Photo : DR / Kodjo Epou

La terre a toujours eu et aura toujours de la valeur. Une valeur fatale, parfois. Et, il ne sera jamais facile à un individu qui lui est étranger de mettre la main dessus, de se l’approprier, sans rencontrer plutard les remous les plus mortels. D’où, la nécessité d’une réglementation qui enjoint aux propriétaires et acquéreurs des terres, urbaine ou agricole, de se conformer aux règles régissant la vente et l’achat. Où en est le Togo en politique foncière? La situation est quelque part entre le désordre et l’anarchie. Parfois avec le parrainage des officiels eux-mêmes. Deux questions se posent: veut-on continuer de défendre le droit du premier occupant de la terre comme c’est de coutume dans nos milieux depuis la nuit des temps? Ou, plutôt considérer les terres rurales non plus comme une propriété privée, mais un bien commun dont la gestion doit être soumise au contrôle de l’état? Ou encore une option entre les deux? Avouons-le, quel que soit le cas de figure, la présence de l’Etat est indispensable. Mais alors un Etat sérieux, intègre et impartial, qui respecte ses propres lois, si l’on veut que le désarroi lié à l’expropriation et à l’accaparement ne débouche, demain, sur des affrontements? Les pratiques qui ont cours dans le pays, surtout dans les campagnes, en matière de cession et d’acquisition des terres constituent une véritable poire à poudre c’est-à-dire une bombe latente. Jusqu’à quand l’Etat sera t-il absent?

Par Kodjo Epou

La nouvelle, vraie ou fausse, s’est répandue comme une trainée de poudre: les Chinois sont dans nos campagnes où ils achètent les terres cultivables. La vente(?) de nos terres aux Chinois? C’est cela le volet agricole du PND? Alors que nous avons, dans les mêmes campagnes, des bras valides pour exploiter ces terres, pour peu que l’Etat remplace, entre les mains des candidats à la paysannerie, les dabas mediévales par des tracteurs de notre siècle. A ce propos, que sont-ils devenus, les ingénieurs-adjoints d’agriculture formés à travers les décennies par l’INFA de Tové? C’est un pur leurre, une gouvernance par duperie, que de prendre des décisions en conseils des ministres sans que celles-ci soient suivies de budget conséquent qui les finance et leur donne forme sur le terrain. La compétition pour l’accès à la terre arable reste vive, amplifiée par l’apparition de nouveaux riches qui cherchent à assurer la pocession de terres à leurs progénitures. Et comme les propriétaires terriens en milieu rural, eux, sont de plus en plus pauvres, appauvris par la mal-gouvernance, ils n’hésitent pas à vendre, à prix dérisoire, leurs biens fonciers, parfois au grand dam de leurs enfants et familles.

Il revenait à l’état de prendre la mesure des conséquences qui pourraient naître au sein des communautés relativement à la vente des terres. Entendu que ces transactions, souvent illicites, pourraient conduire à la prolifération de litiges fonciers qui couvent deja dans beaucoup d’endroits et qui pourraient constituer une réelle menace pour la cohésion sociale dans le futur. Doit-on rappeler que les conflits fonciers, très souvent violents et sanglants, sont les plus difficiles à résoudre? On rapporte que les procédures en matières foncière constituent l’essentiel du contentieux de la plupart des juridictions locales et régionales alors qu’elles (ces juridictions) ne disposent pas toujours d’un effectif en personnel suffisant à cet effet. Alors, que fait l’état togolais pour palier à ces problèmes qui sont en réalites une bombe à retardement? Pour parer au plus pressé et mettre de l’ordre dans le domaine, un ministère de la propriété foncière et de l’aménagement des terres rurales aurait été préférable au ministère des pistes rurales récemment créé!

Le PND aurait pu être le fruit de concertations nationales impliquant les populations, dans leurs milieux. Il était important de tenir compte de plusieurs pratiques coutumières lors de la phase de conception dudit programme en montrant d’avance à ces populations rurales, propriétaires des terres, les possibles répercussions sur leur environnement au profit du développement, local comme national. La conception du PND était une occasion. A-t-on cherché à répondre à ces deux questions clés qui sont les suivantes?: quel est le régime foncier approprié à l’usage dans nos différentes localités? Et, quels sont les effets probrables de tel ou tel projet que l’Etat pourrait y installer dans le cadre du PND? On a préféré, à ce qu’il paraît, une propagande dans la capitale, sans une étude sociologique sur le terrain, sans une vaste consultation qui prépare le monde rural à l’impact éventuel du plan sur la propriéte foncière régie pour la plupart, par le droit coutumier.

La réalité, suite à l’observation, et aux témoignages, fait froid dans le dos. Des fois c’est à couper le souffle: des individus, civiles et militaires, rien qu’avec la tenue et le statut de « membre de UNIR » vont semer la panique dans les villages, usant des passe-droits pour déposséder les proprétaires terriens, contre quelques maigres billets de banque. Des fois, il y a consentement des vendeurs(?) apeurés, des fois l’usage d’épouventails en cas de résistance. Il arrivera un moment où, dans le contexte d’épuisement des réserves foncieres et de crise économique avec le retour dans leurs villages d’origine des autochtones urbains, les nouveaux candidats au travail de la terre vont reprocher à leurs ainés d’avoir brader le patrimoine familial. Ce qui ne manquera pas de provoquer des litiges violents, inapaisables. Et quand les transactions vont concerner des acheteurs étrangers ( venant d’une autre région du pays ou d’un pays tiers) ces conflits peuvent rapidement prendre une dimension politique.

Les litiges peuvent intervenir bien longtemps après la transaction initiale, en particulier lors du renouvellement de génération dans les groupes familiaux des vendeurs. Parce que les jeunes vont remettre en cause les transferts du passé et ne voudront pas être liés par les arrangements conclus par la génération antérieure. Cela peut conduire aussi à de fortes tensions intra-familiales et inter-générationnelles lorsque sont contestées la légitimité de la cession ou la légitimité du vendeur. Il ne faut pas perdre de vue que certains litiges post-héritage apparaissent ainsi entre les jeunes arrivés à maturité et les « surveillants ” de la terre familliale (oncle ou frère du père défunt) qui avaient la garde de l’héritage, lorsque l’héritier devenu majeur ou rentre de migration estime que le surveillant a vendu abusivement une grande partie de la terre. Cela donne lieu à un arrachage brutal des terres cédées ou, lorsqu’il y a compromis, à une reinterprétation des ventes comme des mises en garanties ou des cessions à bail. Dans une telle dynamique, le contexte socio-économique joue un rôle majeur. Mais il se trouve que ce contexte, dans notre pays décroît, va du mal en pis.

A l’Etat de prévenir. Par des lois largement diffusées. Les députés existent pour ce genre de travail. A eux d’expliquer toutes les facettes de ces lois, notamment sur les baux, l’héritage, la privatisation, l’enregistrement foncier, les impôts fonciers, les collectivités locales, la planification de l’utilisation des sols … et autres lois sur les transactions foncières incluant les cessions de biens et les hypothèques. Peut-être que ces lois existent mais jamais vulgarisées, à dessein, laissant ainsi libre cours à l’accaparement des terres par les nouveaux riches avec la complicité implicite des officiels en charges d’implimenter ces lois. N’a-t-on pas vu des cas où des terrains expropriés pour servir de réserves administratives ont été revendus ou bâtis par des gens puissants, des intouchables?

Ce qui est plus embarrassant, c’est lorsque des milliers d’hectares de terres arables sont vendus à des exploitants étrangers, Chinois notamment. L’Etat, forcément, est informé des conditions de cession de ces terres? Sont-elles les meilleures, ces conditions, à l’avantage des communautés concernées pour le futur? Il nous semble que la LOCATION doit constituer le mode dominant d’accès marchand à ces terres; elle doit (la location) être privilegiée au détriment de la vente qui est perçue comme une façon d’hypothéquer à vie le patrimoine foncier de la famille ou de la communauté autochtone. Il est question de mettre en place dès à présent, au plan national, des règles définissant la répartition des droits de propriété sur les terres, les modalités d’attribution des droits d’utilisation, de contrôle et de transfert ainsi les responsabilités et limitations correspondantes. Au total, un régime foncier qui détermine qui peut utiliser quelles terres pendant combien de temps et dans quelles conditions, naturellement en tenant compte des structures coutumières en place, sans aucune ambiguité ni attitude qui privilégient un acquéreur juste à cause de ses accointances avec les autorités administratives de la localité, préfets, chefs canton.

La sécurité des droits fonciers acquis à prix dérisoires tant par les exploitants chinois que les privilégiés du pouvoir, nos nouveaux riches, ne doit pas se traduire par la perte totale des droits détenus de générations en générations par les autochtones. La situation telle que racontée ou vécue dans nos préfectures est alarmante. L’Etat ne peut pas se complaire dans une posture de contemplation ou de complicité, dans la même pauvreté de jugement, face à ces sources de conflits en gestation qu’est la question des terres au Togo, lancinante, même existentielle.

Kodjo Epou
Washington DC
USA