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« Je me sens le cœur ingrat par cela seul que la reconnaissance est un devoir ». Dans sa Correspondance à M. de MALESHERBES, VOLTAIRE fustige toutes les folles et détraquées attitudes de ceux qui, on ne sait trop par quelle outrecuidance extrême, surgissent du néant pour renverser les belles aventures humaines, les grands acquis des peuples, leur longue marche au soleil de l’espérance, les œuvres de la mémoire des communautés et de leur élévation pour les plonger dans la nuit sans étoiles, les abîmes de cruautés sans le moindre frémissement des civilités et de l’humanité.

La construction de l’histoire commune des peuples passe pourtant par le socle référentiel de la vertu et du mérite qui appelle naturellement au rassemblement, à l’adhésion pour un aval aux fondements de l’action en laquelle se reconnaît la collectivité. L’identité nationale se tisse et se forge dans une histoire bénie par l’ascension de la collectivité qui sait apprécier son propre combat, ses sacrifices, les hommes valeureux qui les portent.

Ainsi, l’homme qui a conduit le Togo à la souveraineté et à la formation de l’Etat était d’un cran dans les élites africaines et d’une qualité qui lui ont permis un cordon solidaire pour réussir une mission énorme qu’on ne peut banaliser sans se livrer à une foire aux bassesses. A tous les hommes valeureux, la couronne ne roule jamais dans le sable, parce que l’histoire des peuples est éternelle et quiconque se permet de la raboter pour en faire le torchon de sa propre ignorance tombe dans le gouffre de ses petitesses, de sa bestialité.

Seuls ceux qui ont de la valeur savent reconnaître la valeur dans les autres et s’inclinent dans une adoration sur leurs mérites. Ils les glorifient pour en tirer une source fécondante. La preuve en est que l’hymne national togolais est conçu par nos devanciers dans une solidarité diachronique avec nos ancêtres qui ont défriché cette terre de notre asile, de notre savoir-faire et de nos liens avec le cosmos.

Pour quelles raisons peut-on s’acharner à mettre sous l’éteignoir l’homme-monument du combat de la libération de notre pays et son œuvre ?

Le négationnisme n’est-il pas une preuve de faiblesse de ceux qui s’y livrent pour falsifier les aventures terrestres ?

User d’une autorité du crime suffit-il à effacer l’étendue des œuvres historiques et la grandeur du mérite de ceux qui en sont les célèbres bâtisseurs ?

1) Substituts grotesques de la notoriété et crimes contre la mémoire.

Quiconque ment à son peuple le trahit. Les trahisons au Togo sont trop nombreuses dans une sacrée propension à diffuser le faux. Dans tous les pays où le politique s’évertue à faire régner l’ordre du faux, il installe la terreur pour tétaniser les lucides et les justes. La somme des appareils de répression transforme le politique en un robot du mensonge et du crime pour museler les contrariétés, les libertés et les jouissances citoyennes.

Les auteurs du régicide au Togo ont si longtemps échafaudé, exécuté un crime de la mémoire en s’acharnant contre le père de la nation, sa dimension politique, intellectuelle, sociale avec l’intention de le faire disparaître de la conscience collective. L’indépendance d’un peuple n’est pas une histoire cachée ou diffuse pour que les populations s’en débarrassent.

L’usurpation de titre de père de la nation, accompagnée d’une propagande, bien véreuse, soutenue par une certaine littérature fétide avec une pièce de comédie intitulée Il était une fois illustre un crime de la mémoire qui entreprit de démolir Sylvanus OLYMPIO, la grandeur de l’illustre, sa valeur intrinsèque, son envergure politique, les spécificités de sa mission, ses œuvres au profit d’ Eyadema GNASSINGBE.

Tout le trajet fastidieux et exaltant de l’indépendance chèrement acquise dans la transcendance des écueils et dans la solidarité effervescente des Togolais est honteusement ignoré dans une production fâcheuse du mensonge et du superflu. Les idoles ne se fabriquent pas dans la falsification éhontée de la mémoire des peuples. Notre indépendance est détricotée, démolie dans une farce de substitution proprement pâle qui expose tant le bénéficiaire que les auteurs à la foire aux monstruosités sans jamais les imposer à la sentence de l’histoire.

Pour faire de la politique, il faut être doué, cultivé et grand en connaissance, en éthique, en vision et en projection responsables tout en préservant les vrais acquis nationaux et la mémoire de ceux qui ont réussi les grandes choses en faveur de la collectivité nationale. Le coup de l’énergie de la démolition de Sylvanus OLYMPIO et de ses œuvres est faramineux et préjudiciable à l’intelligence de la gouvernance qui s’est emmurée exclusivement dans des représailles, le musèlement de l’expression libre et des libertés. Même l’hymne national a connu une démolition de substitution sur une vingtaine d’années avant de retrouver sa place populaire à la suite d’une révolution des années 90 au Togo.

Partout où s’alignent des falsifications de l’histoire et des usurpations de notoriété dans la vie de la cité, s’écroulent les peuples. Le progrès demeure dans l’ordre de la reconnaissance et de l’inspiration qu’on tire des grandes âmes, de leurs spécificités, de leurs œuvres.

Le Ghana qui a tout perdu, son économie, sa liberté, son rayonnement, sa stabilité dans une sordide entreprise d’évacuer N’KRUMAH de son histoire politique s’est retourné aux fondamentaux historiques pour rebondir puissamment avec Jerry RAWLINGS qui s’était accroché à l’immensité du père de la nation, à sa vision du Ghana pour relever le pays qui s’était noyé dans une crise profonde pendant vingt-cinq ans. Ernest RENAN a raison d’écrire dans Souvenirs d’enfance et jeunesse: “Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond pour le passé ».

Le Togo est tombé au fond des âges où nous devons reprendre à la base l’édification de notre cité perdue par la faute de mémoire, la faute de coordination de son évolution par un négationniste qui voulait se faire passer pour celui qui a donné le souffle à notre nation. Nous avons tué la Jeunesse Pionnière Agricole qui lançait la mécanisation de la production agricole pour vociférer à tue-tête que nous avons atteint une autosuffisance alimentaire. Nous avons liquidé l’éducation sans rien prévoir dans la formation des compétences et des élites en entretenant l’ascension aux postes de prestige sur des critères fallacieux et en falsifiant les résultats des concours nationaux. Nous avons liquidé la santé, la protection civile, le droit à la guérison. Tout ce qui nous intéresse au Togo, c’est le pouvoir pour le pouvoir et nous sommes les maîtres de la corruption, de l’achat des consciences, des fausses élections, des crimes électoraux, des crimes de masse, des crimes économiques…

Comment pouvons-nous penser l’indépendance, l’entretenir, rassembler ce peuple, réinventer la république dans nos effractions de survie politique ? Pierre RONSARD disait à juste titre dans son Discours sur l’institution pour l’adolescence du roi chrétien : « Un roi sans vertu porte un sceptre en vain ».

2) De la faillite du concept d’Etat à celui de l’indépendance

Le sens de l’Etat vient d’une culture et d’une pratique qui ne sont pas à la portée de n’importe quel individu. L’avidité du gain ne fait pas l’Etat. Le culte du moi ne fait pas non plus l’Etat. La soif de la gloire sans mérite pervertit le sens du service public. Le mode d’évolution d’un leadership tronqué au tintamarre de célébrité de soi est une petitesse insurmontable pour qui veut régner sur une république.

Tant que l’encre du projet politique ne trace pas l’esquisse des libertés individuelles et collectives, tant qu’elle n’incite pas les peuples à la jouissance totale de leurs droits, le culte de la brutalité et le dogme du faux abaissent les démiurges qui falsifient la notion d’Etat. Refuser d’être franc avec le peuple dont on prétend assumer la puissance populaire pour agir en son nom, c’est dépérir radicalement sur le champ politique pour ne devenir qu’un vulgaire personnage. Antoine de SAINT-EXUPERY pèse les incidences de la vérité sur le projet de la gouvernance et sur le mental des individus et du groupe auquel ils appartiennent dans Terre des hommes : « La vérité, c’est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos».

Nos faussetés électorales, nos institutions fort onéreuses et vides, nos réconciliations de moquerie, nos catharsis manquées, nos artifices de dialogue, notre leadership usurpé ne libèrent aucunement ni notre esprit, ni nos acteurs majeurs de reprise des arcanes de la gestion de l’Etat. Nos usurpations récurrentes et lourdes ne nous confèrent aucune dignité patriotique pour penser l’indépendance et susciter l’effervescence et la splendeur qu’elle contient. Si un leader ne peut pas être en communion avec son peuple, comment peut-il se loger dans les sillons de l’indépendance, dans les droits du peuple ?

Ceux qui ont connu le Togo en pleine conscience de lui-même entre 1960-1967 sont fiers de nous conter l’indépendance, sa célébration, son incidence sur la conscience nationale et les floraisons qu’elle entretenait dans la conscience collective. Nous avons passé un demi-siècle de dissolvant sur les saveurs suaves de notre « Ablodé Gbadja » en salissant la mémoire du vrai bâtisseur de la nation, père de notre indépendance pour bannir vainement l’odyssée de notre conquête, ses horizons…

Fort heureusement que la Conférence Nationale Souveraine a fait mieux connaître Sylvanus OLYMPIO, ses peccadilles qui n’ont rien à voir à titre de comparaison avec nos camps de torture et de liquidation des vies comme Kazaboua, Agombio…Les enquêtes onusiennes ont certifié les crimes de masse jamais connus dans notre pays juste pour conserver le pouvoir dans une lignée dynastique.

Houphouet BOIGNY déclarait en 1986 lors d’une conférence de presse qu’on ne peut pas vivre, ni gouverner en ayant les mains propres. C’est, du reste ce que confirme de GAULLE dans ses Mémoires de guerre en ces termes : « Quel homme a vécu jamais une existence achevée ? »

Le mal politique qui ruine le Togo réside dans une volonté démoniaque d’usurpation de titre, de mandat, de victoire avec tout son corollaire de violence, de libertinage, de délinquance politique comme si l’indépendance recouvrait une dimension de licence de dépossession des droits des citoyens et de contrôle par la brutalité de l’expression plurielle de nos populations. Nous nous maudissons par vos vacuités d’éthique politique et nos gloires dans cette pratique restent introuvables !

Source : L’Alternative / presse-alternative.info