Les oiseaux ont leurs périodes d’amour. Chez les magistrats, l’heure n’est pas à la gaieté, et pour cause. Des propositions d’affectations feraient grincer des dents, du fait qu’elles se feraient sur des bases autres que celles qui doivent recueillir l’assentiment du commun des mortels. Au point de faire dire à certains que si les affectations de l’année 2012 figurent parmi les meilleures dans les annales de l’histoire de la magistrature, les propositions en cours sur fond de perpétuation de la corruption sont l’œuvre des trois mousquetaires qui dirigent actuellement la magistrature togolaise : Akakpovi Gamatho, Pius Agbetomey et Alpha Adini, tous des « opposants » de feu Gnassingbé Eyadema et anciens « dignitaires » du SMT, entendez Syndicat des magistrats du Togo. Le temps est passé et chacun tient à tisser sa toile.

Le ministre de la Justice Pius Agbetomey (g), le président de la République Faure Gnassingbé (c) et le président de la Cour Suprême et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) Akakpovi Gamatho | Infog : 27avril.com
Le ministre de la Justice Pius Agbetomey (g), le président de la République Faure Gnassingbé (c) et le président de la Cour Suprême et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) Akakpovi Gamatho | Infog : 27avril.com

Au Ghana, il a fallu le travail risqué d’un seul journaliste pour que le monde découvre, avec des preuves, la corruption qui a toujours cours au sein de la magistrature ghanéenne. Même si au Togo les magistrats utilisent des fourchettes à manches longues pour mieux se protéger, des indices permettent de déduire que derrière certains actes, se cachent des intentions corruptives. Et si le projet d’affectation des magistrats venait à être validé sans tenir compte des critères objectifs, une grogne sourde pourrait sourdre et menacer le corps des magistrats du Togo.

L’année 2012 a coïncidé avec l’arrivée du juge Akakpovi Gamatho à la tête du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le juge n’ayant pas encore fait ses preuves à ce poste, et soucieux de mériter la confiance que le chef de l’Etat lui a faite, s’est attelé à procéder à des affectations que bien des magistrats avaient qualifiées de « bon cru », en comparaison des productions des vignobles. Parce qu’en cette année, le président du CSM s’était basé sur les critères unanimement reconnus : l’honnêteté et le grade. Mais le temps est passé et à l’heure de la prochaine affectation, des critères basés sur des accointances risquent de poindre le bout de leur nez pour remettre en cause l’ordre établi.

Les magistrats évoluent par grade et par compétence. Mais lorsqu’on prend par exemple le parquet de Lomé, il devient surprenant qu’une même promotion soit aux affaires pendant 16 ans, au cas où les bruits qui courent venaient à se confirmer. Comment ? Il se trouve qu’avant Essolissam Poyodi, c’était Robert Bakaï qui était procureur de la République. Et pendant 8 ans, celui-ci est demeuré à ce poste. N’eut été une faute de parcours, Dieu seul sait s’il aurait été dégommé et mis à la disposition du ministère de la Fonction Publique. Et l’actuel procureur prit la succession. Seulement, Essolissam Poyodi vient de boucler 4 ans à ce poste, mais ferait de la résistance. Or, il est de la même promotion que Robert Bakaï. Ce qui revient à dire qu’une même promotion risque de passer 16 ans au poste de procureur de la République de Lomé. Une situation qui tendrait vers le régionalisme selon un président de Tribunal qui met le doit là où ça fait mal : « Comment Bakaï et Poyodi, tous deux de la même promotion, et pire, de la même région du Togo, peuvent-ils monopoliser le parquet de Lomé à eux deux pendant 16 ans ? Doit-on considérer que ce poste est désormais réservé à une ethnie ? Au vu de ces deux considérations, ce n’est pas sain, à moins que des gens veuillent préserver des prébendes qui ne disent pas leur nom », s’est-il lâché.

Des bruits font aussi état de ce que des magistrats avec peu d’expériences seraient affectés vers des tribunaux de renom comme ceux de Dapaong, Atakpamé, Kpalimé, etc. alors que des promotions antérieures demeurent et végètent dans l’attentisme. Si l’honnêteté pourrait être avancée, quid du grade et donc de l’ancienneté ? Pire, il se prépare le retour de magistrats qui seraient à des échelons supérieurs vers des échelons inférieurs. C’est ainsi que des magistrats pourraient être débarqués de la Cour d’appel pour siéger comme présidents de tribunaux. De même, des magistrats feraient le retour de la Cour suprême vers la Cour d’appel. Doit-on comprendre par ces retours inconvenants que les magistrats des juridictions inférieures sont tous si incompétents que le retour des juges de tribunaux supérieurs est « incontournable » ? Lorsqu’on analyse l’identité des magistrats concernés, on s’aperçoit que c’est sur fond de corruption que les propositions d’affectation se préparent.

En effet, les magistrats de la Cour d’appel et des tribunaux statuent sur les faits et le droit. Et dans un langage moins rébarbatif, ceci amène ces juges à être en contact direct avec les clients et plaignants. Une occasion pour rançonner les clients pour plaider leur cause. Sinon, on comprend mal pourquoi des magistrats qui ont déjà 4 ans d’ancienneté, font de la résistance à aller de l’avant et préfèrent rester dans leur ancien statut. Mais si les propositions scélérates ne recueillent pas l’assentiment de la majorité comme ce fut le cas en 2012, on comprendra que la corruption et le régionalisme auront eu raison de la justice togolaise dirigée aujourd’hui – hasard de dame nature – par les trois mousquetaires, nous avons nommé Pius Agbetomey, ministre de la Justice et chargé des Relations avec les Institutions de la République, Akakpovi Gamatho, président de la Cour suprême et du CSM, et Alpha Adini Byalou, Inspecteur général.

Du temps est passé, de l’eau a coulé sous les ponts, mais il n’en demeure pas moins qu’au temps de feu Gnassingbé Eyadema, les trois juges sus-cités étaient les « opposants magistrats » qui avaient créé en ce temps le Syndicat des magistrats du Togo (SMT). Aujourd’hui, ils sont tous attablés à la mangeoire et leurs voix se sont faites inaudibles. Pire, les affectations à venir confirmeraient les soupçons qui leur prêteraient des intentions de tisser leur toile, parce que selon les explications d’un autre président de tribunal, l’imposition des affectations scélérates serait la preuve que ceux qui seront nommés de façon abusive seraient redevables à leurs « bienfaiteurs », du moins pendant la période de leur nomination.

La justice togolaise est remplie de brebis galeuses, tout comme de juges qui tentent autant que faire se peut, de dire le droit. Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en apercevoir. Aussi serait-il urgent qu’avant le passage des propositions d’affectation devant le conseil des ministres, les trois mousquetaires se ressaisissent pour que ne soient mis devant que les deux critères : honnêteté et grade. Le reste ne serait que régionalisme, corruption déguisée, déni de reconnaissance du travail bien fait et promotion de l’incompétence.

Source : Abbé Faria, Liberté No. 2293 du 09 octobre 2016