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Après que le cabinet d’expertise Deloitte a accepté la mission à lui confiée par la Cour d’appel de Lomé, on découvre par un courrier de désistement que ce cabinet a déjà un intérêt dans ce dossier. Il est commissaire aux comptes de l’Union togolaise de banque (UTB). Combien de temps encore avant que la Cour d’appel ne se prononce dans une affaire commerciale et dont le rallonge des délais commence à inquiéter quant à la volonté de voir ce différend tranché ?

Le cabinet d’expertise Deloitte avait-il besoin d’accepter le travail qui lui a été confié par la Cour d’appel avant de se désister des semaines plus tard ? La Cour d’appel ignorait-elle que ce cabinet serait dans une position de juge et partie en acceptant la mission ? Enfin, on estime que le revirement de ce cabinet serait certainement le fuit des constats établis par lui, et qui le mettrait dans une position peu confortable vis-à-vis de son « employeur », l’UTB. Pour des raisons précises.

En effet, par ordonnance n°1224/2022 en date du 17 novembre 2022, la Cour d’appel de Lomé a commis le cabinet Deloitte aux fins d’établir une expertise du compte du client Tele Mobil International. Le cabinet Deloitte devait entre autres missions, vérifier les déblocages automatiques qui ont été effectués sur le compte courant du client ouvert dans les livres de l’UTB, sans sa demande et à son insu. Cette mission a été formellement notifiée au cabinet le 1er décembre 2022. Pour une durée de trente jours. On s’attendait alors à un épilogue avant fin décembre.

Mais trois semaines exactement plus tard, voilà le cabinet Deloitte qui, par un courrier en date du 21 décembre 2022 adressé au président de la Cour d’appel de Lomé, use de phraséologies pour donner l’impression d’être dans l’incapacité d’assurer la mission qui lui a été confiée.

« Nous accusons réception de votre ordonnance n°1224/2022 nous désignant pour une contre-expertise dans l’affaire opposant l’Union togolaise de banque à la société Tele Mobil International et vous remercions pour la confiance que vous avez porté en notre cabinet. Nous avons procédé, conformément aux normes professionnelles applicables à nos missions, aux procédures d’acceptation de cette mission et sommes au regret de vous indiquer que nous ne sommes pas en mesure d’accepter la mission qui nous a été confiée. En effet, nous avons relevé un conflit d’intérêt résultant du fait que nous sommes commissaire aux comptes suppléant de l’Union togolaise de banque depuis plusieurs exercices… ». Tel est le contenu du courrier envoyé, trois semaines plus tard. Mais même avec ça, il apparaît que le cabinet Deloitte serait mis sous pression ; autrement, il aurait attendu probablement la fin du délai à lui imparti avant d’avouer être juge et partie. Dans un but de faire trainer la procédure, rien de plus.

Deloitte a été contraint par un courrier envoyé 48 heures plus tôt, soit le 19 décembre 2022 par le client de l’UTB. Dans ce courrier, le client s’étonne du silence du cabinet, depuis le 1er décembre où celui-ci s’est vu confier la mission de contre-expertise. « Depuis cette saisine jusqu’à ce jour, nous n’avons aucune information relative à l’avancement de votre mission. Nous venons donc par la présente pour nous enquérir de l’évolution de la mission à vous confiée ». Et 48 heures plus tard, la réaction du cabinet a atterri sur la table du président de la Cour d’appel. Que se serait-il passé si le client n’avait pas adressé de courrier à Deloitte ?

Le président de la Cour d’appel commet un autre cabinet

Une affaire commerciale n’a-t-elle plus de délai imparti selon les textes de l’OHADA ? Le premier juge du tribunal de commerce de Lomé avait tranché sur la base d’éléments produits par le premier expert Awouté. Deux autres experts lui ont succédé à la Cour d’appel. Le cabinet Deloitte aussi vient de jeter l’éponge. Pendant ce temps, le client est acculé dans ses activités et les autres banques ne semblent pas prêtes à lui venir en aide.

Mais dans une énième ordonnance datée du 27 décembre 2022, le président de la Cour d’appel, Wottor Kokou Amegboh prend la décision de confier le même dossier à un autre cabinet, Konny Afrique Togo, pour les mêmes missions. Et cette fois-ci, ce ne sont plus 30 jours, mais 60 jours qui sont offerts audit cabinet aux fins de vérifier les déblocages automatiques qui ont été effectués sur le compte courant du client ouvert dans les livres de l’UTB. Il s’agit de dire si lesdits déblocages automatiques sont conformes aux pratiques et à l’orthodoxie bancaire.

A quoi peut-on s’attendre quand on apprend aux dernières nouvelles que, sans encore avoir commencé le travail, le cabinet retenu aurait demandé une rallonge du délai à lui imparti ? Et pourtant, il ne s’agit que des mouvements sur un seul compte et dans un intervalle de temps donné.

A quoi veut-on pousser le client qui, depuis bientôt deux ans que cette affaire dure, est asphyxié financièrement ? Est-ce la meilleure manière de rassurer les investisseurs quant à la célérité de la justice togolaise ?

Un jugement pourtant logique, clair et digeste

La logique du jugement n°190/2021 du 17 mars 2021 serait conduite de manière floue qu’on comprendrait l’attitude de la Cour d’appel à s’appuyer coûte que coûte sur une contre-expertise. Mais quand on lit ledit jugement qui tient sur 98 pages, il souffre d’un excès de logique. Et ses conclusions au fond devraient édifier plus d’un.

« Rejette la demande avant-dire-droit d’audition de l’expert ;

Dit que seules les conclusions des points 1 et 2 du rapport d’expertise respectueux de la mission confiée à l’expert lieront le Tribunal pour le règlement de la cause ;

Dit également que c’est le solde du compte courant n°428 250 004 00-47, seul compte ouvert par TMI dans les livres de l’UTB et qui a cristallisé tous les opérations et mouvements financiers survenus dans le cadre de leurs relations (prêts, remboursements, avances sur marchés, paiements des autorités contractantes, perceptions d’intérêts), qui détermine l’état des engagements financiers de TMI ;

Constate qu’en réponse aux reports d’échéances sollicités par TMI, l’UTB a plutôt procédé à des déblocages automatiques qui sont, en réalité, de nouveaux crédits mis en place avec des intérêts ;

Déclare, en conséquence, irrégulière cette pratique de déblocages automatiques dont les montants ont été pris en compte pour le calcul du solde du compte de TMI et dit que TMI n’a pas à les supporter dès lors qu’il est établi que les avances sur marchés dont report de paiement a été sollicité, ont été effectivement payés par TMI ou les autorités contractantes ;

Juge, par contre, qu’il appartient à TMI qui conteste le montant des intérêts sur cautions et garanties réclamé par l’UTB, de relever les perceptions irrégulières et de dire ce qu’elle doit, en définitif, de ce chef ;

Rejette, en conséquence, sa demande reconventionnelle tendant à ne pas prendre en compte le montant de ces intérêts ;

Dit que le solde du compte de TMI, après comparaison des montants inscrits à son débit et à son crédit et après soustraction des irréguliers déblocages automatiques, est plutôt créditeur de la somme de cinq cent trente-sept millions huit cent trente-sept mille huit cent douze (537.837.812) F CFA ;

Rejette, en conséquence, la demande principale de l’UTB aux fins de condamnation de TMI à lui payer la somme de cinq cent quarante-six millions cent trente-deux mille deux cent trente-cinq (546.132.235) F CFA en principal et celle de quatre-vingt-seize millions sept cent vingt mille quatre cent cinq virgule cinquante-neuf (96.720.405,59) F CFA au titre des frais de poursuite et d’exécution forcée ;

Condamne, par contre, l’UTB à payer à TMI la somme de cinq cent trente-sept millions huit cent trente-sept mille huit cent douze (537.837.812) F CFA ;

Lui enjoint de créditer le compte de TMI dudit montant dès le prononcé du présent jugement sous astreintes de deux millions (2.000.000) F CFA par jour de résistance ;

Juge que dans l’exécution de la convention de compte courant liant les parties, l’UTB a manqué à ses obligations de bonne foi et de loyauté au préjudice de TMI ;

Condamne, en conséquence, l’UTB à payer à TMI la somme d’un milliard deux cent millions (1.200.000.000) F CFA à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices économique et moral subis par cette dernière ;

Dit que l’ensemble des condamnations prononcées produira des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Constate qu’il y a urgence et péril en la demeure et que TMI, avec l’hypothèque conventionnelle consentie, offre des garanties de répétition ;

Ordonne, en conséquence, l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant toutes voies de recours et sans caution ;

Condamne l’UTB aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Mawulikplim GBETOGBE, Avocat aux offres de droit… ».

Godson K.

Source: Liberté / libertetogo.info