Gilbert Bawara, ministre de la fonction publique | Photo: Archives

« Tout ce qui est fait pour moi, mais à mon absence, sans mon avis, pourrait être contre moi », a estimé Trésor Noussoukpoé. Le 24 février 2022, les ministres Gilbet Bawara de la fonction publique, du travail et du dialogue social et Dodzi Kokoroko des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat se sont entendus pour imposer ce qu’ils ont convenu d’appeler un « code de conduite des personnels des établissements scolaires et centres de formation technique et professionnelle publics ». En parfaite violation du bon sens, de la morale et du respect dû au corps enseignant.

Sur quelles bases les deux ministres se sont-ils entendus pour lancer ce « missile », pour prêter l’expression à l’un d’entre eux ? Les enseignants ou leurs représentants syndicaux ont-ils été associés à l’élaboration de l’arrêté interministériel n°001/2022/MFPTDS/MEPSTA rendu public le 24 février 2022 ?

« Les éléments qui y sont contenus dans cet arrêté sont très discutables tant en la forme que dans le fond. Et justement dans le fond, s’agissant d’un code de conduite pris par l’autorité administrative, il aurait fallu à tout le moins consulter les concernés. Le dialogue social est là pour ça. Même si l’autorité administrative peut prendre derechef, un arrêté interministériel, il faut une démarche participative, eu égard surtout au contexte togolais. Maintenant qu’il est pris, le corps enseignant peut initier une contestation s’il le souhaite. Même si on peut penser que cela ne sert à rien, l’histoire retiendra », a objecté un juriste.

Le caractère unilatéral et donc déphasé est si flagrant que même dans le corps de la justice, on apprend que les magistrats et leurs syndicats avaient été consultés par la hiérarchie au moment de l’élaboration du code d’éthique et de déontologie des magistrats, lequel code continue d’être appliqué à ce jour. Si le pouvoir judiciaire a pu faire ce pas qualitatif, pourquoi n’en serait-il pas de même pour des ministres dont le pouvoir ne fait pas force de loi ?

Lorsqu’on finit de parcourir ledit arrêté, des questions taraudent les esprits. Comme par exemple les critères de bonne moralité sur la base desquels l’autorité administrative entend sanctionner la violation, ou la contravention.

Parlant de la protection des enfants, les textes ou instruments internationaux ratifiés par le Togo relatifs aux droits des enfants sont-ils connus des enseignants togolais? Quid d’un texte législatif encadrant le droit des enfants au Togo ? Le juriste estime, s’agissant de ce texte, que « c’est un arrêté pris à la hussarde et c’est dommage que notre pays fonctionne aux pas de charges (arrêtés et décrets tous azimuts) alors même qu’il dispose d’un organe législatif qui aurait pu légiférer à bon droit, si tant est que les institutions sont solides et fonctionnelles au Togo ».

Si ce texte n’est pas un moyen de plus pour réduire l’espace de liberté du corps enseignant, il est alors un « missile » dont l’objectif est de décapiter les droits des enseignants. Ci-dessous l’intégralité dudit arrêté pris à la va-vite.

Godson K.

Arrêté interministériel portant code de conduite des personnels des établissements scolaires et centres de formation technique et professionnelle publics

Vu la loi n°2013-002 du 21 janvier 2013 portant statut général de la fonction publique togolaise ;

Vu la loi n°2021-012 du 18 juin 2021 portant code du travail ;

Vu le décret n°2012-004/PR du 29 février 2012 relatif aux attributions des ministres d’Etat et ministres ;

Vu le décret n°2018-130/PR du 28 août 2018 portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de l’enseignement ;

Vu le décret n°2020-076/PR du 24 janvier 2019 portant nomination du Premier ministre ;

Vu le décret n°2020-080/PR du 1er octobre 2020 portant composition du gouvernement, complété par le décret n°2020-090/PR du 2 novembre 2020 ;

Vu le décret n°2022-022/PR du 23 février 2022 relatif à la représentativité des syndicats professionnels et à l’exercice du droit de grève en République togolaise ;

ARRETENT :

CHAPITRE I : OBJET ET CHAMP D’APPLICATION

Article 1er : Il est institué un code de conduite du personnel enseignant, administratif et d’encadrement des établissements scolaires et centres de formation publics, particulièrement ceux relevant de l’administration publique.

Le présent code régit l’environnement scolaire et les comportements des professionnels du secteur éducatif.

A ce titre, il détermine les principes, les normes et les valeurs requis pour le renforcement de la cohésion sociale, la protection des apprenants, la promotion des valeurs de citoyenneté, de dialogue et de compréhension mutuelle entre les acteurs et parties prenantes de l’éducation.

Article 2 : Le présent code de conduite s’applique à tout personnel enseignant, administratif ou d’encadrement en service dans un établissement scolaire ou dans un centre de formation technique ou professionnelle, particulièrement ceux relevant de l’administration publique.

CHAPITRE II : VALEURS MORALES ET ATTITUDES COMMUNES REQUISES

Article 3 : Les agents d’un établissement scolaire ou d’un centre de formation technique et professionnelle, notamment ceux relevant des statuts de la fonction enseignante, doivent être :

– de bonne moralité ;

– ponctuels et assidus au travail ;

– aimables, attentionnés ;

– accessibles et disponibles.

Article 4 : Tout agent d’un établissement scolaire ou d’un centre de formation technique et professionnelle public, visé par le présent arrêté, a l’obligation de :

– respecter la dignité et l’intégrité physique et morale de l’apprenant ;

– transmettre, partager et faire partager les valeurs républicaines ;

– respecter et faire respecter les droits des enfants contenus dans les instruments juridiques nationaux et internationaux ratifiés par notre pays ;

– privilégier la communication avec l’apprenant et tenir compte de son avis ;

– avoir un langage décent et courtois avec l’apprenant, les collègues, les collaborateurs et la hiérarchie ;

– avoir un comportement exemplaire ;

– faire preuve d’impartialité et d’équité dans le traitement des apprenants ;

– inspirer respect et confiance ;

– veiller à établir une relation de confiance avec chaque apprenant ;

– prendre en compte, en toute circonstance, les besoins de l’apprenant et tenir compte de son intérêt supérieur dans toute décision le concernant ;

– accomplir avec conscience professionnelle, les tâches définies pour son poste ;

– contribuer à la promotion et à la préservation d’un environnement sain et d’un climat de sérénité au sein de l’établissement et tout lieu de travail.

CHAPITRE III- COMPORTEMENTS PROSCRITS Article 5 : sont proscrits :

– toute tenue indécente, à caractère politique, religieux ou relative à une publicité non autorisée en milieu scolaire.

– tout prosélytisme à caractère politique ou religieux, de même que l’expression d’une opinion personnelle syndicale, religieuse ou politique face aux apprenants ;

– l’absence au poste sans autorisation du supérieur hiérarchique ;

– l’exclusion d’un apprenant des cours non conforme aux dispositions prévues dans le règlement intérieur de l’établissement ;

– toute tâche confiée à un apprenant en dehors d’un objectif pédagogique clairement défini par le ministère, a fortiori, inadaptée à son âge ;

– toute forme de discrimination notamment celle basée sur l’ethnie, la religion, la race, la situation sociale, le genre et/ou le handicap de l’apprenant ;

– toute forme de propos à caractère insultant, injurieux, humiliant, discriminatoire ou raciste à l’endroit de l’apprenant, du collaborateur, du collègue ou du supérieur hiérarchique ;

– toute forme de menace sur un apprenant, un collaborateur, un collègue ou un supérieur hiérarchique ;

– toute forme de punition physique, psychologique et humiliante à l’endroit de l’apprenant ;

– l’introduction, la vente et/ou la consommation d’alcool, de tabac ou toute autre substance psychotrope ou substance illicite à l’intérieur et aux abords des établissements scolaires ou centres de formation technique et professionnelle et dans les administrations relevant du ministère des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat.

Article 6 : Sont également interdits :

– les relations sexuelles entre tout agent et les apprenants ;

– toute forme de harcèlement moral et sexuel sur les apprenants ;

– les attouchements physiques ou sexuels sur les apprenants ;

– la divulgation de toute information confidentielle concernant la situation personnelle ou familiale d’un apprenant ;

– l’acceptation ou la sollicitation d’un avantage financier, matériel ou de quelque nature que ce soit, en contrepartie des notes, de la progression scolaire d’un apprenant, ou d’un traitement particulier que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement scolaire ou centre de formation technique et professionnelle ;

– les coups et blessures volontaires sur les apprenants.

CHAPITRE IV- OBLIGATIONS SPECIFIQUES

Article 7 : Tout agent d’un établissement scolaire ou d’un centre de formation technique et professionnelle, relevant notamment de l’administration publique, a l’obligation de s’abstenir :

– d’organiser ou de participer à une manifestation ou réunion à caractère politique dans l’enceinte ou aux abords immédiats d’un établissement scolaire ou centre de formation technique et professionnelle public relevant du ministère des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat ;

– d’entretenir ou d’observer tout mouvement de grève illicite au regard des textes régissant l’exercice du droit de grève en République togolaise ;

– d’utiliser les apprenants comme boucliers pour des revendications à caractère syndical,

– d’inciter les apprenants, par quelque moyen que ce soit, à la désobéissance, à l’incivisme et à la violence, notamment l’atteinte aux emblèmes et armoiries nationales ou à l’autorité de l’Etat ;

– de commettre des actes de violence ou d’inciter, à la violence, à la haine ethnique, à l’intolérance religieuse ou à la rébellion contre les institutions éducatives ;

– d’exercer toute violence physique, verbale ou de tenir des propos injurieux, diffamatoires et calomnieux contre les autorités éducatives.

CHAPITRE V- SANCTIONS

Article 8 : Tout manquement aux dispositions du présent code ou aux obligations légales et réglementaires applicables aux agents des établissements scolaires ou des centres de formation technique et professionnelle, relevant notamment de l’administration publique, expose son auteur à des sanctions disciplinaires prévues par les lois et les textes réglementaires en vigueur.

Article 9 : Sans préjudice des sanctions énoncées à l’article précédent, tout manquement aux dispositions du présent code de conduite ou aux obligations applicables au corps des fonctionnaires de l’enseignement ainsi qu’aux agents publics assimilés, est passible de mesures administratives conservatoires ci-après :

– la mise sous ordre lorsqu’il s’agit d’un chef d’établissement ;

– la suspension du corps des fonctionnaires de l’enseignement pour une durée ne pouvant excéder quatre (4) ans ;

– l’exclusion du corps des fonctionnaires de l’enseignement avec perte des avantages qui s’y attachent.

Toute mesure administrative conservatoire doit respecter les droits de la défense, notamment la présomption d’innocence et le principe du contradictoire.

Article 10 : Lorsque les faits sont constitutifs d’une infraction pénale, l’auteur est passible de poursuites judiciaires. Dans ce cas, le ministère des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat, se réserve le droit de se constituer partie civile.

CHAPITRE VI- DISPOSITIONS FINALES

Article 11 : A compter de l’adoption du présent arrêté, tout agent relevant du cadre des fonctionnaires de l’enseignement s’engage, par écrit, à respecter les dispositions du présent code de conduite.

Article 12: Le présent arrêté, qui prend effet pour compter de sa date de signature, sera publié au Journal Officiel de la République togolaise.