Le Secrétaire Général du MOLTRA Komla Kpogli sur la tyrannie des Gnassingbé au Togo
Le Secrétaire Général du MOLTRA, Komla Kpogli | Photo : DR

La 67ème session ordinaire du Comité de l’ONU contre la torture a lieu du 22 juillet au 9 août 2019 dans les locaux de l’ONU à Genève. Le Togo, signataire depuis le 18 novembre 1987 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants entrée en vigueur le 26 juin 1987, est appelé, selon l’article 19 de ladite convention, à présenter tous les quatre ans un rapport sur l’ensemble des mesures d’ordre législatif, réglementaire et pratiques prises pour traduire dans les faits sa mise en œuvre.

Depuis la ratification du Togo, le pays n’est à la présentation que de son troisième rapport. Puisque entre la ratification togolaise et la présentation du premier rapport en 2004, il s’est écoulé 17 ans. Le deuxième rapport date de 2012 et le troisième de 2018. Cette régularité témoigne qu’il se passe des choses au Togo. Et, les Nations Unies ainsi que toutes les autres institutions internationales sont parfaitement au courant de la nature du régime qui régente le pays depuis 1963. Les représentants de la tyrannie héréditaire au Togo (voir la liste de la délégation conduite par Eninam Trimua) s’étaient donc présentés à Genève pour défendre leur rapport et répondre aux questions des rapporteurs qui l’ont examiné depuis son dépôt le 11 avril 2018.

Confrontés aux questions sur les mesures concrètes prises pour lutter contre la torture, la délégation, à commencer par son chef, a versé dans l’énumération des textes juridiques parfois inexistants comme un fameux avant-projet de code de procédure pénal et disant que le gouvernement dispense des séminaires et autres ateliers de formation à l’endroit des forces de l’ordre et des magistrats.

Sur la question des violences récentes dans le pays ayant entraîné plusieurs morts, la délégation nie presque tout et n’a reconnu que le cas des manifestants qui ont « attaqué les forces de l’ordre tuant au passage des agents, détruisant des commissariats et emportant des armes et des munitions». Quant aux assassinés parmi la population, le Chef d’escadron Kpatchaa MELEOU, conseiller juridique du ministre de la sécurité et de la protection civile, dans un texte lu comme une « motion de soutien », affirme : « ces morts ont été occasionnés par des chevrotines, des billes tirées par des fusils de chasse dans un pays où des populations peuvent être autorisées à détenir ces armes. Les enquêtes ouvertes avancent difficilement car aucun suspect n’a été identifié formellement. A cela s’ajoute la circulation des armes réelles au sein des manifestants ne sachant pas forcément le maniement desdites armes qu’ils ont toutefois arrachées aux forces de l’ordre. » (voir la vidéo sur notre chaine Youtube du MOLTRA sous le titre : Togo, voyage au pays de la torture et des menteurs à Genève.)

Genève, siège de l’ONU et de presque toutes les grandes institutions dont se servent les puissances dominatrices pour niveler la planète à la hauteur de leurs intérêts économiques en jouant sur les leviers des normes juridiques, politiques, idéologiques auxquelles elles ont attribué le qualificatif d’international, joue un très grand rôle sur l’échiquier mondial. La Suisse, située au cœur de l’Europe et se targuant de sa neutralité, laquelle signifie en réalité sa capacité à être dans tous les deals mafieux, offre à la Genève Internationale un carrefour où les intrigues et les complots politico-économiques et affairistes les plus sordides se nouent et se dénouent. La Banque y joue un rôle capital. Genève et quelques autres villes suisses sont connues pour être des paradis fiscaux les plus agréables pour l’argent volé et pillé par les pires tyrans placés au pouvoir en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Voilà pourquoi tous les pays du monde sont représentés à Genève où chaque représentation diplomatique travaille à consolider le régime de son pays d’origine. Ce cadre offre donc à des dirigeants obscurs comme ceux du Togo le champ parfait où la culture du mensonge qui est leur trait principal peut prospérer. L’ambassade du Togo, dirigée par Yackoley Johnson, dans un tel environnement est à son aise et y joue trois rôles fondamentaux pour le régime qu’elle représente.

D’abord, elle est la structure de contact de la tyrannie des Gnassingbé auprès des Nations Unies et de toutes instances décisionnaires sur tous les plans siégeant en Suisse. Cette ambassade alimente toutes ces institutions en informations. Disons plutôt en intoxications, en inversant le rôle des acteurs politico-civiles et associatifs au Togo. Il s’agit de présenter la tyrannie des Gnassingbé comme la parfaite incarnation d’un gouvernement représentatif, mandaté par le peuple togolais qui « vote librement » pour lui tous les cinq ans alors que les opposants seraient des mauvais perdants, avides de sang du peuple dont ils s’abreuvent en fomentant des troubles dans le pays à chaque fois qu’ils perdent de la plus transparente des manières une élection. L’ambassadeur du Togo et ses services adressent dans ce sens des notes, véritables tissus épais de mensonges, aux différentes instances. Ils font des rencontres bilatérales bien arrosées et bien garnies avec des consœurs et confrères ambassadeurs d’autres pays à qui ils « expliquent » la situation dans notre pays. L’ambassadeur prend la parole dans ces différentes instances où il est tenu de faire du lobbying en faveur de son mentor à Lomé. L’efficacité de cette activité se vérifie à l’aune du traitement que l’ONU a réservé à un rapport qu’elle a commandité elle-même sur le Togo. Dans ce rapport publié le 29 août 2005, la mission d’enquête de l’ONU conduite par le sénégalais Doudou Diène (envoyé spécial de l’ONU au Togo) a conclu que le RPT et ses hommes de main ont tué entre 400 et 500 togolaises et togolais pour imposer Faure Gnassingbé au trône en février 2005 après la mort naturelle de son feu père qui a régenté le Togo depuis 1967. Dans ce rapport, la mission de l’Onu note avec précision « l’ampleur des disparitions, l’utilisation à grande échelle de la torture et des traitements inhumains et dégradants, les destructions systématiques et organisées des biens et des propriétés. » « La responsabilité principale de la violence politique et des violations des droits de l’Homme incombe à l’ensemble de l’appareil répressif et sécuritaire de l’État (police, gendarmerie, forces armées tous corps confondus) qui ont agi en coordination avec des partisans organisés du pouvoir politique qui leur garantit une impunité totale », écrivait la mission Doudou Diène qui ajoute: « La mission a reçu des informations concordantes permettant de confirmer l’existence d’une réelle stratégie de répression dans laquelle les forces de l’ordre ont souvent fait un usage excessif de leurs armes. Ainsi, 2.500 soldats habillés en civil et armés de coupes-coupes, machettes et gourdins cloutés avaient prêté main forte aux militants du parti au pouvoir pour réprimer les manifestations de l’opposition. » Voilà ce qu’avait écrit en 2005 une mission officielle de l’ONU sur le régime au Togo. Toutefois et sans aucune surprise pour un observateur averti de la scène internationale, l’ONU n’a poursuivi personne. Pas de mandats d’arrêt contre qui que ce soit. Pas de sanction non plus contre le pouvoir criminel togolais installé et alimenté par la France et ses amis. Le lobbying des services diplomatiques togolais auprès de l’ONU et des diverses instances pouvant imposer des sanctions a donc payé sur ce dossier.

Ensuite, l’ambassade du Togo à Genève fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter la constitution d’une « Diaspora » togolaise structurée et forte à Genève, capable d’organiser un véritable travail d’opposition patriotique à l’encontre des intérêts qu’elle représente. Dans cette logique, la représentation diplomatique togolaise, disons plutôt de Gnassingbé, recrute des hommes de main dans la communauté togolaise résidant en Suisse qu’elle infiltre très facilement pour y discréditer toutes les idées de lutte organisée par le biais d’une « Diaspora organisée ». Elle installe au sein de la communauté une dépolitisation des esprits ; ce qui en réalité est un désarmement mental. Ainsi, nombre de nos compatriotes à Genève s’inscrivent massivement dans des manifestations festives et ludiques (anniversaires, baptêmes, grillades de viande au bord du Lac en été, matchs de football avec des casiers de bières et des cartons de champagne aux vestiaires…) alors qu’ils rejettent radicalement d’aller aux séances de formation et d’information où il est question de débattre du Togo et de son avenir. Le discours classique pour justifier ce comportement se résume en ceci : « je ne fais pas de politique. Ça ne sert à rien » ou « je ne suis pas dans ces histoires d’opposants ou de lutte » ou encore « vos histoires de mobilisation populaire ne me regardent pas. Je n’ai pas du temps pour ça ». Toutes les tentatives pour mobiliser à Genève, ville stratégique de première importance pour notre combat, se trouvent ainsi paralysées et détruites. Les services de l’ambassade du Togo y sont pour beaucoup dans ce travail de sape et de minage méthodique. Par ailleurs, ils facilitent l’obtention d’accréditations et de possibilités d’obtenir des financements auprès des Nations unies et des organisations appelées « bailleurs de fonds » à certaines associations créées par quelques togolais résidant en Suisse qui ont compris que l’argent, même s’il ne fait pas le bonheur, permet d’acquérir les instruments pouvant conduire au bonheur. De ce point de vue, l’argent n’a pas d’odeur, selon ces compatriotes.

Enfin, l’ambassadeur et ses services jouent un troisième rôle. Celui de promoteur des initiatives de la tyrannie qu’elle représente à Genève pour semer le trouble dans la communauté. En déployant des artifices comme le Haut Conseil des Togolais de l’Extérieur (HCTE), les cerveaux rusés du régime fournissent aux ambassades et services consulaires un outil supplémentaire en vue de détourner l’attention des togolaises et togolais de l’extérieur de leurs vraies responsabilités, d’instaurer la confusion en leur sein et surtout d’attirer les carriéristes et les opportunistes qui peuplent la « Diaspora ». Les uns naïvement, d’autres par calcul, mordent à cet appât faisandé pour « ne pas laisser d’autres personnes s’en accaparer », disent-ils. L’ambassadeur du Togo à Genève, Yackoley Johnson, a, pour maximiser la prise, envoyé des membres de son staff et d’autres coursiers à sa solde au sein des associations et des familles de togolais en Suisse en vue de sonder le terrain et draguer les uns et les autres et ramener les proies saisies dans la barque du RPT qui, soit dit en passant, se dit UNIR. Pour accomplir ces tâches de haute importance, l’ambassade du Togo qui est la plus puissante de toutes les représentations diplomatiques de Gnassingbé bénéficie des moyens colossaux. De 453 millions de fcfa en 2013, son budget officiel est passé à 1,600 milliards fcfa en 2019, dont 1’000’775’000 fcfa en dépenses de personnel. Ce qui veut tout dire. L’ambassade de Gnassingbé à Paris, deuxième représentation diplomatique la plus puissante suit avec un budget de 1,075 milliards fcfa.

Les ambassades de Genève et de Paris jouant les mêmes rôles, avec un fort accent mis sur les initiatives de sabotage de la mise en place d’une « Diaspora » organisée, disciplinée et pouvant être la force décisive qui manque jusqu’ici au peuple togolais face à la tyrannie héréditaire qui l’étouffe depuis 1963. Car, nous sommes de ceux qui pensent que la force décisive qui manque au peuple togolais dans son combat ne se trouve pas dans les salons de l’Elysée, ni de l’Onu, ni de la CEDEAO…mais entre les mains des togolaises et togolais de l’extérieur qui prennent leurs responsabilités en s’organisant autour des idées novatrices pour se structurer et mobiliser des moyens appropriés en direction des populations en lutte sur le terrain. La question du poids financier par le truchement des transferts de fonds est tout à fait secondaire de ce point vue. Il s’agit de transformer notre expérience douloureuse collective d’appartenir à un peuple africain défait et humilié au quotidien en une arme stratégique. Conscient de cette menace, le régime met les moyens depuis le début des années 1990 pour créer et alimenter des conflits à l’intérieur des communautés togolaises à l’étranger aux fins d’y empêcher la naissance d’une force cohérente et disciplinée. Il revient aux togolaises et togolais de l’étranger, à commencer par la Suisse et Genève particulièrement de saisir les enjeux et les responsabilités qui sont les nôtres au moment même où le mouvement populaire est en quête d’un second souffle sur le terrain. Il nous faut absolument dépasser les contingences pour montrer au régime RPT et à ses alliés locaux et internationaux que nous sommes capables de faire preuve d’élévation d’esprit et d’intelligence au nom de l’Amour que nous portons pour notre pays et pour notre peuple en souffrance.

Nous sommes dans l’impérieuse nécessité d’identifier les idées claires et novatrices qui font corps avec le fait incontournable que notre lutte est une lutte de libération et doit donc être menée en tant que telle. Voilà pourquoi, ce fait nous impose un changement d’attitude. Aussi bien à l’intérieur du Togo qu’à l’extérieur. Nous ne pouvons pas continuer à faire la même chose tout en espérant en obtenir un résultat différent.

L’histoire regorge à foison d’exemples de peuples humiliés, dominés et écrasés durant des années et des années par un satrape que protègent une armée et une Cour qui, parvenues à une arrogante certitude, s’estiment invincibles. Aucun peuple n’a fait ce que globalement nous autres africains et plus particulièrement, nous, togolais, faisons et continuons à vouloir faire. La lecture de l’histoire nous enseigne que quelques personnes lucides et foncièrement patriotes de ces peuples dominés, en interconnexion de l’extérieur et de l’intérieur, ont analysé les raisons, sans complaisance aucune, qui ont fait la faiblesse populaire et la force faussement invincible du dictateur accompagné de ses alliés locaux et internationaux. À la suite de ce diagnostic sans complaisance, un leadership s’est dégagé avec une discipline rigoureuse autour d’un plan d’action éclairé par l’ensemble du parcours du peuple ainsi écrasé. Ensuite, le cap est mis sur l’organisation et la structuration du peuple pour lui redonner de la puissance en vue d’équilibrer ainsi le rapport de forces pour, en définitive, les faire basculer sur le terrain en faveur du mouvement populaire. Cela demande la reconnaissance et la sollicitation ou du moins l’écoute des gens qui portent ces idées et non leur exclusion continue et leur mise à l’écart avec finesse. Aucune étape de ce plan stratégique ne doit être sautée. Sinon, c’est l’échec assuré. On le voit très clairement depuis 30 ans maintenant. Et si, de l’extérieur, nous ne sommes pas capables de nous livrer à cet exercice de discipline, de méthode et de construction, alors le RPT et ses soutiens ont encore de beaux jours devant eux. Les togolaises et togolais à l’étranger ne doivent jamais permettre cela.

Voici la délégation officielle de choc que conduit Eninam Trimua alias Christian à Genève pour présenter le Togo comme un Paradis sur Terre

  • Christian Eninam TRIMUA, Ministre des droits de l’homme et des relations avec les institutions de la République, chef de délégation ;
  • Yackoley Kokou JOHNSON, Ambassadeur, Représentant permanent du Togo auprès de l’office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève ;
  • Koffi TSOLENYANU, Notaire, Député à l’assemblée nationale togolaise, président de la commission des droits de l’homme de l’Assemblée nationale;
  • Komlan A. NARTEH-MESSAN, directeur de cabinet du ministre des droits de l’homme et des relations avec les institutions de la République ;
  • Madame Sahadatou ABIRANGAO, Attachée de cabinet du ministre des droits de l’homme et des relations avec les institutions de la République;
  • Chef d’escadron Kpatchaa MELEOU, conseiller juridique du ministre de la sécurité et de la protection civile ;
  • Madame Marceline Solange T. MENSAH-PIERUCCI, directrice générale de la consolidation de la démocratie au ministère des droits de l’homme et des relations avec les institutions de la République;
  • Akibou IDRISSOU, directeur de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion au ministère de la justice;
  • Medecin-Commandant Tchilalo MOUZOU, représentant le ministère de la défense et des anciens combattants ;
  • Madame Bénédicte Koudjoukalo GNANSA, directrice de l’assistance à l’enfant en difficulté au ministère de l’action sociale, de la promotion de la femme et de l’alphabétisation ;
  • Agbessi Togbé ALANGUE, Premier Secrétaire à la Mission permanente du Togo auprès de l’Office des Nations Unies ;
  • Madame Amavi GBEGBE, Premier Secrétaire à la Mission permanente du Togo auprès de l’Office des Nations Unies.

NB: Les affairistes, les journalistes et les dirigeants d’ONG et d’associations de droits humains qui accompagnent la délégation officielle ne sont pas dans cette liste.

3 août 2019

Komla Kpogli
Secrétaire Général du MOLTRA

* Texte publié dans le journal L’Alternative N°819 du 09 août 2019 sous le titre: les analyses du Moltra sur le passage du Togo devant le comité de l’ONU contre la torture