Quelques ténors de l’ANC : Brigitte Améganvi, Jean-Pierre Fabre et Patrick Lawson | Photo : ANC

Au moment où on les croit unis, à même de parler d’une voix pour faire plier le dictateur, certains opposants togolais, qu’ils soient de la première ou de l’actuelle génération, ont toujours adopté un comportement égoïste qui n’arrange que les tenants de la dictature. Les ambitions personnelles, les jalousies que ce ne soit pas moi, avaient toujours pris le dessus et contribué à renforcer la position du dictateur, pourtant rejeté par le peuple. Le comportement de l’opposition togolaise du début des années ’90 jusqu’à ce jour ressemble à la curieuse prestation de cet attaquant en football sur qui tout le monde compte, et qui, à chaque fois, se trouvant nez à nez avec le gardien adverse, se mélange les pédales et n’arrive pas à marquer, renforçant par là les chances de l’adversaire qui n’avait pas les faveurs des pronostics et qui finira par gagner.

Du soulèvement du 19 août 2017 initié par le Parti National Panafricain (PNP) au hold up électoral de février 2020, en passant par la constitution de la C14 et son éclatement, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, politiquement parlant. Et nous n’avons pas besoin de retourner très loin dans le passé pour constater, nous interroger et surtout nous étonner du malin plaisir qu’ont pris certains de ceux qui se sont auto-proclamés leaders de l’opposition togolaise, à tourner en bourrique le peuple qui leur fait pourtant confiance. Depuis février 2020 où le nouveau braquage électoral eut lieu et où le régime de terreur Gnassingbé engagea une véritable chasse à l’homme contre le vrai vainqueur du scrutin Messan Agbéyomé Kodjo, la donne a carrément changé quant au comportement habituel du reste de l’opposition qui se mettait derrière le vrai vainqueur pour protester contre le hold up. Un parti politique qui fut naguère chef de file de l’opposition, en l’occurence l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), parce que placé troisième du scrutin, ne trouva mieux à faire que de demander à celui dont la victoire serait celle du peuple, de montrer les preuves qu’il est vraiment le vainqueur avant tout soutien. On se croirait en présence d’une formation politique de la mouvance présidentielle qui serait dans son rôle en demandant à l’opposant « têtu » Agbéyomé Kodjo de prouver qu’il a gagné.

Pourtant dans un passé récent, le candidat lésé Jean-Pierre Fabre avait eu droit au soutien des autres; qui ne se rappelle pas par exemple du FRAC (Front Républicain pour l’Alternance et le Changement) en 2010 dont les marches, pendant presque cinq ans vers la plage, devinrent légendaires? Cette attitude d’un parti politique dit de l’opposition qui aurait le même but que toutes les autres formations politiques qui luttent pour la fin du régime de dictature, n’était rien d’autre qu’un soutien indirect à la mouvance RPT-UNIR. Depuis 1990 le régime dictatorial des Gnassingbé n’a reculé que lorsque l’opposition était unie autour des mêmes idéaux. Mais quand le coup de massue qui lézarde et abat la muraille de l’opposition vient de l’opposition elle-même, le régime décrié d’en face ne peut que se frotter les mains, et l’observateur neutre ne peut que se poser moult questions quant à un tel comportement. La dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), cette mouvance politique créée sur l’initiative et les encouragements du prélat dont le regroupement porte le nom devint rapidement la bête noire du régime voleur d’élections; ce qui se comprend pour un pouvoir prêt à tout pour ne pas partir. Mais là où le bât blesse c’est quand une formation politique comme l’ANC qui avait un candidat aux élections présidentielles, en la personne de Monsieur Jean-Pierre Fabre contre le dictateur, et qui espérait gagner et apporter l’alternance tant désirée aux Togolais, refuse son soutien à un collègue de l’opposition dont la victoire confirmée signifierait aussi l’alternance pour notre pays. Il n’y a pas d’arguments qui puissent justifier un tel comportement qui porte de l’eau au moulin des tenants de la dictature.

Après le départ en exil de Salifou Tikpi Atchadam, leader du PNP et initiateur du soulèvement populaire du 19 août 2017; après l’arrestation de plusieurs de ses militants dont la plupart sont malades et croupissent encore; après l’épisode du braquage électoral de février 2020 avec son corollaire de persécution de Monseigneur Kpodzro et de Messan Agbéyomé Kodjo, et finalement de leur départ en exil, l’opposition togolaise n’est plus que l’ombre d’elle-même. Une situation qui devrait interpeller tout leader charismatique de l’opposition, relativement en sécurité et resté au pays, pour chercher les voies et moyens pour recoller les morceaux et créer les conditions d’une reconstitution de l’opposition, en exigeant, avant tout dialogue avec le pouvoir de fait, le retour des leaders exilés et la libération des prisonniers politiques. Surtout quand on sait qu’aucun dialogue avec ce régime n’a jamais abouti; et ce n’est pas au moment où l’opposition est décimée par le fait de la terreur d’état, que l’ANC et quelques petites formations comme l’ADDI, les FDR, ou le MCD… qui n’ont que leurs sigles à faire valoir, vont engranger des résultats pour la démocratie face à ce pouvoir autiste et dangereux.

Au cours de la conférence de presse animée par Monsieur Jean-Pierre Fabre lundi 02 août 2021 dont le principal thème tournait autour des travaux de la CNAP, le leader de l’ANC avait tenté d’expliquer les raisons qui les avaient poussés, lui et ses camarades du parti, à accepter l’invitation pour cet ènième dialogue, malgré la légendaire mauvaise volonté du pouvoir Gnassingbé. L’argument selon lequel les responsables du parti orange voyaient en cette rencontre une occasion de faire inscrire, une fois encore, à l’ordre du jour leurs préoccupations relatives à l’assainissement du cadre électoral, n’avait pas convaincu grand monde.Tout le monde connaît le résultat. Presque toutes les propositions faites par l’ANC furent ignorées et sa délégation avait dû quitter les travaux avant la clôture. Doit-on encore apprendre à Monsieur Fabre et à ses amis qu’un régime de terreur, de mauvaise foi, qui ne sait que tricher et tuer pour rester au pouvoir, comme celui que nous avons au Togo, ne devient pas sincère et avenant du jour au lendemain?

Nous sommes conscients de la liberté d’expression dont nous jouissons pour pouvoir donner de temps en temps notre point de vue sur la situation politique de notre pays. Et nous sommes également conscients que la liberté d’expression ou de presse se nourrit du débat contradictoire; car nous n’avons pas l’intention de nous faire accuser de nous acharner sur tel ou tel. C’est pourquoi nous comprenons qu’il est nécessaire qu’on puisse entendre l’autre son de cloche, qu’il y ait débat contradictoire. Et c’est dans cette logique que nous avons envoyé à Monsieur Jean-Pierre Fabre une série de questions sur la messagerie WhatsApp. Nous voulions savoir ce que le leader de l’ANC pense des conclusions des travaux de la CNAP (Concertation Nationale des Acteurs Politiques) à laquelle il a participé et fait beaucoup de propositions, avant d’en claquer la porte peu avant la fin des travaux. Pourquoi s’était-il précipité pour répondre à l’appel du ministre Payadowa Boukpessi pour participer à la CNAP, au lieu d’exiger d’abord le retour des leaders exilés et la libération des prisonniers politiques, par exemple? Est-il satisfait du rôle de presque cavalier seul que son parti joue aujourd’hui sur l’échiquier politique en l’absence de leaders, pas des moindres, comme Tikpi Atchadam et Agbéyomé Kodjo, contraints à l’exil? Pourquoi, au nom de l’aboutissement de la lutte et du changement promis au peuple, Monsieur Fabre ne peut-il pas oublier sa guéguerre contre les responsables de Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), et continue à alimenter la polémique qui n’arrange que l’adversaire politique RPT/UNIR? Voilà quelques-unes des questions poliment adressées au président national de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC).

Ces quelques questions adressées au leader de l’ANC jeudi 5 août 2021 dans l’après-midi furent visionnées par le destinataire qui n’y a pas répondu jusqu’à la clôture de l’article. Au cas où Monsieur Fabre aura du temps pour répondre plus tard, nous en ferons cas dans un autre article consacré à cet effet. Revenant à nos moutons et pour nous résumer, nous pensons que la formation politique à la couleur orange l’ANC, qui fut naguère chef de file de l’opposition et qui reste toujours une adresse de reférence, devrait faire preuve de grandeur en adoptant un comportement de rassembleur qui serait synonyme d’abandon de petites querelles de bas étage. Si on est de l’opposition et on pose des actes qui curieusement font jubiler du côté de l’adversaire politique, on devrait réflechir par deux fois.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Samari Tchadjobo