Le ministre de la Justice Pius Agbétomey | Infog : 27avril.com

Même lorsque le régime actuel est seul dans les starting-blocks pour une élection, il vole, triche, tripatouille. Les législatives de novembre 2018 l’ont montré. Mais face à une opposition –même divisée-, la frilosité est plus grande, la peur plus patente. Et le communiqué inique produit par le ministre de la Justice donne raison à ceux qui doutaient de la transparence des résultats du scrutin. Car, en se substituant à la Commission électorale nationale censée être indépendante (CENI), rien qu’au stade de la campagne électorale, il apparaît que tout résultat qui ne serait pas la volonté du pouvoir risque de ne jamais être porté à l’attention du public, au cas où il ne serait pas « modifié ».

Un ministre quelconque aurait effectué cette sortie honteuse qu’on comprendrait, en considérant qu’il méconnaîtrait les textes juridiques du code électoral. Mais quand c’est celui-là qui, avant son entrée au gouvernement en 2015, était qualifié de « bon juriste » qui se permet une intrusion grave qui, sous d’autres cieux, aurait remis tout le processus en cause, il urge qu’on en parle.

Que dit l’article 168 du code électoral togolais ? « La CENI est saisie de toute réclamation. Elle adresse, en cas de besoin, des injonctions aux autorités concernées ou au candidat dont l’attitude est incriminée. La CENI veille à la régularité de la campagne électorale ». Nulle part, il n’est fait mention d’une quelconque autorité, fût-elle Pius Agbétomey pour venir gambader dans le champ de la CENI.

Par son attitude, Pius Agbétomey dérape complètement en faisant des injonctions au candidat de Kpodzro en lieu et place de la CENI. Il s’autorise un communiqué pour mettre en garde ce candidat alors que l’article 168 du code électoral dispose que seule la CENI peut faire des injonctions en période de campagne.

Par son zèle, Pius Agbétomey fait une intrusion gouvernementale impensable dans le processus électoral, confirmant que la CENI n’est qu’un paravent et que le vrai conducteur du processus électoral, c’est le gouvernement togolais. Si en tant que parquet, il se permet de faire des injonctions aux candidats en période électorale, qui sera alors chargé de poursuivre lorsqu’il y a des infractions à la loi pénale, monsieur le ministre de la Justice ???

Beaucoup ignorent cet aspect. En effet, le parquet ne moralise pas, il poursuit simplement quand il y a infraction. La CENI pourrait même suspendre un candidat s’il existe des preuves que celui-ci a violé les dispositions du code électoral concernant la campagne. On ne comprend donc pas pourquoi bizarrement, Agbétomey prend la place du président de la CENI, Tchambakou AYASSOR.

D’ailleurs, nous avions appris qu’entre-temps, des juges du parquet avaient été nommés présidents de nouvelles CELI, mais avaient été remplacés immédiatement après. Justement pour préserver le rôle dévolu au parquet. Mais alors, que cherche encore le chef des « parquetiers » dans les élections, si ce n’est du pur zèle -dans l’espoir d’une suite favorable-, et un véritable dérapage du processus électoral ? En rappel, le contrôle de la régularité de la campagne d’un candidat au cours d’une élection présidentielle relève uniquement de la Ceni. Et si les candidats qui désapprouvent l’attitude du candidat du prélat ne saisissent pas la CENI, pourquoi c’est Pius Agbétomey, un externe au processus et qui n’est même pas candidat, qui se permet le luxe de réagir ? « De quoi je me mêle » ?

La CENI se taira-t-elle sur cet accaparement de son rôle par Pius Agbétomey ?Il faudrait que les autorités quelles qu’elles soient, se focalisent chacune dans le domaine de leur compétence telle que le dispose la loi électorale en vue d’avoir un processus électoral accepté parce que transparent. Ailleurs, le chef du gouvernement devrait demander des explications à ce ministre. Mais comme ici c’est le Togo, pays où l’impensable est toujours possible, on va certainement passer cette intrusion par partes et profits. Et bizarrement, le chef de l’Etat aussi, n’ayant pas réussi à se mettre au-dessus de la mêlée, s’est engouffré dans la brèche ouverte par son super ministre de la Justice pour saouler les populations de Doufelgou avec ce non-évènement, laissant de côté ses thèmes de campagne, c’est-à-dire…du vent !

Ci-dessous le communiqué du zélé ministre.

Communiqué du Garde des Sceaux, ministre de la Justice

Depuis quelques mois, il nous a été donné de constater que des déclarations, propos et comportements de certains acteurs politiques et religieux sont de nature à troubler l’ordre public et la paix sociale.

Cette situation s’amplifie au fur et à mesure que l’on avance dans le processus électoral en cours dans notre pays.

En effet, quelques jours avant l’ouverture de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 22 février 2020, un des candidats avec l’appui d’un prélat s’est illustré par des déclarations provocatrices qui frisent un appel à la sédition.

En outre, ce même candidat et ce prélat ont fait un usage abusif des symboles et emblème du pays, en l’occurrence le drapeau et l’hymne national.

Ces agissements à la limite de la légalité appellent de la part du Garde des Sceaux, ministre de la justice, la nécessité d’un rappel à la loi et d’une invite à plus de responsabilité en ces périodes sensibles de l’histoire de notre pays.

Il est évident que l’exercice de la liberté d’expression est un droit dans notre pays. Cependant, ce droit constitutionnel doit s’exercer dans le respect de la loi à laquelle est soumis tout citoyen, quel que soit son rang social.

Le ministère de la Justice veillera par conséquent à l’application stricte de ces lois.

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice en appelle à la sagesse et au bon sens de chaque acteur politique et de chaque citoyen pour la conduite d’un processus électoral exempt de violence de quelle que nature que ce soit, et de pratiques anti-républicaines en vue de préserver la paix et la sécurité dont notre pays, le Togo, a besoin pour son développement.

Fait à Lomé, le 06 février 2020

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Pius Kokouvi Agbétomey

Abbé Faria

Source : Liberté N°3100 du Lundi 10 Février 2020