Samari Tchadjobo | Photo : S.T

« Des détenus proches du PNP font leur mea-culpa et demandent la clémence de Faure Gnassingbé ». Voilà le titre sous lequel nous pouvons lire, entre autres:

« Excellence M. le Président, nous voudrions par cette lettre reconnaître l’irrégularité de nos actes, même si nous étions au départ mus par de bonnes intentions et convaincus de la légalité de nos actes. Nous reconnaissons aujourd’hui par nos actes avoir causé des torts à des concitoyens et à la République. C’est pourquoi nous voudrions humblement solliciter votre indulgence. Nous sollicitons votre intervention en vue d’un traitement rapide du dossier permettant de recouvrer notre liberté. Nous promettons d’être légalistes et promoteurs des actes conduisant à la cohésion nationale, socle de votre politique…. »

Le curieux article était à la Une d’un bimensuel togolais de moindre audience du 19 avril 2022. Nos efforts auprès des amis à Lomé pour nous procurer le journal pour que nous en sachions plus ont finalement abouti à l’obtention du format PDF. Déjà le titre „ des détenus proches du PNP font leur mea-culpa“ pourrait faire sursauter tout lecteur togolais imprégné des réalités politiques de notre pays; ensuite la liste des 36 Togolais supposés signataires de la lettre de pardon au dictateur togolais que nous avons présentée à certains responsables du Parti National Panafricain (PNP) et à certains prisonniers politiques vraiment proches du PNP, interroge plus qu’elle n’édifie sur le bien fondé d’une telle démarche plus que curieuse.

Nous sommes de ceux qui ont toujours et de tout temps dénoncé le caractère arbitraire de l’arrestation ou plutôt du kidnapping de Togolais et de Togolaises pour des raisons politiques, qu’on détient dans des conditions inhumaines en prison, qu’on torture et dont beaucoup sont déjà morts en détention. Inutile de rappeler ici que nous avons régulièrement dénoncé la pratique de la loi du plus fort, la persécution politique sur la base de l’instrumentalisation tribalo-éthnique, la totale impunité dont jouissent les donneurs d’ordres et leurs exécutants, et demandé la libération pure et simple de tous les prisonniers politiques en commençant par le demi-frère de Faure Gnassingbé.
Nous serions donc partants pour toute initiative qui aboutirait à l’élargissement de tous les prisonniers politiques, qu’ils soient proches ou non d’un parti politique de l’opposition. C’est pourquoi si demain les 36 signataires de la curieuse lettre et tous les autres prisonniers politiques étaient libérés, ce serait une très grande victoire pour tous les amoureux de la liberté et de la vie humaine, et surtout une très grande joie, un grand soulagement pour les familles. Mais tout le monde sait, à commencer par ceux qui sont responsables de ces kidnappings de citoyens togolais, que tous ces prisonniers détenus depuis plusieurs années, qui pour appartenance aux partis politiques de l’opposition , surtout au PNP, qui pour avoir été victimes de ce grotesque montage dit « Tigre Révolution », n’ont rien à voir avec les fantaisistes chefs d’accusation qu’on tente de leur coller. Ne dit-on pas, « qui veut noyer son chat l’accuse de rage« ?

S’agissant du rocambolesque montage orchestré par les jusqu’au boutistes du régime Gnassingbé pour affaiblir l’opposition en arrêtant sans raison valable de jeunes togolais qui ne portent pas forcément le dictateur dans leur coeur, nos enquêtes et recoupements nous ont permis justement d’avoir la confirmation que les 36 jeunes Togolais, signataires volontaires ou manipulés de la fameuse lettre de demande de clémence au chef de l’état de fait de notre pays, furent kidnappés en 2020, non pas pendant des manifestations, non pas en tant que proches du PNP (Parti National Panafricain), mais dans cette affaire sans tête ni queue de  » Tigre Révolution ». Pour rafraichir la mémoire au lecteur, nous sommes tombés sur un extrait du journal togolais Le Rendez-Vous N°353 du 6 novembre 2020 qui avait retracé à l’époque comment les choses s’étaient passées:

«…Le montage a accouché de l’affaire Tiger ou Tigre de la Révolution, c’est le nom de code comme savent bien le faire les militaires qui baptisent toujours leurs différentes opérations. Cette affaire a fait arrêter des jeunes chômeurs, des chefs d’ateliers, des étudiants, des pères de familles et femmes mariées. Si soixante-cinq d’entre eux, après leur arrestation ont eu la chance d’être détenus légalement à la prison civile de Lomé, plus d’une cinquantaine ont été détenus ou dans les lieux de détention secrètes du tristement célèbre ANR, même si on fait croire que ce service n’existe plus, ou au Camp GP. Dans la semaine du 10 octobre 2020, ces détenus en clandestinité dans des centres de torture de triste renommée sont déversés à la prison civile de Lomé. Mais peu avant qu’ils ne soient ainsi déplacés, en plus de ceux qui n’ont pas pu résister aux violences ayant émaillé leur arrestation et aux autres traitements qui leur furent réservés dès les premiers moments, les détenus ont commencé par mourir de leurs conditions de détention clandestine au camp GP. En quelques jours, 4 se sont succédé. C’est aussi l’une des raisons qui ont pu pousser les bourreaux à les déplacer vers le lieu de détention conventionnelle qui est la PCL.»

En dehors des 36 citoyens visiblement exténués et à bout de souffle après deux ans de détention injuste dans des conditions inhumaines; il y en a beaucoup d’autres qui ne figurent pas sur cette liste mais font partie de la même vague d’embastillés de 2020, sans oublier les nombreux malheureux morts sous la torture au camp GP ou après leur transfert à la prison civile de Lomé. La toute première question qui viendrait à l’esprit de tout observateur lucide serait de savoir comment une telle lettre supposée de mea-culpa a pu voir le jour. Qui en est l’initiateur. Qui se cache derrière et qu’est-ce qui se cache derrière? Nos 36 concitoyens, prisonniers politiques sont-ils manipulés par qui pour prendre une telle initiative qui risque, au lieu de les aider, de desservir leur cause? Quelqu’un qui est victime d’arbitraire, d’abus et d’injustice de la part d’un pouvoir politique impitoyable ne peut pas du jour au lendemain changer les rôles en demandant pardon à son tortionnaire, à celui qui l’écrase. Dans un pays comme le nôtre où le caractère autoritaire du régime politique, où les massives violations des droits de l’homme et où l’impunité dont jouissent responsables et exécutants des basses besognes ne sont plus à démontrer, une telle initiative de prisonniers politiques, victimes de la dictature, demandant pardon en reconnaissant leurs fautes, alors qu’ils n’en ont commis aucune, ne risque-t-il pas de créer un précédent dangereux, très dangereux pour la lutte du peuple togolais pour sa libération, surtout pour le combat des organisations des droits de l’homme pour la fin des violations et de l’impunité? Qu’en sera-t-il pour les autres centaines de prisonniers politiques encore en détention? Devraient-ils, eux aussi, écrire des lettres de mea-culpa pour quémander leur libération auprès de ceux qui ont pris les togolais en otages et les maltraitent?

Depuis le début des années’90 les Togolais du nord au sud se sont soulevés pour réclamer un peu plus de liberté, de démocratie et un peu plus de transparence dans la gestion des affaires de l’état pour le bien de tous. Trois décennies après, non seulement le bout du tunnel semble encore plus loin, tout s’est empiré dans le domaine de la gestion de la chose publique et surtout dans celui des libertés individuelles. En un mot, ceux qui sont au pouvoir n’ont aucun respect pour leurs concitoyens et surtout pour leur vie. Les violations des droits de l’homme faites d’assassinats politiques, d’arrestations d’opposants ou supposés tels, de leur incarcération dans des conditions inhumaines, semblent désormais être le programme de gouvernement de ceux-là qui n’ont plus rien à proposer. Dans ces conditions où le régime Gnassingbé est décrié pour sa gestion clientéliste et surtout pour sa propension à bafouer aux pieds la dignité humaine, ce n’est pas ce genre d’initiative peu réfléchie, sentant la manipulation et faisant surtout la part belle à l’impunité qui remettrait le Togo sur les rails des pays démocratiques et civilisés. Nous voulons, réclamons et exigeons la libération de tous les prisonniers politiques sans exception. Mais pas comme ça!

Samari Tchadjobo
Allemagne

Télecharger / Lire (PDF) : l’extrait de Topani sur ladite demande de pardon