Maryse-Quashie-et-Roger-Folikoue
Maryse Quashie et Roger Folikoue | Photo : ALT

Pourrait-on préciser exactement depuis quand les Togolais, comme beaucoup d’habitants du continent africain en général, recherchent le changement ? En effet, depuis les années 1960 où il y eu la vague des indépendances nominales, les décennies se suivent et la population ne trouve pas son compte : assassinat de Sylvanus OLYMPIO en 1963 puis, après une période de grande confusion sociopolitique, coup d’état en 1967 ; dictature du parti unique dans la décennie 1970-80 avec la suppression des libertés publiques et une sévère répression de toute contestation ; récession économique des années 1980-90 avec une pauvreté grandissante ; la conférence nationale obtenue en 1990 dans le sang de milliers de morts n’a pas tenu ses promesses car depuis 1991, le Togo est progressivement retombé en dictature.

En 2005 il y eu un changement de personnes à la tête de l’Etat sans que cela corresponde à un changement de régime.

2005-2020, cycle infernal des périodes post-électorales marquées par des troubles sociopolitiques sans solution, avec de grandes souffrances pour la population durement réprimée et de plus en plus frappée par la pauvreté.

Le changement attendu par tous, promis par tous les candidats aux élections de février 2020 n’est toujours pas au rendez-vous. En effet, le Togo présente une situation originale, non pas seulement parce qu’il fait partie des rares pays du monde et d’Afrique où la même famille à la fois biologique et politique est au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, mais parce que plus de huit mois après une élection deux candidats continuent de se dire vainqueurs sans que rien ne vienne résoudre ce problème. Le pays tourne tant bien que mal dans cette situation que vient encore plomber l’état d’urgence liée à la crise sanitaire du COVID-19.

Il devient absolument impérieux d’en finir avec cette situation grotesque et insoutenable mais surtout de se donner toutes les chances pour un véritable changement sociopolitique.

Pour notre part, nous comptons sur la société civile parce que depuis les années 2015, elle a évolué : d’un ensemble d’ONG préoccupées essentiellement par les questions sociales qu’elle était, elle a aujourd’hui acquis la stature d’un véritable acteur politique (le vivre ensemble). A travers différentes rencontres et la naissance de regroupements, des années 2016 à 2019, elle s’est affirmée comme un interlocuteur politique, notamment en se donnant le droit de contrôle sur l’action gouvernementale à travers un droit de veille que personne ne peut plus lui contester à présent. Elle se prononce sur la gouvernance politique comme sur les options économiques avec leurs impacts en matière sociale, santé, éducation, emploi, environnement. Et tout cela, elle le fait avec d’autant plus d’aisance qu’elle représente un interlocuteur reconnu par la communauté internationale. La société civile est donc un acteur à part entière, qui défend les intérêts des citoyens qui la composent sans pour autant être obligatoirement en quête de l’exercice du pouvoir.

Alors pourquoi n’a-t-elle pas pu être source du changement social jusque-là ? A cause d’un certain manque de confiance en elle-même liée à la question de différents leaderships. En tout premier lieu, il s’agit du leadership intellectuel. Comment cela ? Vous nous permettrez de faire un petit détour par notre expérience personnelle pour répondre à cette question.

Le 5 novembre 2020, nous fêterons les deux ans de notre tribune « Cité au quotidien ». Lorsque nous avons commencé nous n’avions pas décidé de la durée de notre engagement mais ce que nous disions un an après, en 2019, reste pour nous toujours valable :

« Il est temps que des personnes, optent pour la sévère discipline qui consiste à écrire chaque semaine sur un sujet différent, en lien plus ou moins direct avec l’actualité. Mais l’ascèse n’est pas dans la fidélité hebdomadaire, loin de là ! L’ascèse est dans l’objectif visé et dans ses conséquences. En effet, écrire pour nous correspond à un devoir lié à notre choix d’être des intellectuels. » (Maryse QUASHIE, et Roger E. FOLIKOUE, Qui dira ? 4 janvier 2019)

Quel est ce devoir ? Celui de jouer un rôle d’éclaireur, au sens où l’éclaireur est envoyé en avant du groupe lorsque ce groupe hésite sur le chemin à prendre, parce ce que l’éclaireur connait à la fois les dangers possibles d’une voie et les potentialités du groupe.

Selon les époques et les contextes l’éclaireur peut être appelé sage ou prophète mais les caractéristiques de cette personne restent les mêmes. On peut les résumer en trois grandes compétences :

  • l’éclaireur possède toutes les compétences pour procéder à une analyse du réel à la lumière des savoirs scientifiques et philosophiques qui sont à sa disposition ;
  • l’éclaireur peut se plier à une vision prospective parce son horizon temporel n’est pas marqué par l’immédiateté du hic et nunc des intérêts personnels mais par choix à cause d’une prise de conscience de son rôle social ;

l’éclaireur est capable de distanciation car il tente de poser les problèmes dans leur globalité sans un parti pris de départ.

Pour nous aujourd’hui, cet éclaireur s’appelle un intellectuel. Or les intellectuels ne jouent pas pleinement leur rôle aujourd’hui dans notre pays. Certainement parce qu’ils sont animés d’une certaine peur car être un intellectuel, c’est se mettre en avant et donc prendre des risques.

Pourtant à travers les réactions à notre tribune, nous sentons qu’un certain nombre d’universitaires commencent à prendre conscience de ce qu’on pourrait attendre d’eux. Ainsi l’un d’entre eux nous faisait ainsi part de son point de vue : « Je souhaiterais une rencontre africaine d’intellectuels (…), où on se retrouverait pour débattre, trouver des stratégies, des solutions, pouvoir se faire entendre en haut lieu, et voir si avec cette audience on pourra sortir l’Afrique de cette situation qui nous conduit vers des lendemains très incertains. (…) Seule une société civile dynamique peut renverser les choses. » ( K. GNANDI)

Cependant, avant d’en arriver à cette action de la société civile, il y a une seconde question de leadership à régler.

Nous disions ceci dans une de nos dernières tribunes, Comme un seul homme :

« … après un demi-siècle d’une gouvernance autocratique, tous sont moulés dans une personnalisation à outrance des questions de pouvoir. En effet, tout est traduit en termes de personnes, on confond la convergence des opinions avec l’unanimisme des meilleurs temps du parti unique. (…)Bref, force est de constater ceci : que ce soit les candidats, que ce soit les citoyens électeurs tous semblent encore se comporter comme au bon vieux temps ; on suit un homme et non des idées ou un projet de société, et on trouve normal, qu’on vote pour lui, tous comme un seul homme. » (Janvier 2020)

Par conséquent, pour ce qui concerne la société civile, les citoyens attendent la personne qui apportera tout, l’analyse des problèmes comme les pistes de solutions, les objectifs et les stratégies. Cela ne peut guère marcher non pas seulement à cause d’une personnalisation préjudiciable à la mobilisation mais surtout parce que la société civile se caractérise par sa diversité, qui doit se traduire dans les stratégies : chaque citoyen doit se mobiliser pour l’amélioration de sa vie, et c’est seulement après, si des convergences se révèlent que l’unité d’action se met en place.

« … il ne s’agit pas d’abord de faire, il nous suffit juste d’être pleinement ce que nous sommes, des croyants, des parents d’élèves, des enseignants, des soignants, des agriculteurs, des consommateurs, des électeurs qui choisissent d’assumer ce que demande leur statut et leur rôle social. Assumer ses charges et obligations c’est la définition de la personne qualifiée de responsable. Oui, responsable, voilà le maitremot ! Oui parce que, étant responsables nous pourrons tous choisir, notre école, notre système de santé, ce que nous consommons, l’environnement où nous vivons, notre organisation sociale, ceux qui vont nous représenter… » (Maryse QUASHIE, Conférence inaugurale, Forum citoyen, 20 octobre 2018)

Qu’est-ce qui fera alors l’unité de la société civile ? C’est, en effet, le désir de RESISTER :

« Résister ce n’est pas être contre quelqu’un mais c’est dire NON à un système qui ne favorise pas le vivre ensemble. Résister c’est contribuer en tant qu’acteur au changement dans notre pays. (…). Résister c’est comprendre que le changement social passe par une conversion de soi-même en changeant ses représentations. Résister c’est construire ensemble avec l’autre en condamnant ce qui n’est pas juste. Résister c’est rétablir le juste, le droit, le vrai et le bon pour un vivre ensemble harmonieux ».

(FOLIKOUE Roger E., La résistance, force des citoyens déterminés)

citeauquotidien@gmail.com

Lomé, le 30 octobre 2020

Par Maryse Quashie et Roger E. Folikoue