Illustration : Freepic

Le sens de responsabilité est comme inné chez l’homme. Celui qui a eu l’occasion d’observer l’évolution d’un enfant le sait. Lorsqu’il décroche du sein exclusif, l’enfant adore se faire donner à manger. La cuillerée de bouillie qu’il reçoit est pour lui comme une nourriture et une caresse à la fois. Puis vient la période où il préfère se donner à manger lui-même. Malgré les maladresses du début, il veut se prendre en charge. C’est le processus d’acquisition du sens de responsabilité qui est ainsi enclenché. Plus tard ce sont les habits à porter qu’il voudra choisir lui-même, puis les habits à acheter.

Ce processus est commun à tous les enfants du monde. Son aboutissement est l’installation du sens de responsabilité chez l’adulte. C’est en faisant fonctionner ce sens de responsabilité que l’adulte participe à l’évolution de son peuple, de sa communauté vers le meilleur désiré. Si une communauté ne parvient pas à s’épanouir alors que dans les mêmes conditions ou même dans des conditions moins favorables d’autres communautés s’en sortent, n’est-ce pas parce qu’en partie ses adultes auraient renoncé à leur sens de responsabilité ?

L’Afrique noire contemporaine compte les pays les plus pauvres du monde. Certes, il y a eu la ponction de l’esclavage et les ravages économiques de la colonisation. Mais elle n’a pas été le seul peuple à avoir été dépeuplé par une catastrophe ni le seul territoire à avoir été occupé et exploité par d’autres hommes. L’Asie du sud-est a connu les mêmes situations. Il faut aller plus loin dans la recherche de la léthargie africaine.

A l’école, le langage que tiennent les élèves face à leurs notes de devoir est instructif. Quand un élève a une bonne note, il dit « j’ai eu 15/20 ». Mais quand il a une mauvaise note, il dit « il m’a donné 7/20 ». « Il », c’est le professeur. De l’élève qui a toujours de bonnes notes, quand elles ne peuvent lui prêter des relations suspectes avec les professeurs, les mauvaises langues disent : « oh, lui, son père l’a lavé », pour dire qu’il n’est bon élève que parce qu’il travaille avec une aide mystique. Donc la mauvaise note c’est la faute au professeur, tandis que la bonne note c’est l’œuvre d’un fétiche. Leçon à tirer : l’élève normal ne peut réussir qu’en trichant.

De l’école, allons au village, où Kodjo, le grand producteur d’ignames a une plaie inguérissable au pied. On dit que l’auteur de cette plaie est un sorcier. L’infirmier lui a beau diagnostiquer un diabète et conseiller de modérer sa consommation d’alcool. Rien n’y fait, c’est le sorcier qui lui inoculé ce diabète, pas son excès d’alcool. Hier, aux funérailles de Kanga, les porteurs du corps allaient d’une case à l’autre. Il semble qu’ils voulaient permettre au corps du défunt d’identifier le sorcier qui a causé sa mort. C’est connu en Afrique, au village personne ne tombe malade par sa propre faute. Personne ne meurt sans l’intervention d’une tierce personne.

Du village faisons un tour en ville. Jacques est infirmier dans un centre sanitaire de quartier. Il est chrétien pratiquant. Il ne manque aucun culte de dimanche. Il parle moins de sorcier et plus de Satan. Selon lui, il y a des maladies que l’hôpital ne peut soigner. Tu as beau faire des analyses, tu ne trouveras rien, dit-il. C’est Satan qui est là et seule la prière peut l’en chasser. Abib, quant à lui, est commerçant. Il a plusieurs kiosques de papeterie et de consommables informatiques répartis dans la ville. Les vendredis, à la mosquée, il ne manque jamais d’introduire son billet de 500 f dans la fente de la caisse de quête baladée entre les rangs. Il est très porté sur la politique. Il pense que les journaux critiquent trop le Président de la république. Vote ou pas vote, si Dieu veut qu’il soit là, il sera là, dit-il. C’est Dieu qui décide tout, ajoute-t-il. Chrétiens ou musulmans les despotes aiment entendre ce langage et parfois le reprennent eux-mêmes quand ils ne sont plus crédibles. En ville donc, le sorcier du village a été remplacé par un Satan urbain, le temple du fétiche a été remplacé par le temple du Christ. Quant au Dieu Tout-puissant, il s’est emparé de la totalité de la responsabilité de l’homme. Si tu es infirmier, c’est Dieu qui l’a voulu, si tu est Président c’est Dieu qui l’a voulu, si tu es pauvre c’est encore la volonté divine.

Voilà l’homme africain qui attend tout du Fétiche ou accuse le Sorcier, qui attend tout de Dieu ou accuse Satan. Un homme sans volonté, sans responsabilité. Un tel homme-légume pourra-t-il jamais se développer? Il ne perd pas en tout. Lui qui n’a jamais été responsable de rien, au jugement dernier, Dieu ne trouvera aucune raison de le juger avant de l’envoyer au paradis.

Zakari Tchagbalé

Zakari Tchagnalé