Carte de l’Ethiopie et de la région du Tigré | Infog : Le Monde

Le conflit au Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, s’enlise et risque de mener à une famine d’envergure si l’aide humanitaire ne peut être intensifiée de façon significative dans les prochains mois.

Un haut responsable des Nations unies, Mark Lowcock, a prévenu cette semaine dans un rapport obtenu par l’Agence France-Presse que de larges portions de la province demeuraient inaccessibles en raison de combats persistants et de l’obstruction des troupes gouvernementales et érythréennes présentes sur le terrain.

Plusieurs organisations accusent les forces déployées par le premier ministre Abiy Ahmed pour renverser le gouvernement régional du Tigré de vouloir précipiter une crise alimentaire pour punir la population, commettant du même coup un crime de guerre.

M. Lowcock a précisé dans son rapport que près de 90 % des récoltes avaient été perdues en raison de pillages ou d’actes de destruction volontaire et que 80 % du bétail avait été volé ou abattu, ce qui compromet les réserves alimentaires d’une province qui présentait déjà des déficiences dans ce domaine en période de paix.

Des femmes attendent de recevoir des denrées alimentaires de la Société de secours du Tigré, à Agula, le 8 mai dernier | Photo : AP

Il a prévenu que plus de la moitié de la population de six millions d’habitants se trouverait déjà confrontée à un niveau « critique » d’insécurité alimentaire et nécessitait une aide humanitaire, dont l’acheminement a été compliqué récemment par une série d’attaques ayant coûté la vie à une dizaine de travailleurs.

La menace de famine ajoute aux tourments de la population, qui doit aussi composer, sur fond de violence, avec une détérioration marquée des infrastructures sanitaires et scolaires, toujours très perturbées malgré la « victoire » rapide annoncée par Addis Abeba après le début de l’offensive en novembre.

« Détruire l’économie de la région »

À l’issue d’une enquête exhaustive, des chercheurs de la World Peace Foundation ont accusé il y a quelques semaines les troupes gouvernementales de chercher volontairement à « détruire l’économie de la région et le système alimentaire en place ».

« Des preuves circonstancielles suggèrent qu’ils agissent de façon systématique, intentionnelle, à grande échelle », relevait l’organisation, qui évaluait entre 50 et 100 décès la surmortalité quotidienne imputable à la faim et à la maladie.

Martin Plaut, spécialiste de la région rattaché à l’Université de Londres, craint de voir le nombre de morts monter en flèche dans les prochains mois faute de perspectives de résolution politique de la crise.

Les forces tigréennes, qui avaient rapidement cédé le contrôle des grandes villes de la province pour se replier dans les montagnes et adopter une stratégie de guérilla, sont en bonne position pour insuffler des pertes au gouvernement et « rendre la vie des soldats misérable » sans payer un coût trop élevé, selon le chercheur, qui déplore l’impact du conflit sur les civils.

L’administration du président américain Joe Biden a fait monter la pression sur le premier ministre Abiy en annonçant il y a quelques jours l’imposition de sanctions contre les responsables des abus recensés sur le terrain.

Elles demeurent cependant « mineures » et ne semblent pas susceptibles d’infléchir pour l’heure la détermination du dirigeant éthiopien, qui a dénoncé l’initiative de Washington comme une forme d’ingérence inacceptable.

Exactions et viols

Bien que l’accès à la région soit très difficile, des journalistes et des organisations humanitaires ont pu documenter les exactions perpétrées par les troupes gouvernementales et érythréennes, qui se voient aussi accusées de recourir au viol de manière systématique.

Le Daily Telegraph a relevé plus tôt cette année que des centaines de femmes demandaient des contraceptifs d’urgence et des médicaments pour tenter de se protéger contre le VIH après avoir été agressées sexuellement par des soldats. Certaines des personnes interviewées ont affirmé que les militaires disaient vouloir les infecter volontairement pour en arriver à une forme de nettoyage ethnique.

Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées de force et ne peuvent espérer un retour rapide à une vie normale.

Le système scolaire reste profondément perturbé, selon une nouvelle étude de Human Rights Watch, qui s’alarme du fait que des troupes gouvernementales ont utilisé dans plusieurs villes des écoles comme casernes improvisées, les transformant ainsi en cibles militaires potentielles.

Des dizaines d’établissements ont été occupés, parfois pendant des mois, avant d’être pillés et saccagés, relève en entrevue la responsable de l’organisation pour la Corne de l’Afrique, Laetitia Bader, qui a interviewé plusieurs personnes par téléphone et analysé des images satellitaires pour prendre la mesure des dommages.

« Même quand ils le peuvent, les parents sont très réticents à renvoyer leurs enfants à l’école. Plus encore quand ils ont des filles en raison de l’importance des crimes sexuels qui sont rapportés […] Il y a énormément de méfiance et de peur », signale-t-elle.

Source : La Presse