Le ministre de la Justice Prius Agbétomey (g) et le président de la Cour suprême Abdoulaye Yaya | Infog : 27avril.com

Bon an mal an, le corps des magistrats s’achemine vers un vaste mouvement d’affectation. Et on veut croire que non seulement les juges ayant trop duré au même poste iront voir ailleurs, mais que la problématique du magistrat soumis à des pressions diverses et multiformes sera abordée pour y trouver un remède capable de bouter hors de la magistrature cet autre virus non moins préjudiciable à l’indépendance du juge, tant du siège que du parquet.

Abdoulaye Yaya, le nouveau président de la Cour suprême tient-il vraiment à insuffler une nouvelle dynamique à la magistrature togolaise ? Dans l’affirmative, il devra crever un autre abcès qui ronge insidieusement le corps des magistrats.

Pendant longtemps, l’attention s’est toujours focalisée sur les immixtions de membres du gouvernement ou des hauts gradés de l’armée dans les influences que « subissent » certains magistrats. Une situation qui a depuis étalé au grand jour l’indépendance factice du juge, surtout celui du siège. Mais un autre mal ronge des juges : les pressions extérieures de leurs hiérarchies qui leur font dévier le cours du fleuve du droit vers des lacs nauséeux.

Combien sont-ils à résister aux pressions insidieuses de leurs hiérarchies au moment de rendre leurs décisions ? La crainte d’une affectation non pas punitive, mais de « représailles » plane sur la tête de bien de juges. Si le nouveau président de la Cour suprême pouvait garantir l’immunité aux juges et écouter chaque magistrat dans l’exercice de ses fonctions, il serait ébahi par l’ampleur des intrusions des hiérarchies qui ont feu de tout bois dans des dossiers dont ils ne sont pas partie.

A la Cour Constitutionnelle, il est arrivé à maintes reprises que la hiérarchie s’immisce dans des dossiers de tribunaux, pour peu qu’une ou l’autre partie dans un procès fasse « le geste qui sauve ». Plutôt qui corrompt ! Parfois, il est arrivé que les « gestes » viennent des deux parties.Et la hiérarchie, telle une girouette, en vient à dire une chose et son contraire au juge en charge du dossier, mettant celui-ci dans une confusion. Mais quand des fuites de dessous de table éclatent, c’est le juge en charge du dossier qui devient le fusible qu’on saute. Alors que ce dernier a tranché selon la volonté de la hiérarchie, et en toute ignorance des enveloppes qui ont été échangées loin de ses regards.

A la Cour suprême, il est arrivé et c’est fréquent- que la hiérarchie récupère des dossiers dont il n’est pas en charge auprès d’autres collaborateurs pour tordre le cou à ce qui devrait être dit selon le droit. Ou bien qu’elle fasse comme dit plus haut : influer le cours d’un jugement dans un tribunal. Évidemment contre intéressements. Le juge se trouve alors « guidé » par l’intrusion subtile de cette hiérarchie dans le dossier. Au plus grand malheur de la partie que le droit devrait donner gagnante au procès.

Ethique et déontologie. Voilà des termes dont on a souvent rebattu les oreilles des magistrats chaque fois que se présente l’occasion. Mais quid de l’indépendance du magistrat vis à vis de ses hiérarchies ?

Il est écrit dans le statut du magistrat, article 5 : « Les magistrats du ministère public sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ils sont tenus par les instructions données par l’autorité hiérarchique pour le dépôt de leurs réquisitions écrites… ». A ce stade, où se situe encore l’indépendance du magistrat du parquet ?

Plus flagrant est l’article 4 qui définit le degré d’indépendance du magistrat du siège. « Les magistrats du siège, dans l’exercice de leurs fonctions, juridictionnelles ne peuvent recevoir des instructions hiérarchiques. Ils rendent leurs décisions conformément à la loi et à leur conscience ». Et pour protéger ceux-ci, l’article 3 précise : « Le magistrat du siège est inamovible. En conséquence, il ne peut recevoir une affectation nouvelle, même en avancement, sans son consentement préalable ». Mais à quoi assiste-t-on et qui relègue l’article 3 au stade de la figuration ? Des pressions de toutes parts, venant des hiérarchies. Et pour peu que le juge du siège veuille dire le droit et rien que le droit, sans considération des coups de fil reçus pour se prononcer en faveur d’une partie au procès pour laquelle la hiérarchie est favorable, il est affecté. Ou alors, on commence à chercher à déterminer le sexe des anges pour le punir de son « outrecuidance de n’avoir pas obtempéré » aux injonctions ou desiderata de sa hiérarchie. Le président de la Cour suprême est-il au courant de ces pratiques nuisibles à l’indépendance du corps ?

Au-delà des affectations qui sont en téléchargement et pourraient voir le jour cette semaine ou celle à venir au plus tard, il demeure la problématique de la rigueur du magistrat envers ses hiérarchies.

L’inspection générale n’est pas exempte du mal qui ronge le corps. Le nouveau président devrait initier un nouveau principe au sein de la magistrature, la résistance aux pressions venues d’échelons supérieurs

La crainte d’une « affectation sanction » pour n’avoir pas accédé au désir de la hiérarchie, ou le désir de figurer dans les bonnes grâces de cette hiérarchie à l’heure des affectations plombent le droit de dire le droit.

Dans quelques jours –à moins d’un cataclysme nucléaire-, un vaste mouvement doit se produire au sein de la magistrature. Des juges trop longtemps rivés à leur poste devront aller voir ailleurs et libérer certains dossiers frappés du sceau du « secret défense ». Mais ce serait une œuvre de vaine haleine si, à côté de ces déplacements, instructions ne sont pas données aux magistrats et à leurs hiérarchies. Aux premiers, l’instruction de ne pas fléchir, mieux, de dénoncer les intrusions de leurs supérieurs. Et aux hiérarchies, de lâcher les baskets aux premiers afin qu’ils –parlant des juges d’instructions- « rendent leurs décisions conformément à la loi et à leur conscience ». Abdoulaye Yaya se doit de sonner la fin des supérieurs bourreaux.

Godson K.

Source : Liberté N°3491 du lundi 11 Octobre 2021