Agadzi-Eve-Kloussè-à-dr-et-Segnon-Yao-à-g-après-libération
Les criminels Agadzi Eve Kloussè (à dr) et Segnon Yao (à g), après leur libération de prison | Photo : DR / Liberté

Sans assainissement profond de la justice togolaise, il arrivera toujours que des innocents croupissent dans les geôles du Togo. Pire, que des auteurs d’actes pénaux prennent des galons et menacent de mort d’innocentes victimes. Mais lorsque ces victimes courent des risques avérés du fait de l’inconséquence de certains juges, il devient urgent que certains dossiers soient rouverts par l’inspection générale en charge du suivi des magistrats et des détenus au Togo. Cas du juge Atandji Koffi, de la victime Sikirou Bello et de deux prévenus coupables de destruction d’immeubles au quartier Ave Maria à Lomé.

Lorsque nous publiions les histoires du sieur Sikirou Bello, du nom de ce citoyen lambda ayant été déposé à la prison civile de Lomé pour homicide « imaginaire » depuis des années, la hiérarchie de la justice togolaise n’en avait cure. Aujourd’hui, cet homme risque d’être abattu au coin d’une rue, ou en plein sommeil, sans qu’on ne sache vraiment de quoi il serait mort. Et, dans une indifférence totale, les auteurs retrouveraient la tranquillité d’esprit. Parce qu’avec lui vivant, ceux-ci ont du mal à dormir du sommeil du « coupable ayant reçu l’absolution du juge ».

Une histoire banale au début. Ayant hérité d’un immeuble acquis par son père au quartier Ave Maria sur lequel il a construit, Sikirou Bello avait été approché par ceux qui avaient vendu la parcelle de terrain à son père, au motif que la valeur à laquelle la vente avait été conclue, était défavorable à eux. A nouveau, l’héritier avait déboursé contre reçus et dans un cabinet de notariat une somme pour se voir délivrer un reçu définitif sur le terrain.

Mais cet héritier était loin d’imaginer que son existence même troublait les plans des vendeurs. Alors qu’il n’était en rien concerné par une rixe qui s’était produite dans le quartier –les auteurs de la bagarre ont été cités des années plus tard devant le doyen des juges par leur propre mère- et ayant entrainé mort de l’ancien mandataire, Sikirou Bello et deux autres personnes avaient été curieusement accusés –sur la base d’une fausse déclaration- comme étant ceux qui ont tabassé l’ancien mandataire jusqu’à ce que mort s’en suive.

C’est ainsi que depuis 2013, les trois furent déposés en prison, sans jugement. Jusqu’en 2019 où ils ont été relâchés après que la justice a découvert qu’ils étaient emprisonnés gratuitement, alors que l’actuel doyen des juges en charge du dossier en ce moment exigeait de chacun des prévenus une caution de 50 millions FCFA avant libération provisoire.

Seulement, entre temps, les motivations des auteurs ayant conduit les trois malheureux en prison s’étaient fait jour. Ceux qui ont vendu doublement l’immeuble au même acquéreur sont retournés sur le terrain, mais pour démolir la maison dallée de cinq chambres-salon-wc-douches-cuisine-garage à coups de marteaux. Sans ordonnance aucune de quelque juge que ce soit ni en présence d’huissier. Pour ensuite revendre le même terrain à une tierce personne contre la somme dérisoire de 15 millions FCFA.

La gendarmerie avait fait sa part en mettant la Brigade de recherches en branle. Elle avait fini par mettre la main sur deux des auteurs de destruction de l’immeuble. Nous avions relaté des passages du procès-verbal dans lequel ils reconnaissaient l’acte posé, en violation de toute morale humaine et de la loi. Leur avocat avait fait profil bas et sollicité deux semaines pour que ses clients reconstruisent toute la maison. Une utopie. Et le juge avait délivré un mandat de dépôt, en attendant que cette promesse soit réalisée. Elle ne le sera jamais.

Mais, le juge d’instruction Atandji Koffi, pour des raisons que lui seul peut expliquer, avait décidé d’agir dans l’intérêt des prévenus Segno Yawo et Agadzi Eve Alossode, il s’était permis de remettre en liberté les prévenus qui reconnaissaient leur acte et demandaient pardon lors de leur interrogatoire. Sans caution aucune. Il aurait été approché par un chef d’un village situé côté ghanéen, Togbui Hededji Koumako pour leur libération ; on parle d’une somme totale de 1,5 million FCFA encaissée. Et bien que nous ayons alerté sur la probabilité de voir ces deux prévenus se retrouver de l’autre côté de la frontière, une fois libérés. Aujourd’hui, c’est un des membres de ce réseau qui a commencé à menacer de mort le sieur Sikirou Bello.

Pour justifier leur libération, le juge s’était ainsi justifié : «…Par dénonciation, Bello Sikirou fut arrêté, déféré puis déposé à la prison civile de Lomé. Profitant de sa détention, la collectivité Agadzi Eve a revendu sa maison à un nouvel acquéreur à quinze millions FCFA. Afin de permettre à ce dernier d’exploiter le domaine, les nommés Agadzi Eve Kloussè, Senyo Yao et autres sont allés démolir les constructions érigées par Bello Sikirou, courant année 2015 ». Il a ensuite pris les réquisitions suivantes : « Suivant ordonnance en date du 28 avril 2020, le magistrat instructeur en abandonnant les réquisitions du ministère public, a ordonné la mise en liberté provisoire des inculpés sous contrôle judiciaire… La détention étant une mesure exceptionnelle, en l’espèce, elle n’est plus nécessaire vu les risques élevés de contamination liés à la pandémie du covid 19. Il conviendrait alors de confirmer la mise en liberté provisoire des inculpés, en attendant la suite de la procédure ». L’avocat de Bello Sikirou s’était pourtant opposé à ces libérations.

Appel téléphonique de menace et recherche d’arme

La vie de Bello Sikirou serait en grand danger. Par la volonté ou l’inconscience du juge Atandji Koffi. Et surtout de la nonchalance de la justice togolaise devant certaines affaires. Mais si demain, quelque chose de dommageable devrait arriver à Bello Sikirou, au-delà des auteurs qui devront répondre de leur acte, le juge Atandji aura une responsabilité toute particulière.

Nous avons été à la Brigade de recherche pour constater qu’il y a une information laissée à leur niveau et selon laquelle le sieur Agadzi Eve Attissogbui chercherait actuellement une arme à feu pour en finir avec Bello Sikirou et le témoin Abdoulaye Ibrahim et ainsi régler définitivement le problème.

C’est ainsi qu’après qu’une 1ère convocation leur a été adressée par la Brigade de recherche, le sieur Agadzi Ave Attisogbui a appelé Bello Sikirou pour le menacer. « N’est-ce pas parce que tu es en vie que tu nous convoques ? On verra bien », lui aurait-il lancé en substance. C’était le 5 juin 2021 aux environs de 19 heures, avec un numéro de téléphone du Ghana. Une 2ème convocation est aussi restée sans suite ; c’était le 7 juin 2021.

Rappelons que sur le procès-verbal d’enquête préliminaire en date de novembre 2019, les personnes soupçonnées de destruction volontaire et complicité de destruction de maison d’habitation, faits prévus et réprimés par les articles 48, 693 et 694 du code pénal, étaient : Agadzi Eve Kloussè, Segnon Yao Paul, tous deux arrêtés puis relaxés, et Agadzi Eve Paul, Agadzi Eve Komlan, et Agadzi Eve Attisogbui, Agadzi Eve Blacki, tous en fuite.

Le régent de Sagbado dans un mauvais rôle

Un régent a-t-il le droit de cautionner des actes vils posés par ses administrés ? Pour mémoire, lorsque deux des auteurs de destruction d’immeuble avaient été appréhendés par les agents des forces de l’ordre, Togbui Dogbé Alley, régent du canton de Sagbado s’était rendu à la brigade de recherche dans le but de les faire libérer. « Pour ces cas, j’aide beaucoup les gens pour leur libération », nous a répondu le régent quand nous l’avons interrogé dimanche dernier sur son implication dans ces tentatives de libération. Toutefois, les prévenus avaient été déposés par le 2ème substitut, Talaka Mawama qui estimait que les faits étaient très graves. Mais avec la décision du 3ème substitut, tout a l’air comme si son collègue du 2ème substitut méconnaissait les textes de loi et devrait prendre des cours auprès de lui.

Un délibéré attendu le 7 juillet prochain

Dans l’affaire de la vente du terrain du sieur Bello Sikirou à une tierce personne, un délibéré sur le fond du dossier est attendu le 7 juillet prochain. Mais même si l’issue de cette audience ne fait pas de doute, il faudrait que l’ayant-droit de l’immeuble soit d’abord en vie pour jouir des fruits de ses labeurs. Or, du fait du laxisme du juge Atandji Koffi, une mort soudaine venue de nulle part pourrait frapper celui-là qui a déjà eu à payer doublement son terrain auprès des destructeurs et été injustement emprisonné pendant des années pour un crime qu’il n’a pas commis.

Sous d’autres cieux, Bello Sikirou devrait porter plainte pour détention abusive pendant des années en prison contre l’Etat togolais. Mais bien qu’il ait presque perdu la vue, il a décidé de s’en remettre à son créateur et de repartir à zéro. Les autorités judiciaires permettront-elles qu’il soit abattu inutilement sans avoir joui d’un bien qui lui revient de droit? Le citoyen n’a pas besoin d’avoir des relations haut placées pour voir sa cause entendue et défendue.

Godson K.

Source : Liberté / libertetogo.info