Illustration : RoT

«… je voudrais tout simplement ajouter que la prison ne doit être considérée comme un centre d’extermination, comme un lieu d’embastillement des adversaires politiques. Je voudrais ajouter que la prison n’est pas un centre de déshumanisation et que la prison a un objectif bien précis. Les vertus correctives et de réintégration sociale sont les objectifs poursuivis par la prison et donc on ne peut pas utiliser la prison pour l’instrumentaliser à des fins politiques.» Me Kpandé-Adzaré

Voilà une déclaration de l’avocat togolais, Me Kpandé-Adzaré, contenue dans une interview accordée à la chaîne allemande « Die Deutsche Welle » et reprise par le quotidien togolais « Liberté » en juillet 2021. Une déclaration qui dit et résume tout concernant le drame des prisonniers politiques dans notre pays le Togo. L’avocat évoquait dans l’entretien l’état de santé inquiétant de son client Kpatcha Gnassingbé et de ses co-détenus que le régime togolais refuse de libérer malgré une décision de la cour de la CEDEAO et malgré surtout le caractère défaillant de leur état.

Nous ne le dirons jamais assez; au Togo, tous ceux qui ont l’audace de penser autrement sur le plan politique sont devenus des ennemis à abattre par le régime cinquantenaire. Il n’y a pas de place pour les citoyens qui ont naïvement cru aux magnifiques termes contenus dans la constitution togolaise, et qui voudraient prendre au sérieux leur travail d’opposants en dénonçant et en critiquant pour un Togo plus humain. Les beaux mots comme solidarité, unité nationale, paix, démocratie et tout le charabia lénifiant contenus dans les textes officiels ne le sont que pour la décoration. Et ce ne sont pas les centaines de prisonniers politiques dont plusieurs sont déjà morts, en détention ou peu après leur libération, qui vous diront le contraire. Oui, des prisonniers politiques, il y en a au Togo, et en grand nombre, et au lieu de les libérer, de nouveaux malchanceux, la plupart, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, viennent régulièrement grossir les chiffres au sein des goulags togolais.

Ça fait aujourd’hui 13 ans que le demi-frère du chef de l’état de fait du Togo est en prison. Kpatcha Gnassingbé et quelques compagnons d’infortune furent victimes d’une ténébreuse affaire d’atteinte à la sûreté de l’état et condamnés par une justice aux ordres de la dictature. Une violente éviction de l’ancien député de la Kozah de la scène politique qui n’est que la conséquence d’une vendetta familiale relative à la gestion de la colossale fortune volée par leur père Gnassingbé Éyadéma aux Togolais. Bien que la cour de justice de la CEDEAO ait constaté en juillet 2013 le caractère inéquitable du procès qui avait condamné les prévenus à la lourde peine de prison, et demandé leur relaxe pure et simple, le régime togolais continue à faire à sa tête en les maintenant en détention. L’état de santé inquiétant de Kpatcha Gnassingbé surtout, abondamment et régulièrement médiatisé, n’a pas jusqu’à présent réussi à émouvoir Faure Gnassingbé qui semble décidément être le seul maître à bord.

Notre jeune compatriote Jean-Paul Oumolou, résidant en Suisse et connu pour ses prises de position critiques vis-à-vis du régime togolais, est depuis bientôt cinq (5) mois sous les verrous à Lomé pour des raisons politiques. En séjour au pays, ne se reprochant rien, il fut violemment arrêté ou plutôt enlevé au petit matin du 04 novembre 2021. Dans les pays où règnent des régimes de non-droit comme chez nous au Togo, ce petit dicton populaire trouve tout son sens: «qui veut noyer son chat l’accuse de rage.» Et il n’est donc pas difficile d’habiller un opposant qui dérange avec tous les délits possibles. « Appel au peuple et à l’armée à l’insurrection, Diffusion de fausses nouvelles, Apologie du crime, Outrage à l’autorité publique. Voilà les 4 chefs d’accusations dont devrait répondre le jeune opposant devant une justice togolaise instrumentalisée. Sera-t-il jugé un jour? Comment est-il traîté en détention dans l’ancienne gendarmerie? Ce sont des questions que beaucoup se posent ici dans la diaspora et au pays.

Alors qu’ils avaient l’habitude de se retrouver chaque soir entre amis à leur lieu habituel pour causer et prendre du thé comme cela se passe partout dans le monde civilisé, Sébabé-Guéffé Tchassanti Nouroudine, trésorier adjoint du PNP (Parti National Panafricain), Alfa Ibrahim, un Togolais de la diaspora allemande, Boukari Abdoulrazak, Amadou Abdoulrachid et Banka Alidjénou ne comprennent toujours pas pourquoi ils furent kidnappés cette soirée du 27 janvier 2022 et jetés en prison. Apologie du crime et association de malfaiteurs, des chefs d’accusation qui reviennent comme un refrain chez presque tous les opposants togolais à la dictature embastillés, sont collés à Sébabé-Guéffé et à ses amis. Conduits tout d’abord au tristement célèbre SCRIC (Service Central de Recherches et d’Investigations Criminelles); Ils seront transférés une semaine après à la prison civile de Lomé où ils végètent, comme plusieurs dizaines d’autres citoyens, dans des conditions déplorables. Et tout ça pour n’avoir commis aucun délit.

En dehors des prisonniers politiques dont nous venons d’évoquer le drame, il y a surtout cet irlando-togolais répondant au nom de Aziz Gomah dont le précaire état de santé fait régulièrement la Une des médias nationaux comme internationaux. Aboubakar Tchatikpi dit « Janvion », enlevé pour avoir commis le délit d’appartenir à un parti politique de l’opposition,le PNP,croupit depuis plus de deux ans, comme d’ailleurs plusieurs dizaines d’autres malheureux pour appartenance surtout au PNP ou dans l ‘affaire inventée de toutes pièces dite « Tigre Révolution ». Djimon Oré, chef de parti politique, pour avoir critiqué le régime de Faure Gnassingbé, est entrain lui aussi de goûter aux affres de la détention politique.

Confronté à un tel sombre tableau qui reflète la manifestation du non-droit et de la négation de la dignité et de la vie humaine au Togo, tout observateur neutre s’attendrait à trouver en face une opposition soudée luttant pour la fin de l’état de terreur. Mais que nenni. Si le régime Gnassingbé se fabrique ses opposants et ses députés pour une démocratie trompe-l’oeil, il se trouve également des soi-disant vrais opposants qui ne reculent plus devant l’indignité pour accompagner ce régime de terreur pour continuer à priver des Togolais de liberté, à les laisser mourir ou à les contraindre à l’exil pour un oui ou pour un non. Après des rounds de comédie comme la CNAP (Concertation Nationale des Acteurs Politiques) et le CPC (Cadre Permanent de Concertation) avec des soi-disant partis politiques qui n’ont que leurs sigles à faire valoir, l’ANC (Alliance Nationale pour le Changement) figure en bonne place dans une CENI truffée à 99,99% de coquilles vides comme formations politiques. Pour quelles élections et pour quels résultats, Monsieur Jean-Pierre Fabre?

Nous voulons poliment rappeler qu’en dehors de ces plusieurs dizaines de prisonniers politiques dont nous venons de décrire la lamentable situation, il y a aussi plusieurs milliers de citoyens anonymes qui avaient dû prendre le chemin de l’exil pour échapper à la prison et à la mort. Parmi ces exilés politiques il y a des figures emblématiques de l’opposition togolaise comme Tikpi Atchadam dont plusieurs militants sont détenus. Il y a Messan Agbéyomé Kodjo dont les ennuis commencèrent avec le énième putsch électoral de Faure Gnassingbé en janvier 2020 et il y a aussi et surtout le vieux prélat de 93 ans, Monseigneur Philipe Fanoko Kpodzro, réfugié en Suède, dont la Dynamique (DMK) porte le nom. Ceux qui ont pris sur eux d’accompagner le régime togolais dans sa folie meurtrière, endossent au même titre l’entière responsabilité pour l’histoire. Et il serait sage qu’ils se ressaisssent, car le réveil et le verdict des peuples peuvent être impitoyables et sans appel.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Samari Tchadjobo