Un portail scellé à Gbamakopé
Un portail scellé à Gbamakopé | Photo : Liberté

Consternation, indignation et angoisse. Les populations du village de Gbamakopé, s’en remettent désormais au maire de Zio1 et au préfet pour trouver une issue favorable à la situation de drame qu’elles vivent. Depuis deux ans, un drame humanitaire est orchestré par une famille du nom de Kpassra, laquelle revendique la propriété de…tout le village. Plus de 366 hectares sont concernés.

Un drame

C’est un véritable drame qui se profile à l’horizon. Un village plus grand que Kodjoviakopé et Nyékonakpoè réunis est en train de disparaitre de la carte géographique du Togo. Le canton de Djagblé et la commune de Zio1 vont perdre un village assez vaste situé entre Adétikopé et Djagblé. Si rien n’est fait, on ne parlera bientôt plus de Gbamakopé, mais de domaine de Kpassra. Entre 5000 et 6000 maisons sont concernées par cette expropriation, du jamais vu au Togo.

Tout commence par un litige sur une superficie de 5 hectares. En 2011, une personne du nom de Kpassra Homéfa obtient le droit de propriété sur une superficie de 5ha 72a 02ca. C’est le début du projet expansionniste de la collectivité Kpassra. En 2005, le domaine des Kpassra est étendu à 21 hectares puis récemment à plus de 366 hectares, engloutissant par la même occasion les vestiges de la collectivité Gbama. Le cimetière familial vieux d’au moins deux cents ans et le palais royal de Togbui Emmanuel Afandjiga Gbama VI, chef du village de Gbamakopé, sont aussi concernés.

Un tour dans le village et la première chose qui attire l’attention est la dominance de la couleur rouge. Ce n’est pas du sang versé, mais de la peinture. Sur toutes les maisons, on peut lire des inscriptions faisant allusion aux Kpassra. « Propriété de la collectivité Kpassra. Voir Mes Missité, Djéri, Dzoka », avec comme d’habitude l’inscription des contacts des juristes. Il faut y comprendre l’immensité du domaine pour que ceux qui en réclament la propriété aient recours à plusieurs cabinets.

A certains endroits, les portails sont simplement scellés, empêchant tout mouvement des occupants. Des actes de vandalisme sont également signalés. Des occupants ont vu leurs portes défoncées, des effets personnels emportés. « Quand ils sont venus, ils ont défoncé la porte. Comme la maison est encore en chantier, ils ont emporté les matériaux de construction », relate une dame, voisine d’un monsieur dont les biens ont été emportés, visiblement pour l’empêcher de poursuivre son chantier. Pareil récit, nous l’avons écouté dans une vingtaine de maisons. Et cela ne concerne que la semaine du 19 avril 2021. Les villas de haut standing qui se construisent dans le village ne sont pas épargnées. Elles portent toutes l’inscription « Propriété de la collectivité Kpassra. Voir Me Missité, Djéri, Dzoka ».

Mais le véritable drame, c’est que si cette expropriation est réalisée, ce sera non seulement la fin d’une collectivité riche de centaines voire de milliers de descendants, mais aussi le retour à la case départ des milliers de personnes qui ont acquis des terrains dans le domaine, aux prix de toute une vie de sacrifices. « En effet, les populations de Gbamakopé traversent une situation dramatique au centre de laquelle se trouvent l’expropriation et l’envahissement de toute la superficie dudit village évaluée à 366 ha 09 a 12 ca au profit d’une seule collectivité appelée Kpassra au nom d’une prétendue décision judiciaire qui n’a guère tenu compte des vraies réalités. Cette décision lugubre et cynique a plongé des familles autochtones et leurs acquéreurs dans une impasse totale aux conséquences traumatisantes », écrivent les populations de Gbamakopé dans une lettre adressée au conseil municipal de la Commune Zio1.

D’incessants appels au secours

Dans cette situation d’injustice, les populations de Gbamakopé multiplient les appels au secours. De la Présidence de la République au ministère de l’Urbanisme en passant par d’autres départements ministériels, des courriers ont été envoyés. Mais jusqu’à ce jour, rien. « Aujourd’hui tout le village est en chantier de morcellement au profit de la collectivité Kpassra appuyée par les forces de sécurité et il nous est demandé d’acheter des lots auprès de ces imposteurs et faussaires. Cette situation qui affecte autant les autochtones que les acquéreurs, suscite indignation et consternation. Nous avons mené des démarches auprès des autorités administratives et politiques pour l’arrêt des travaux, mais tout continue sous notre regard impuissant », déplore-t-on à Gbamakopé.

Heureusement, toutes les oreilles ne semblent pas sourdes à leurs cris de détresse. Lors de sa séance du jeudi 22 avril 2021, le conseil municipal de Zio1 a examiné la doléance d’intervention des populations de Gbamakopé. En début d’après-midi, le maire et ses collègues ont effectué le déplacement pour voir le sinistre qui se joue. Le préfet de Zio a été également saisi. Mais auront-ils les coudées franches pour agir ?

Et pour cause, des mains obscures semblent guider ce dossier. Et selon les déclarations des concernés, les forces de défense et de sécurité seraient parmi les bénéficiaires de cette expropriation. Pour avoir le soutien de certaines autorités, les Kpassra auraient habilement inscrit sur leurs plans des réserves administratives destinées à accueillir des casernes ainsi que des promesses de construction de logements pour les corps habillés. A notre passage dans le village, nous avons vu deux camions, un véhicule 4×4 de la police non loin du CEG du village, une cinquantaine d’éléments et de la bonne nourriture. « Ils sont là tous les jours. Ils viennent le matin et quittent dans l’après-midi. Certains patrouillent dans le village et dès qu’ils aperçoivent des maçons travailler, ils appellent des renforts pour violenter et arrêter les gens », rapporte un guide. Ce dernier croit dur comme fer que ce sont des autorités complices qui empêchent leurs cris d’atteindre Faure Gnassingbé.

L’une des preuves d’une administration complice se retrouvent dans le fait qu’au départ, le litige ne concernait qu’un domaine de 5 hectares. Comment les juges en sont-ils arrivés à fournir des ordonnances concernant plus de 366 hectares ? L’autre preuve de la complicité de l’administration réside dans le fait que depuis 1995, le village de Gbamakopé a obtenu un certificat administratif sur son domaine de 366 ha. Le certificat dont nous avons eu copie est signé par le préfet Hévi Doglan. Remettre en cause ce certificat équivaut à jeter du discrédit sur toute l’administration togolaise. Cela concerne également les documents administratifs relatifs à la chefferie traditionnelle de Gbamakopé et de Djagblé. Payadowa Boukpessi reconnaît-il encore ces chefs ? Si oui, pourquoi se taire quand le palais royal d’un chef est dans un domaine revendiqué par une tierce personne ?

Selon le récit de Togbui Emmanuel Afandjiga Gbama VI, Gbamakopé a été fondé dans les années 1700. Le fondateur a, par la suite, hébergé Adawousso Edéh dont les descendants ont accueilli plusieurs familles y compris celle d’Awouya. C’est cette dernière qui a finalement permis à la famille Kpassra d’exploiter une partie de son domaine à des fins agricoles. Mais Kpassra Homéfa voulant plus de terres, a détruit les anciennes limites pour en poser d’autres. Par un tour de passe-passe, il s’est offert 5 hectares de terrain. «Curieusement, des individus se réclamant de la collectivité Kpassra ont créé un litige portant sur une superficie de 5 hectares d’abord, puis 21 ha et finalement toute la superficie du village. Du tribunal de première instance de Tsévié à la Cour Suprême de Lomé en passant par la Cour d’Appel de Lomé, il n’est jamais fait mention de la superficie de tout un village comme étant la propriété de ladite collectivité », martèlent et dénoncent les habitants de Gbamakopé.

G.A.

Source : Liberté / libertetogo.info