Infog: 27avril.com

Karl Marx disait que la religion est l’opium du peuple. La même chose pourrait être dite de la politique telle qu’elle s’est faite jusqu’ici au Togo.

Les opposants togolais qui souhaitent aller aux élections ne doivent avoir ni peur ni honte d’aller aux prochaines élections législatives. C’est leur droit et leur devoir dans une république où existe le multipartisme, quoiqu’avec des restrictions aberrantes d’un régime répressif aux antipodes du progrès humain.

Toutefois, il serait bénéfique que dans leurs discours, les opposants togolais épargnent au peuple les mythes ci-dessous.

1) C’est parce que le RPT-Unir nous a volé

Allez aux élections, mais ne vous plaignez pas si on vous vole/triche, car vous êtes allés en sachant que le régime va vous voler. Le RPT-UNIR ne peut s’empêcher de vous voler, car pour le régime militaire, le vol électoral fait partie de son ADN. Le régime n’organiserait pas une élection et ne vous y inviterait pas s’il n’était pas sûr de vous la voler, vite et propre.

2) Nous pouvons, ou nous allons gagner

Allez aux élections, mais ne dites pas aux populations que vous allez gagner ou que vous pourrez gagner face aux candidats de la dictature militaire. Les dés sont pipés, et vous ne pourrez pas surprendre le régime. Même si l’ensemble des candidats issus de l’opposition remportaient le double ou même le triple des voix de l’ensemble des candidats du régime, le régime gardera la majorité des sièges. C’est uniquement sur l’assurance de garder la majorité des sièges que le régime organise cette élection et vous autorise à y participer (parce qu’il s’agit malheureusement d’une autorisation).

3) Nous aurons une partie / une parcelle du pouvoir

Allez aux élections, mais ne dites pas aux populations que si vous gagnez des sièges (ou par miracle la majorité des sièges), cela va changer quelque chose dans le cauchemar du peuple togolais. Le Togo n’est pas une démocratie. Si vous gagnez, vous pourrez jacasser sur votre popularité dans les médias, dans les ambassades et auprès des maffieux de la communauté internationale.

Toutefois votre victoire n’ébranlerait pas le régime parce qu’au Togo le pouvoir se trouve dans 2 lieux: la présidence et les camps militaires. Les « parcelles de pouvoir » dont vous rêvez sont dans les mains des conseillers civils qui sont dans les antichambres de la présidence, ainsi qu’entre les mains de ceux qui commandent les porteurs de bérets et de treillis. Comme on le voit et comme on l’a vu dans le passé, les députés togolais, qu’ils soient tous issus du RPT-UNIR (assemblée unir-colore, 2002 et 2018) ou qu’il y ait des opposants parmi eux (1994, 1999, 2008, 2013) n’ont ni pouvoir ni parcelle de pouvoir.

4) C’est une opportunité pour une révolution post-électorale

Allez aux élections, mais ne dites pas que vous allez manifester contre les fraudes ou même que vous comptez utiliser ces manifestations contre les fraudes pour mener une révolution post-électorale. Dès que certains parmi vous seront proclamés élus, ils vont se désolidariser de tout mouvement de revendication et iront même torpiller tous vos efforts qui mettraient le régime en danger. Vos propres élus deviendront donc les pires ennemis de la révolution post-électorale. Mieux, c’est ceux qui sont les plus chauds pour la révolution électorale qui seront proclamés “élus”, donc ils se chargeront de détruire ladite révolution post-électorale qui serait du sable dans leur gari / attiéké.

5) Mmême si on ne gagne pas, nous aurons une minorité de blocage à l’assemblée

Allez aux élections, mais y aller avec l’intention aussi moindre soit-elle d’être minoritaire est la reconnaissance d’une position de faiblesse, même si comme on dit, reconnaître sa faiblesse est le début de la sagesse. Sauf que dans la proclamation de « ses » résultats, le RPT-UNIR, aussi magnanime soit-il, ne vous accordera pas ladite minorité de blocage. Si par mégarde du régime (tout est possible) vous obtenez la minorité de blocage, n’oubliez pas une chose: au Togo le blocage à l’assemblée ne peut venir que de 2 acteurs: le Président de la République et l’armée.

6) L’élection est un pas vers l’alternance politique

Allez aux élections, mais ne dites pas aux populations que grâce à votre participation nous serons plus proches de l’alternance/changement politique. Loin s’en faut. Dans une démocratie une élection est la voie par excellence du changement, c’est une étape vers les changements d’équipes dirigeantes et/ou de régime. Bémol: le Togo n’est ni de près ni de loin une démocratie; c’est un régime militaire répressif, donc il faut arrêter d’entretenir l’illusion que l’élection législative conduira au changement politique. Au Togo, les élections et la quête du changement de régime sont deux trajectoires qui évoluent en parallèle, et le fossé entre les deux n’a fait que s’élargir avec le temps.

Mot de fin

Il y a évidemment d’autres mythes dont il faut se défaire pour que les législatives soient un moment de vérité et de réconciliation entre les opposants et les populations désabusées par les discours politiques. Mais celles que je viens d’énumérer constituent un opium dont il faut se débarrasser à tout prix.

A. Ben Yaya
New York, 22 Avril 2023

A. Ben Yaya