouvernance se lisent partout, ne datent pas d’aujourd’hui. Qui ne se rappelle pas de  » l’homme de la paix » Éyadéma qui jouait au sapeur-pompier ailleurs, alors que chez lui au Togo il faisait entretenir des camps de concentration pour faire torturer et exécuter ses opposants? L’Afrique et le monde politiques sont habitués à des négociateurs qui peuvent ou qui pouvaient se vanter d’avoir des cartes de visite bien fournies; donc des médiateurs choisis pour leur passé glorieux. Pour en citer quelques-uns nous pouvons mentionner le malien Amadou Toumani Touré surnommé le « soldat de la démocratie ». En mars 1991, après les manifestations populaires réprimées dans le sang, il participe au coup d’État contre Moussa Traoré, prend la présidence du Comité de transition pour le Salut du peuple et assure les fonctions de chef de l’État pendant la transition démocratique. Il organise la conférence nationale (qui s’est déroulée du 29 juillet au 12 août 1991), puis des élections législatives et présidentielle en 1992. À l’issue de ces élections, il remet le pouvoir au nouveau président élu Alpha Oumar Konaré. Voilà quelqu’un qui inspirait du respect et qui était sollicité, aussi bien par l’Union Africaine que par l’ONU pour être envoyé dans certains coins chauds de la planète pour faire profiter de son expérience.

L’égyptien Boutros Boutros Ghali, le Ghanéen Kofi Annan, tous deux anciens secrétaires généraux de l’ONU, très respectés à travers le monde, aujourd’hui disparus, avaient beaucoup d’expérience sur le plan diplomatique et sur le plan du règlement des conflits. Et ils avaient parcouru le monde pour offrir leurs services. Mais quand un chef d’état d’un pays appauvri par une gestion calamiteuse comme Faure Gnassingbé s’improvise médiateur dans la crise politique d’un pays frère, alors que son pays subit depuis des décennies des crises politiques à répétition encore plus graves, dues à sa mauvaise manière de concevoir le pouvoir politique, c’est notre devoir en tant que citoyens togolais de nous insurger en dénonçant cette ènième bourde d’un chef d’état de fait qui semble avoir perdu le nord.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Samari Tchadjobo | Photo: S.T