Photo : DR/Fraternité

En janvier dernier, la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yawa Tségan lançait en grande pompe les travaux de reconstruction du Grand marché de Lomé. Une cérémonie qui intervient seulement six ans après le drame qui a mis à terre nombre de ses femmes battantes de renom. Aujourd’hui, les travaux prévus pour durer 18 mois sont quasiment au point mort.

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 2013, le Grand marché de Lomé a été frappé par un incendie qualifié de « criminel» par les autorités togolaises. Après des années de supplications des commerçants, le gouvernement s’est décidé à reconstruire le marché. D’un montant total de 11.489.994.484 FCFA, le projet vise à redonner un cadre propice aux activités commerciales en vue de la relance de l’économie et de l’amélioration des conditions de vie des commerçantes et commerçants. La réalisation consiste à l’installation de chantier, aux terrassements, aux grosses œuvres (fondation, maçonnerie et bétons), à la voirie et réseaux sous ouvrages et étanchéité. D’autres réalisations sont, entre autres, la téléphonie, la plomberie, la climatisation, l’ascenseur et le réseau incendie. Ce bâtiment sera constitué de 175 boutiques, 107 grossistes, 894 kiosques et 105 étals répartis depuis le rez-de-chaussée jusqu’au 4ème étage. Six mois après, le chantier ne décolle pas.

Le chantier n’avance pas…

Lors du lancement des travaux, en réaction aux 18 mois annoncés par les autorités, la présidente des commerçantes du Grand marché d’Adawlato, Rose Créppy, avait déclaré qu’elles (les commerçantes ndlr) leurs accordent six mois supplémentaires soit 24 mois. Avec un retard de 6 mois, visiblement, à moins d’un miracle, l’inauguration ne sera pas faite dans les 18 prochains mois, connaissant très bien les habitudes du pouvoir en la matière.

Il suffit de se promener le long du chantier- désormais gardé par des agents de sécurité – pour le constater. Là où, il y a encore quelques mois, d’immenses grues déplaçaient frénétiquement les dernières pierres du mur du bâtiment principal incendié, l’activité a presque disparue.

Aujourd’hui, même les fondations ne sont pas posées. Les herbes ont commencé même par pousser sur l’espace vide. Pendant ce temps, les restrictions sont imposées aux alentours du site. Des mesures jugées excessives par les commerçantes. « Depuis six mois, le chantier n’avance pas. Les gens sont venus ici faire de grands discours. Mais rien de concret. Nous sommes inquiets », affirme l’une des victimes des incendies de 2013.

Considéré comme l’un des plus gros chantiers du pays, la reconstruction du grand marché n’a en fait jamais commencé. Aucun ballet d’engins dans les environs comme souvent le cas sur les chantiers d’une telle ampleur. Des commerçants se plaignent d’être dans le flou le plus total depuis plus de six mois. Aucune information sur le démarrage du chantier. « On nous laisse à l’abandon, c’est inacceptable ! Moi, je suis là depuis plus de 15 ans », s’énerve Akoss, revendeuse de pagne.

Le signe du mépris envers les « Nana Benz »…

Le grand marché de Lomé, l’un des grands de la sous-région, et probablement le plus connu pour ses « Nana Benz », ces grandes femmes d’affaires qui par leurs succès constituent l’autre poumon économique du pays précédent le Port autonome de Lomé. Ces femmes d’affaires ont construit, dans les années 1970 et 1980, un empire du textile qui s’étend sur toute l’Afrique de l’Ouest, a indiqué le ministre des Infrastructures et des Transports, Zouréhatou Kassah-Traoré.

Bras financier des mouvements indépendantistes dans les années 60, la majorité de ces femmes restent aujourd’hui un soutien de poids pour l’opposition dont la plupart des partis politiques ont tiré leurs souffles. Un engagement qui n’est pas bien vue par le régime togolais.

Ainsi depuis des années, il cherche par tous les moyens à réduire leur l’influence dans la vie politique. En effet, sous Eyadéma, les Nana Benz ont essuyé plusieurs coups visant à faire chuter leurs revenus. Malgré tout, elles sont restées un soutien aux partis de l’opposition en quête de l’alternance. Selon une source bien introduite, « l’incendie du grand marché ferait partie d’un vaste plan dont l’objectif reste l’anéantissement de ces femmes » dont certaines au-delà de la vente de pagne ont investi dans d’autres domaines tels que l’immobilier.

On comprend alors mieux pourquoi l’enquête ouverte par les autorités togolaises n’a pas réussi, sept ans après, à éclaircir avec certitude les circonstances du déclenchement des incendies ni à cerner des responsabilités. Pourtant, les autorités étaient certaines de « l’origine criminelle » de l’incendie, notamment en raison de l’usage de kérosène comme accélérateur. Mais les auteurs et les commanditaires des incendies restent toujours à déterminer.

Aujourd’hui que les travaux de la reconstruction sont au point mort, les observateurs avisés qui ont vu dans la pause de la première pierre, une manière pour le régime togolais de calmer les ardeurs des quelques 10.000 femmes du marché qui s’impatientent à l’idée de relancer leurs activités dans les nouveaux locaux, à l’approche de l’élection présidentielle, semblent avoir fait une bonne lecture. Surtout que les autorités ne peuvent plus brandir l’argument selon lequel les fonds ne sont pas disponibles. Puisque selon le confrère latribune.fr, avec le lancement du projet d’appui à la reconstruction des marchés et aux commerçants de Lomé et de Kara (PARMCO) en 2014, le Togo avait bénéficié d’un prêt et don de la Banque africaine de développement (BAD) de plus de 10 milliards de FCFA.

A cette allure, il est évident que la reconstruction du grand marché n’est pas pour demain. L’euphorie suscité par le lancement des travaux laisse désormais place à la colère. Une douleur de plus pour ces femmes qui ont pratiquement tout perdu en une nuit.

Source : Fraternité [ fraternitenews.info ]