Caric: Donisen Donald / Liberté

«Il convient de limiter les mandats. Quand on fait la balance des avantages et les inconvénients, l’évidence est claire, limiter les mandats à tous égards au profit du peuple, que de laisser les uns et autres rester éternellement dans la fonction…J’ai en tout cas l’obligation de ne pas donner de leçons. Je suis honoré de défendre sur la terre béninoise cette vertu qu’on attend des gouvernants de ne pas se prendre pour Dieu tout puissant l’éternel.» (Patrice Talon, en septembre 2022)

Décidément le Bénin aura été le pionnier de la démocratie et de l’alternance au pouvoir dans notre sous-région ouest-africaine, et particulièrement dans la zone francophone. Personne ne peut nier que ce sont nos voisins de l’est qui avaient inauguré l’ère des conférences nationales pour faire le bilan, souvent désastreux, des dictatures militaires ou civiles qui avaient cours çà et là dans les anciennes colonies françaises. Qui ne se rappelle pas que si aujourd’hui les Béninois peuvent s’estimer heureux de pouvoir vivre dans un pays avec une telle relative stabilité politique, c’est grâce à un homme: feu Mathieu Kérékou? En effet, comparer la démocratie béninoise, même imparfaite comme toute oeuvre humaine et surtout politique dans une Afrique au stade des balbutiements démocratiques, à la situation politique catastrophique de notre pays le Togo, ce serait s’amuser à comparer le jour et la nuit.

Quand en février 1990 Mathieu Kérékou laissa faire la conférence nationale et en accepta les décisions pour l’installation de la démocratie qui a cours jusqu’à ce jour au Bénin, au Togo d’à côté Éyadéma Gnassingbé s’opposa de toutes ses forces à son départ et à l’instauration d’une vraie démocratie. Tout le monde peut aujourd’hui se souvenir de toutes les violations des droits de l’homme faites de prises d’otages, d’assassinats politiques et de départs massifs en exil. Plus de 30 ans après, les Togolais sont loin d’être sortis de l’ornière et subissent encore les affres d’une dictature qui s’est déplacée de père en fils avec la même négation du citoyen au profit d’une minorité.

Aujourd’hui encore, avec les soubresauts politiques en Afrique noire, surtout francophone, faits de tripatouillages des constitutions pour s’éterniser au pouvoir par certains chefs d’état indélicats, c’est encore le Bénin qui montre la bonne voie à travers son président Patrice Talon. C’était à l’occasion d’un sommet citoyen organisé la semaine dernière par des sociétés civiles africaines, dont «Le Front Citoyen Togo-Debout» ou encore «Tournons la page», sur justement la démocratie, la bonne gouvernance, l’alternance sur le continent et la limitation des mandats. Le chef de l’état béninois n’est pas passé par quatre chemins pour annoncer qu’il respecterait la constitution de son pays en ne se représentant plus en 2026 à la fin de son deuxième mandat. Ailleurs, où il va de soi que le respect de la constitution d’un pays n’est pas discutable, et que l’alternance régulière au sommet de l’état est ancrée dans les habitudes, une telle déclaration comme celle de Patrice Talon n’aurait pas de sens. Mais nous sommes en Afrique noire francophone; où la vilaine habitude, qui consiste à saper les quelques acquis démocratiques du début des années ’90 dans beaucoup de pays, semble être devenue la règle; c’est pourquoi la clairvoyance d’esprit, l’amour et le respect pour son peuple, et surtout le courage du président béninois, dans cet environnement d’hypocrisie et de solidarité dans le mal qu’est devenu le haut lieu du pouvoir politique dans les états africains francophones, sont à saluer.

«J’ai en tout cas l’obligation de ne pas donner de leçons.» En prononçant cette phrase, le chef de l’état béninois n’avait-il pas derrière la tête le ou les dirigeant(s) d’un pays francophone d’à côté nommé Togo? Ne pensait-il pas, au moment de son intervention, au président de fait de son voisin de l’ouest, Faure Gnassingbé, qui entre malheureusement dans le schéma pas très glorieux de ces gouvernants qui se prennent pour Dieu tout puissant l’éternel? En insistant sur les bienfaits de la démocratie, de l’alternance et surtout de la limitation des mandats présidentiels, afin que les uns et les autres ne soient pas tentés de s’éterniser au pouvoir, avant de prendre son engagement pour 2026, Patrice Talon avait pris soin de préciser qu’il n’avait pas l’intention de donner des leçons à qui que ce soit. Mais justement, en agissant ainsi, n’était-il pas entrain de donner des leçons de morale politique et de bonne gouvernance à tous ces présidents de l’espace francophone surtout à Faure Gnassingbé qui use de tous les subterfuges possibles pour ne jamais quitter le pouvoir?

En dehors de Patrice Talon dont l’engagement de respecter la constitution de son pays et de se retirer à la fin de son deuxième mandat en 2026 met fortement le président de fait du Togo sous pression, le chef de l’état nigerian Muhammadu Buhari et le premier ministre par intérim de la transition malienne Abdoulaye Maïga n’y sont pas allés de main morte à la tribune des Nations Unies la semaine dernière pour enfoncer le clou en fustigeant les présidents africains qui se moquent de leurs peuples en cherchant à s’éterniser au pouvoir. Faure Gnassingbé, désormais pris entre le marteau des pressions venant de Cotonou et de New-York et l’enclume des revendications politiques de son peuple, pourrait-il continuer à faire comme si de rien n’était?

D’aucuns diraient que Patrice Talon, Muhammadu Buhari et Abdoulaye Maïga viennent de défricher le terrain pour l’opposition togolaise; une opposition aujourd’hui en vrac, qui ne brille que par des querelles intestines et la haine personnelle entre beaucoup de ses leaders. Seule une union solide de la vraie opposition togolaise pourrait faire en sorte que la peur puisse changer de camp, et que le problème des prisonniers et des réfugiés politiques soit résolu. Le régime togolais, affaibli par les scandales et les crimes de toutes sortes, n’est qu’un géant aux pieds d’argile qui n’est fort que par la faiblesse et l’inorganisation de l’opposition. Nos opposants le comprendront-ils enfin pour s’unir, s’organiser et organiser le peuple qui n’attend que ça pour donner le coup de grâce à Faure Gnassingbé et à son régime?

Samari Tchadjobo
Allemagne

Samari Tchadjobo | Photo : S.T.