Maryse-Quashie-et-Roger-Folikoue
Maryse Quashie et Roger Folikoue | Photo : ALT

Ce qui fait la une de ce début du mois d’octobre ce n’est certes pas encore les élections pour le troisième mandat en Guinée et en Côte d’Ivoire. Elles occuperont l’espace politique et médiatique de la sous-région dès la mi-octobre. Ce n’est pas non plus l’émission panafricaniste sur radio Kanal K des organisations de la société civile avec Aisha DABO d’Afrric Tivistes (Sénégal), David DOSSEH du Front Citoyen Togo Debout (Togo), Oumou SOW de FNDC (Guinée) et Ismaël KINDA du Balai Citoyen (Burkina). Cet évènement, est peut être passé inaperçu et pourtant il concernait l’avenir de notre sous-région. Nous espérons qu’il y en aura d’autres qui vont suivre et envahir la toile.

Mais ce qui a fait la une dans le petit couloir rectangulaire du Togo, est la nomination d’une femme comme Premier Ministre et la composition du gouvernement. Cette composition a été très rapide. Est-ce un supersonique politique qui ferait de lui un vrai évènement historique comme le soutiennent certaines personnes et certains journaux ? L’acte du 28 septembre 2020, la nomination d’une femme comme premier ministre est un fait de notre espace public et en tant que tel, il est soumis, comme d’autres, à une analyse des citoyens que nous sommes.

Au-delà de l’euphorie qui a suivi l’annonce de la nomination, il y a eu une réaction assez révélatrice du climat socio politique après la composition du gouvernement. Cette réaction nous servira d’élément de départ pour l’analyse rationnelle. C’est la réaction du conseiller du président d’un parti qui, supposé être allié à cause d’un accord politique, n’a pas de représentant dans l’actuel gouvernement. Ce parti, dans ses récriminations, a évoqué la théorie du « winner takes all » pour manifester son mécontentement. Non seulement il a évoqué cette expression mais surtout il s’interroge en ces termes : « est-ce le retour au régime du winner takes all ? ». La déception serait-elle si grande, si amère et si profonde ? Et venant d’un tel parti, cette interrogation n’est-elle pas surprenante à tous points de vue ? Un retour à un ancien régime, qui a montré ses limites et qui a échoué, pourrait-il dès lors être le début d’une ère nouvelle même avec une femme comme Premier Ministre ?

On voudrait bien y croire mais cette critique, de la part d’un parti qui par ailleurs est un fervent soutien du gouvernement en place, retire toute option optimiste. En effet l’interrogation n’est pas signe d’un progrès puisqu’elle manifeste, sans aucune réserve, un recul car le parti a cru que cette pratique (winner takes all) était d’une époque révolue par la magie d’un accord.

Si nous étions en démocratie pourquoi le vainqueur ne formerait-il pas seul son gouvernement ? Pourquoi toujours recourir au fameux gouvernement d’union ou d’ouverture dans un contexte véritablement démocratique ? Serait-ce un leurre ou l’invention d’une démocratie à l’africaine ?

C’est alors que survient la question sur le « winner ». Que le vainqueur prenne tout n’est pas anormal ; mais en démocratie le vainqueur pour être déclaré tel passe par un processus de légitimation qui n’est pas uniquement un processus légal. Et le processus de reconnaissance légitime et légale passe par l’acceptation des différentes composantes de la société et des institutions justes et crédibles de la société. Le processus de reconnaissance et de l’acceptation du vainqueur n’est donc pas, par conséquent, une affaire purement légale d’une cour dont la légitimité même est sujette à caution à la fois au plan politique et juridique. Et quand il s’agit du pouvoir politique et donc public renvoyant à l’organisation d’un vivre ensemble pour l’épanouissement de chacun et du bonheur de tous, la phase de la légitimité est indispensable et incontournable.

Et c’est ce principe de reconnaissance et de l’acceptation même qui fonde et justifie l’Etat et surtout la Nation comme une forme d’appartenance inclusive car elle est comme le disait déjà Aristote « la communauté la plus englobante ». Le vainqueur reconnu par le double processus de légitimité et de légalité peut à juste titre former seul son gouvernement dans un Etat de droit démocratique. Se demander si c’est « le retour au régime du winner takes all » loin d’être une simple critique adressée à son partenaire apparaît comme un dévoilement public de ce que les citoyens ont souvent remis en question et qui est de l’ordre de la légitimité. C’est dans ce contexte qu’on est en droit de poser la question sur le caractère historique de la nomination d’une femme comme Premier Ministre.

Que ce soit pour la première fois qu’une femme a été nommée comme premier ministre dans notre pays est un fait que personne ne peut nier. Mais on ne peut pas en rester simplement à la surprise sur le genre du premier ministre. La question ne peut pas non plus se poser en terme d’incompétence parce qu’elle serait une femme. Qu’une femme soit choisie peut être une forme de valorisation dans un contexte où nous luttons tous contre toutes les formes de discrimination et de dévalorisation.

Mais est-ce un choix qui va révolutionner la politique dans notre pays ? Elle n’est pas une figure inconnue, car elle est dans l’espace politique depuis plus d’une dizaine d’année et par les différents postes occupés, elle est l’incarnation d’une politique mise en œuvre depuis plus d’une décennie. Cette politique a-t-elle changé le quotidien des Togolais ? Les citoyens de la base vivent-ils mieux ? Le développement a-t-il eu lieu avec le FNFI par exemple ?

La dernière fois sur les ondes d’une radio de notre pays, une femme, qui se réjouissait pourtant de ce choix, a avoué qu’elle ne fera qu’appliquer la politique de celui qui l’a nommée.

Alors en quoi ce choix peut-il faire avancer toute une communauté politique en crise et qui cherche en vain une porte de sortie ? En quoi cette nomination comme toute autre serait un élément salutaire pour tout un pays bloqué depuis 15 ans par une contestation incessante ?

Tout semble être lié à l’épineuse question de la légitimité qui n’est décidément pas réglée avec les différentes élections car la crise politique est une crise liée aux institutions jugées non indépendantes et peu crédibles dans notre pays. C’est un fait et comme tous les autres il est aussi têtu et il va falloir y faire face vraiment un jour si l’on désire une ère nouvelle.

L’ère nouvelle ne peut donc pas intervenir dans la mise en pratique d’une politique où on prend les mêmes et on recommence. Un déplacement des personnes dans un dispositif qui résulte d’un paradigme qui est toujours le même ne peut pas conduire à un changement véritable. Et c’est sous cet angle qu’on doit analyser la nomination d’une femme comme premier ministre. C’est un fait de notre histoire, c’est un événement mais pas un événement majeur car créateur d’une réelle dynamique à communiquer à tout un corps social traversé par de nombreuses frustrations et déchirures. Dans ce sens le 22 février 2020 est le signe que la solution ne viendra pas uniquement des élections.

L’ère nouvelle ne peut pas venir si on continue à penser la politique uniquement comme un rapport de force car si tel est le cas les uns ne feront que développer des stratégies pour conserver le pouvoir et d’autres feront tout pour y venir sans un changement réel de vision. L’ère nouvelle ne peut pas également venir si nous continuons par donner congé à la raison dans l’analyse et la relecture des faits sociaux en faisant recours de façon incessante à des catégories religieuses et spirituelles car la profusion et la propension à ces catégories peuvent être une forme de démission.

L’avènement de l’ère nouvelle dépend d’abord des gouvernants qui doivent avoir la volonté de faire les choses autrement par la reconnaissance de ce qui n’est pas à sa place et donc de le rétablir au nom de la Justice et du Droit. Et ce jour-là le fait de l’histoire deviendra un Fait Historique qui change la destinée de tout un peuple. Est-ce impossible, mesdames et messieurs les gouvernants?

Cette ère nouvelle dépend aussi de nous tous citoyens déterminés à dire le vrai, le juste et le bon pour construire ensemble une Nation. La reconnaissance de chacun changera notre vision de la politique car nous aurons compris que ce qui nous rend humain c’est le fait d’être au service les uns des autres.

Lomé, le 9 octobre 2020

Maryse Quashie et Roger E. Folikoue