Caric : Donisen Donald / Liberté

Pour ceux qui doutaient encore, la preuve est désormais faite que Faure Gnassingbé ambitionne de mourir au pouvoir. Alors que la CEDEAO propose l’introduction dans son protocole de la limitation à deux du mandat présidentiel, trois chefs d’Etat dont Faure Gnassingbé y apposent leur véto. Une nouvelle opposition à la limitation du mandat présidentiel après celle de 2015.

L’amendement du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et la sécurité ne passera pas. Des pays comme le Togo, la Côte d’Ivoire et le Sénégal de Macky Sall s’y opposent. L’information a été donnée la semaine dernière dans une conférence de presse animée par le Coordonnateur de la plateforme « Avenir Sénégal Bi Nu Begg », Docteur Cheikh Tidiane Dièye.

La rencontre au cours de laquelle cet amendement a été présenté est celle des ministres des Affaires étrangères. Une rencontre préparatoire du Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO prévu pour le 03 juillet prochain à Accra. Selon les informations, le principal changement introduit dans le nouveau texte porte sur la Section 1 relative aux principes de convergence constitutionnelle. Dans le nouvel Article 1 proposé, il est ajouté un alinéa introduisant la limitation des mandats présidentiels dans l’ensemble des pays membres de la CEDEAO. « Les Etats membres adoptent dans leurs Constitutions respectives des dispositions visant à garantir qu’aucun président de la République n’exerce plus de deux (2) mandats ou ne prolonge son mandat pour quelque raison que ce soit ou sous quelque forme que ce soit ». Tel est libellé le nouvel alinéa.

Alors que les autres Etats ont donné leur accord pour introduire cette limitation de mandat, le Togo, le Sénégal et la Côte d’Ivoire de Pépé ADO s’y sont opposés. « Au contraire le Sénégal est, avec le Togo et la Cote d’Ivoire, l’un des trois pays ayant émis une réserve sur l’introduction de la limitation des mandats dans le Protocole de la CEDEAO. Ce qui fait qu’au lieu de faire l’objet d’un consensus ministériel qui pourrait facilement être entériné par le prochain Sommet des Chefs d’Etat prévu le 3 juillet 2022, les dispositions relatives à la limitation des mandats ont été mises entre crochets. Les Actes additionnels étant signés par tous les Chefs d’Etat et le mode de décision privilégié étant le consensus, il est évident que cette réforme majeure n’aura aucune chance de passer tant que ces pays maintiendront leurs réserves », s’est indigné Cheikh Tidiane Dièye.

Sans détour, la grande surprise est le positionnement du Sénégal. Cela met néanmoins la puce à l’oreille des Sénégalais sur les réelles intentions de Macky Sall, soupçonné depuis un moment de vouloir briguer un troisième mandat. D’ailleurs, l’intéressé maintient le suspense et répond de façon évasive chaque fois que la question lui est posée. Un recul dangereux s’annonce donc pour le peuple sénégalais et sa démocratie qui a résisté à bien d’épreuves. Surtout que tout est mis en oeuvre pour écarter le plus sérieux des challengers, Ousmane Sonko.

Du côté de la Côte d’Ivoire, il ne s’agit aucunement d’une surprise. Le vieux a déjà montré à ses compatriotes que malgré le poids des années, il sait apprécier les douceurs de la présidence. Sauf si dame nature en décide autrement, comme en 2005 pour le cas de feu Gnassingbé Eyadéma.

En quittant le monde des vivants, Gnassingbé Eyadéma a donné en héritage aux Togolais un de ses fils, imposé par l’armée et confirmé dans son statut de chef de l’Etat à travers l’assassinat de plus d’un millier de Togolais, selon les rapports des organisations de défense des droits de l’homme. L’Onu a identifié 500 victimes.

Alors qu’on le croyait intronisé pour un temps, Faure Gnassingbé a manœuvré, en complicité avec la CEDEAO pour annihiler les efforts des populations allant dans le sens de l’alternance politique pacifique. Arrivé au pouvoir en 2005, il entame aujourd’hui la deuxième moitié de son 4ème mandat. Avec l’aide de juristes qui l’entourent et de ministres qui ont défendu dans les universités – suivez nos regards – la non retroactivité de la loi constitutionnelle, il a encore droit à un 5ème mandat. Pour paraphraser Alassane Dramane Ouattara (ADO), ce serait son second mandat après la modification constitutionnelle.

En principe, si Faure Gnassingbé réussit à se faire réélire en 2025 – ce qu’il a souvent réussi à faire grâce aux présidents successifs de la CENI –, il est obligé de quitter le pouvoir en 2030, le mandat présidentiel au Togo étant limité à deux. Cette disposition est adoptée par une Assemblée nationale obéissant au doigt et à l’œil de Faure Gnassingbé. Malheureusement, le rejet du Togo de la limitation de mandat proposée dans le protocole de la CEDEAO révèle que le scénario du 31 décembre 2002 peut se reproduire.

Pour rappel, alors que la constitution de 1992 lui interdisait de briguer un troisième mandat, et qu’il était censé quitter le pouvoir en 2003, le père de Faure Gnassingbé fit sauter le verrou de la limitation en décembre 2002, devenant ainsi rééligible après 35 ans de règne.

Si Faure Gnassingbé s’oppose aujourd’hui à l’introduction de la limitation des mandats dans le protocole de la CEDEAO, ce n’est pas parce qu’il a dépassé cette limite, mais plutôt parce qu’il ne songe pas à une vie après la présidence de la République. Il l’a démontré en 2015, heureux ou malheureux hasard, toujours à Accra. A l’époque, la limitation avait été soumise à l’approbation des chefs d’Etat. Il a voté contre, de même que l’ancien dictateur gambien Yayha Jammeh, tombé quelques années plus tard.

Ironie du sort, c’est toujours dans la capitale ghanéenne que fin novembre 2014, Faure Gnassingbé annonce son intention de briguer un troisième mandat. « Il y a un principe qui ne varie pas, celui du respect des dispositions constitutionnelles, de la constitution en vigueur. Naturellement l’opposition ou les partis politiques peuvent avoir une opinion sur telle ou telle chose, mais je crois que ce à quoi nous devons tous tendre, c’est la stabilité surtout le respect des dispositions constitutionnelles. Quant à ma préférence personnelle, vous comprendrez que je puisse réserver la primeur de la nouvelle à mes compatriotes à Lomé et si mon parti me fait confiance. Mais tout ce que je peux vous dire, c’est que la constitution en vigueur sera rigoureusement respectée », avait-il dit au confrère de l’AFP, répondant ainsi aux critiques sur son intention de briguer un troisième mandat.

Pourtant, Faure Gnassingbé qui se révèle une somme de contradictions, défendait la limitation de mandat. « Pour que la démocratie progresse en Afrique, il faut nécessairement que le mandat soit limité à deux ou à trois », avait-il déclaré. Le voilà qui retourne sa veste, rappelant aux yeux du monde que sa promesse n’engage que ceux qui y croient.

G.A.

Source : Liberté / libertetogo.info