Des employeurs chinois assènent des coups de kung-fu à des employés sur des chantiers.

Un « patron » chinois « négocie gentiment avec un ouvrier africain au Togo | Caricature : Donisen Donald / Liberté
Un « patron » chinois  négocie gentiment avec un ouvrier récalcitrant africain au Togo | Caricature : Donisen Donald / Liberté

La Chine, voilà un partenaire privilégié que s’est choisi le pouvoir Faure Gnassingbé depuis quelque temps. Ses entreprises multinationales ont le vent en poupe au Togo, notamment dans les BTP (bâtiments et travaux publics) où elles raflent des marchés et sont engagés sur plusieurs chantiers de construction de routes et autres ouvrages. Ce pays/puissance donne sans compter, préfinance souvent ses marchés, offre des financements sans contrepartie.

La Chine se découvre ces derniers temps des vertus d’humaniste et s’illustre dans des gestes de générosité. Ainsi dans le sérail, elle est vantée comme un vrai papa bonheur des Togolais. Mais loin de cette générosité de façade, se cache une autre face pas trop méliorative de cette puissance économique au Togo qui n’est pas souvent relevée.

La Chine généreuse et partout au Togo

Ce pays est décidément devenu le partenaire privilégié du pouvoir Faure Gnassingbé et semble coloniser le Togo. Selon les sources officielles, l’appui financier de la Chine à notre pays entre 2008 et 2014 se chiffre à 518 millions de dollars dont près de la moitié composée de dons (45%) et l’autre de prêts concessionnels accordés par l’Exim Bank, la banque de Chine. Côté dons, Pékin a financé des lycées, des hôpitaux, des projets agricoles et est intervenu dans différents secteurs comme l’éducation, la santé, le sport et la culture. A en croire les sources, Beijing est actuellement le premier partenaire du Togo devant le Système des Nations Unies (SNU).

Que ce soit l’Etat chinois lui-même ou ses entreprises, la Chine semble conquérir le Togo. Industrie, agriculture, commerce, BTP, elle est partout. Même les secteurs qui étaient la particularité des Togolais, comme la vente des pagnes, sont envahis. Dans le domaine des BTP notamment, la Chine semble faire la loi. Stade de Kégué, Nouveau palais de la présidence, Lycée scientifique de Tokoin…la liste de ses réalisations dans notre pays est assez longue. Et, le plus souvent, la Chine fait dans le préfinancement des travaux ou carrément des dons de financements. Ses rares prêts sont concédés sans grandes conditions, contrairement aux partenaires européens ou généralement occidentaux qui posent des préalables de démocratie et de bonne gouvernance. Et c’est ici que cette puissance est peinte par le pouvoir comme un papa bonheur.

Dans le sérail, on ne veut pas du tout entendre parler de colonialisme de la Chine. « La coopération chinoise n’a rien de néo-colonialiste (…) Je ne veux pas rentrer dans ce genre de débat qui ne nous avance pas beaucoup en Afrique où nous avons besoin de tout le monde. Chaque coopération a ses mérites. C’est à nous, Africains, de dire ce que nous voulons. La Chine respecte l’Afrique et s’engage à ses côtés pour l’atteinte du bien-être des populations. J’espère juste que l’Afrique saura tirer profit de ce bel exemple de Coopération Sud-Sud », a déclaré le ministre des Affaires étrangères et de la coopération, Robert Dussey dans un entretien accordé au magazine « Afrique Education ».

« Le Père Noël est Chinois », s’emportait le 11 décembre dernier republicoftogo, relativement au financement par le gouvernement chinois de la construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale dont l’accord a été signé ce jour. « Le budget estimé est conséquent : 12 milliards de Fcfa entièrement pris en charge par Pékin », indique le site. Il y a de quoi jubiler pour les gouvernants.

Au-delà du Togo, la générosité de la Chine touche tout le continent africain. Ce qui transparait dans l’octroi du pactole de 60 milliards de dollars par le président chinois Xi Jinping, lors du dernier sommet Chine-Afrique en Afrique du Sud pour financer une dizaine de programmes de coopération, notamment dans l’agriculture, l’industrialisation, la réduction de la pauvreté et la sécurité , un geste qui a fait la joie des dirigeants du continent, surtout qu’il est sans contrepartie. « Nous devons travailler ensemble, a souligné le président chinois Xi Jinping, en restant politiquement neutres, en nous faisant mutuellement confiance et sans imposer nos idées ». Un message applaudi particulièrement par le président du Zimbabwe et de l’Union africaine, Robert Mugabe, qui s’est lancé dans une attaque contre les pays occidentaux : « La Chine est en train de faire pour le développement de l’Afrique ce qu’aucun pays colonisateur n’a fait, ensemble nous allons maintenant nous battre pour une vraie démocratie aux Nations unies », et de souhaiter « Que Dieu bénisse la Chine !».

La générosité de la Chine est sans limite au Togo. Ce pays se découvre même des vertus d’humanisme. L’Ambassade de Chine au Togo et l’Association des ressortissants chinois au Togo (Arct) ont fait le 16 décembre dernier, un don de vivres et de non vivres d’une valeur de 9.200.000 francs CFA à l’Agence de solidarité nationale (Asn), dans le cadre de la mise en œuvre de l’opération Noël solidaire 2015. « Il s’agit de répondre aux besoins des enfants vulnérables puisque Noël s’approche», a indiqué l’ambassadeur de Chine au Togo, M. Liu Yuxi.

La bonté de la Chine est ostentatoire et fort appréciable. Mais elle cache mal l’autre visage sombre de ce pays au Togo souvent occulté.

Qualité douteuse des ouvrages, aucune place pour le droit…

Chinoiserie, c’est le terme par lequel on désigne généralement les produits chinois de moindre qualité. Que ce soit dans l’électroménager, l’automobile, les produits pharmaceutiques, etc., si les made in China rendent beaucoup service, abondent sur le marché et sont prisés (sic) par les consommateurs, leur qualité reste douteuse. Dans le secteur des BTP où les entreprises chinoises raflent les marchés, les ouvrages offerts ne sont pas réputés de bonne qualité, même s’ils sont clinquants. L’illustration palpable, ce sont les travaux des contournements d’Alédjo-Défalé.

Financés majoritairement par Exim Bank à hauteur de 31 milliards de FCFA, ces deux marchés ont été exécutés par la Société nationale chinoise des travaux de ponts et chaussées (Snctpc) et les travaux ont été bien contrôlés par des cabinets. Mais à peine ouvertes à la circulation, ces routes qui n’ont d’ailleurs pas été officiellement réceptionnées, sont fermées depuis le 14 décembre dernier pour « des travaux de maintenance ». Du terrassement à l’enrobé, les travaux ont été mal exécutés, l’épaisseur et les dimensions prévues n’ont pas été respectées, les matériaux ont été sous-évalués. On parle de terrassement raté, de revêtement léger, de finition totalement loupée. Par endroits sur le contournement de la faille d’Alédjo, des nids de poule et de dromadaire sont visibles, ce qui contraint les gros porteurs à faire des gymnastiques qui sont parfois sources d’accidents graves. Certains observateurs parlent de travaux à reprendre à zéro.

C’est un secret de Polichinelle, le respect des droits de l’Homme n’est pas le point fort de la Chine. C’est un pays de dictature pure et dure. Comme le caricaturait un observateur, « les Chinois sont incompatibles aux droits de l’Homme ». Dans ce pays, tout se règle par la force. Les entrepreneurs chinois semblent traîner cette mauvaise réputation à travers le monde. Contrairement aux multinationales européennes qui sont un peu regardantes sur les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde), dans les BTP où ils semblent rois au Togo, pas de place possible pour le droit avec les Chinois. C’est peut-être une réalité commune à toutes les entreprises sans distinction ; mais avec les entrepreneurs chinois :

  • pas de contrat de travail pour les employés,
  • pas d’indemnité pour les travaux de nuit,
  • pas de bulletins de paye ;
  • il n’existe non plus de déclaration à la caisse, des prélèvements sur salaire pour cause d’absence même en cas de maladie sont effectués,
  • les accidents de travail ne sont nullement pris en charge et les ouvriers blessés sont abandonnés à leur triste sort…

Outrés, les ouvriers du chantier de construction de la nouvelle aérogare avaient observé l’année dernière des mouvements d’humeur. Mais c’est la force brute qui leur a été réservée, avec la complicité des gouvernants. La plupart ont été licenciés sans autre forme de procès.

Même si le droit de grève est reconnu par le Code du travail togolais et les conventions internationales de l’Organisation internationale du travail (Oit) dont le Togo est partie, avec les Chinois, pas de place à la grève comme moyen de revendication. Voici un extrait d’une curieuse note de chantier sur le site de la construction du siège de la BSIC géré par la Compagnie géologique de Chine (Cgc), datée du 25 novembre dernier qui édifie davantage :

« Article 1er : Les ouvriers recrutés pour des travaux de chantiers et rémunérés par quinzaines sont des saisonniers. Les paiements de salaires qui se font habituellement les 20 et 05 des mois ne sont pas systématiques et sont susceptibles de connaître des retards quelques rares fois et en cas de difficultés. Dans de pareilles circonstances, toute grève ne sera admise.

Article 2 : Les ouvriers doivent se référer à leurs responsables hiérarchiques toutes les fois qu’une situation conflictuelle se présenterait. Faute de consensus avec les responsables hiérarchiques immédiats, ils pourraient porter le contentieux auprès du responsable du chantier pour un règlement à l’amiable. Les actes de grèves et de sabotages sont rigoureusement proscrits sur les chantiers.

Article 3 : Tout ouvrier est tenu d’obéir aux ordres de son responsable d’équipe ou du responsable du chantier au risque de se voir licencier sans préavis ni indemnité aucune… ».

Et cette note de chantier assez musclée, certains ouvriers, deux Togolais notamment, ont refusé de la signer – c’est ce qui a été justement demandé à tous les ouvriers – et ont été renvoyés sans autre forme de procès.

Des coups de karaté portés sur des employés

La Chine est la terre par excellence des arts martiaux dans le monde. Le karaté fait partie intégrante de son identité et les Chinois en sont de grands praticiens. Dans les films, il est loisible de voir un maitre kung-fu martyriser ses élèves ou disciples à l’entrainement, s’en servir comme cobayes sur lesquels il s’exerce à certaines techniques à mettre plus tard en œuvre dans les combats, leur assener des coups parfois mortels. Sur des chantiers de construction d’ouvrages dirigés par des entreprises chinoises au Togo, on assiste à ces genres de maltraitances.

Cas 1 : Un jeune Burkinabé bourré de coups par son chef Chinois. L’entreprise chinoise concernée, la CGC; elle  en charge la construction du siège social de la BSIC sis au quartier Nyékonakpoè à Lomé, à côté de l’Union togolaise de banque (Utb).

La victime, un travailleur migrant, un jeune burkinabé du nom de Malka Seni. Recruté depuis cinq mois par l’entreprise sur ce chantier comme ferrailleur, le jeune homme a été mis à la porte sans autre forme de procès. Mais avant, le 25 novembre dernier, il a été frappé sur un chantier dirigé par l’entreprise par son chef hiérarchique chinois, chef maçon du nom de Yang. « Il m’a tenu par le col, m’a frappé avec un chevron, mais aussi m’a assené un coup de main au cou et ensuite m’a poussé devant avec force », nous confie la victime.

L’infortuné ouvrier ne sera pas rappelé pour continuer le travail, comme promis par les supérieurs hiérarchiques. Un licenciement de fait donc. Quelques jours après, il lui sera demandé de sortir de la chambre où il est logé aux frais de l’entreprise avec cinq (05) autres ouvriers. Le jeune homme a dû passer trois bonnes nuits dehors, à dormir dans la rue sur le terre-plein des boulevards avant d’être récupéré par les responsables du Syndicat des ouvriers, employés et cadres des travaux publics et bâtiments (Soectrab), membre de la Fédération des travailleurs du bois et de la construction du Togo (Ftbc Togo).

Cas 2 : Un jeune Togolais, brutalisé par un colon Chinois. L’entreprise concerné, la SNCTPC

L’autre cas de maltraitance est vécu par un compatriote du nom d’Aklesso Boyodi, chauffeur à la Snctpc, toujours ce 25 novembre. Appelé par son patron chinois, un certain Gao, alors qu’il était en train de se restaurer à midi, l’agent a dû abandonner le repas pour répondre présent. Mais son chef n’était pas content et le lui a fait savoir à la chinoise.

Selon les sources bien au fait de l’affaire, le Chinois l’a tenu par le cou derrière, courbé et lui a ensuite assené un coup de genou dans le dos au niveau des reins. « Vous savez, ces gens sont biberonnés aux arts martiaux depuis l’enfance, ils connaissent l’anatomie du corps humain et savent où donner un coup mortel. Moi j’ai fait un peu le karaté et je m’y connais aussi un peu. Lorsque quelqu’un te fait un geste pareil, c’est qu’il a l’intention de t’assommer ou de te créer un dommage sérieux. Le chauffeur-là pourrait même être paralysé. Le Chinois avait bien l’intention de lui faire très mal, et il pouvait même lui faire éclater la colonne vertébrale », glose une source dans le monde syndical.

Un examen de radiographie subi par la victime révèle une lésion au niveau du bas de la colonne vertébrale. Comme si cette violence ne suffisait pas, et comme pour le punir davantage, le chauffeur s’est vu retirer le véhicule qu’il conduisait et remettre un autre au siège dégarni de mousse.

On le voit bien, c’est une Chine au « grand cœur », toute généreuse que l’on retrouve au Togo ! Du moins les gouvernants la peignent comme telle, au regard de ses dons et autres gestes faits à l’endroit de notre pays. Mais cette générosité de façade cache les maltraitances que font subir les employeurs chinois aux travailleurs togolais et étrangers sur les différents chantiers, entre autres vices.

Source : [31/12/2015] Tino Kossi, Liberté