Pierre S. Adjété

Il faut en arriver à mettre sous raison, sous professionnalisme, sous efficacité et sous contrôle, le chaos qui caractérise l’Opposition togolaise ainsi que sa culture du désaccord permanent et de l’insuccès fréquent, face à une des dictatures les plus féroces qui soit, celle de Faure Gnassingbé et du système qu’il perpétue. Au sein de cette Opposition, il faut éviter de réfléchir et d’agir en dehors de l’intérêt supérieur du retour à la République au Togo.

NOUS en sommes arrivés à ce constat d’un impératif catégorique pour réaliser le devoir d’un autre Togo. Car, la Patrie doit prévaloir avant les partis politiques, surtout ceux de l’Opposition en quête du changement. Et cela doit être dit clairement, ouvertement, respectueusement et vigoureusement.

D’ores et déjà, il est primordial de lever toute équivoque. Les partis politiques sont légitimés d’avoir leurs intérêts et leurs agendas. Mais un parti politique qui se veut digne et grand, louable et méritoire, ne peut plus ne pas souscrire à l’urgence du résultat républicain : le changement ou l’alternance politique au Togo. Il en est ainsi pour le parti au pouvoir, le RPT-UNIR, un régime confiscatoire de toute volonté du Peuple, à plus forte raison les partis et mouvements politiques de l’Opposition togolaise à ce régime récalcitrant.

« La leçon que je tire est que notre dysfonctionnement politique est encore pire, notre capacité à nous montrer à la hauteur de ce que j’imaginais. Il est difficile de regarder ce qui se passe actuellement sans éprouver un sentiment de désespoir. » Cette citation extraite d’un récent article du prix Nobel d’économie, Paul Krugman –l’un de mes préférés en la matière-, s’applique parfaitement au Togo.

Une Éthique de l’Opposition

Tristement, en effet, il est plutôt question de la même réalité : « l’irresponsabilité et le déni » de Donald Trump face à la pandémie du coronavirus ; une attitude qui ressemble à s’y méprendre à celle de Faure Gnassingbé face à la crise politique au Togo, certes. Mais également un reniement et une insensibilité au devoir de l’action commune de l’Opposition, à des moments cruciaux de l’histoire, comme ce fut le cas au lendemain de la Présidentielle du 22 février 2020.

Une leçon importante reste à tirer de cette incorrigible expérience Faure Gnassingbé : le Togo est trop lourd à porter par Faure Gnassingbé lui-même, avec tous les moyens d’État dont il s’est pourtant appropriée. Il n’en reste pas moins que les adeptes d’un Togo démocratique ont également leur enseignement à extraire de tant de décennies de lutte et de non-résultat : adhérer à une éthique de l’Opposition.

La lourdeur du Togo politique couvre pratiquement l’étendue des soixante années d’indépendance dont 54 ans du même régime dictatorial, désespérément inguérissable, au palmarès insoutenable : pas d’école ni système de santé digne au Togo et à tous les niveaux, pas d’eau potable ni électricité aux populations, mais une armée clanique et répressive dans un État-nation fragmenté, et même en déplorable lambeau.

S’y rajoutent : faux dialogues avec l’Opposition, frère en prison, prétendu gouvernement-harem de maîtresses, Constitution apocryphe, fraude et usage de faux comme mode de gouvernance et de diplomatie –signature et rapports truqués y passent-, le Togo comme plaque tournante de tous les trafics illicites et transferts financiers illégaux, moyens d’État confisqués, dépendance à la violence, commerce des indulgences avec les diplomates et la communauté internationale, niveau d’endettement incontrôlé, gabegie, népotisme, etc.

Une des tristes réussites de la dictature au Togo, au-delà de tout, est d’avoir semé la facilité de division chez les citoyens. Ainsi, chacun croit normal qu’il se doit d’être dans la polémique éternelle et inutile avec l’autre, une forme d’astroturfing à la togolaise. Les partis politiques en font la démonstration tous les jours à travers une incapacité maladive des leaders et responsables à s’entendre sur l’essentiel même de leur combat. S’entendre sur le départ de Faure Gnassingbé, son système et ses Adowuinon, avant tout, pour provoquer le retour à la République et aux conditions idéales de Démocratie, de Réconciliation et de Développement du Togo.

Le Groupe… Une Compétence à Développer

C’est pour cela qu’un modèle éthique républicain s’impose dans le camp des adeptes du changement politique inaliénable au Togo, partis politiques et leaders, qui sont porteurs d’un bilan globalement infructueux, allant de déconvenues en désordre, de déception en déloyauté, de désillusion en désespoir. Levier de transformation et de gestion, un modèle éthique professionnel s’impose comme une qualification au devoir du regroupement, à chaque fois efficace et efficiente, mieux encore comme une métacompétence politique.

NOUS ne pouvons NOUS permettre au Togo d’abandonner l’efficacité et rejeter le regroupement politique par principe, par inconfort ou par expériences mauvaises accumulées. Reconnaître la force du groupe, le bon groupe et tous ses défis, c’est aussi choisir de faire face adéquatement à l’ensemble de ses exigences en vue d’atteindre les résultats escomptés. Il y a véritablement une compétence de groupe à extérioriser, même si l’on est dans l’Opposition des décennies durant.

Ne continuons pas à NOUS méprendre. Il s’agit clairement, dans un cadre pratique propre à la réalité politique du Togo, que les regroupements se fassent par affinités, par objectifs, par règles, par transparence, par résultats : tout cela fait une Éthique républicaine de l’Opposition.

Toutes ces exigences d’une Coalition réussie permettront d’éviter de se tromper d’alliés, éviter de réunir carpes, lapins, larbins et consorts dans une même prise. C’est en cela que la récidive sur le chemin du regroupement devient du professionnalisme politique face à l’extrême dictature dont NOUS souffrons au Togo. Le regroupement au Togo n’est donc pas la répétition de tous les chaos du travail de groupe antérieur, à l’exemple de la défunte C14. Mais, il s’agit de l’éducation permanente dans le travail d’un groupe politique dûment professionnalisé. En soi, l’Opposition au Togo devient un projet à réussir, coûte que coûte, vaille que vaille.

C’est ça la règle, c’est ça la quête de la perfection dans toute démarche, et particulièrement dans toute œuvre d’essence collective guidée par le résultat. C’est probablement pour cette sacralité du travail en groupe, de la naissance du groupe jusqu’à la science de sa gestion en vue des résultats que l’on exige, dans tous les domaines complexes, que tous les défis se réalisent en groupe et dans un mouvement d’ensemble coordonné.

C’est en cela, à travers la sacralisation du travail de groupe assaini, que l’union fait la force. Dans l’armée et dans les sports individuels et collectifs de haut niveau, dans la conquête de l’espace et dans les différentes formes d’ingénierie, à peu près partout et particulièrement dans l’adversité et la rareté des ressources et du facteur temps, le travail d’équipe s’est toujours imposé. L’Opposition politique au Togo doit se professionnaliser par le résultat. Car, le retour à la République, la Patrie, prévaut sur les partis politiques et leurs intérêts.

Une Solidarité Récidivée

Tout comme au Togo, après mil péripéties, Martin Luther King Jr en était d’ailleurs arrivé à cette leçon incontournable et quasi universelle : face aux nobles combats, « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » On ne le dira donc jamais assez, vivre ensemble et faire front commun contre l’imposture est un apprentissage assidu, une éducation continue, une constante récidive, une soumission à un idéal républicain, un choix de grande lucidité et de ferme solidarité.

C’est à ce carrefour que se trouve de nouveau l’Opposition togolaise. Il ne peut en être autrement que de la solidarité agissante et d’une lucidité informée, après la faillite et le manque d’entraide qui ont marqué les partis politiques togolais autour de la Dynamique Monseigneur Kpodzro et de son candidat Agbéyomé Kodjo, au soir du 22 février 2020, après que le Peuple togolais eut parlé. Meneur, puis gagnant logique de la Présidentielle, Agbéyomé Kodjo méritait amplement cette camaraderie républicaine nécessaire, pleine et entière, préalablement promise par tous les partis de l’Opposition les uns envers les autres. Il n’est pas tard de se soumettre à cette promesse.

Une si retentissante faillite interroge beaucoup toutes les consciences républicaines : à quelle autre occasion qu’une Présidentielle NOUS montrerons-nous assez solidaires, les uns et les autres, pour aider à pousser dehors le régime totalitaire togolais ? Ce reniement et ce dysfonctionnement ne peuvent plus continuer à prévaloir après tant d’années d’insuccès de l’Opposition. Il va falloir mettre fin à cette incongruité républicaine. Un si lourd Togo nécessite une solidarité à toute épreuve réinventée, réitérée et récidivée… C’est le gage du résultat.

Pierre S. Adjété
Québec, Canada
22 octobre 2020

[NOTE : Ce texte a été conçu et écrit, pour l’essentiel, avant la sortie-interview de président élu des Togolais, Agbéyomé Kodjo, le 14 octobre 2020. En réalité, ce texte a été motivé par certains échanges, réactions et explications à la suite de mon texte « Persistons! », sur WhatsApp, et diffusé le dimanche 11 0ctobre 2020. J’ai alors décidé d’écrire un approfondissement de ma réflexion sur l’Opposition togolaise, son devoir de solidarité, et en faire publication à la date du 22 octobre 2020, huit mois après la Présidentielle.]