Jean-Paul Oumolou | Photo : DR

« je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme » Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme)

Les autorités togolaises ont procédé le jeudi 4 novembre 2021 au kidnapping de l’activiste togolais résident en Suisse Jean-Paul Oumolou de « passage » à Lomé. La nouvelle s’est répandue telle une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Elle a suscité l’indignation au-delà de la blogosphère pour devenir un enjeu de la lutte panafricaine de libération du continent noir. Les voix les plus imminentes se sont élevées contre cette énième violation manifeste des droits de l’homme et du citoyen au Togo.
L’information est crédibilisée par le président élu du Togo M. Agbéyomé Kodjo dans une allocution solennelle exigeant la libération immédiate et inconditionnelle d’un des membres de son exécutif de combat en exil.

Au-delà de l’émotion d’un peuple humilié par ceux qui s’arrogent le droit « divin » de le conduire malgré lui et contre lui, le kidnapping de M. Oumolou suscite plusieurs interrogations. Pourquoi M. Oumolou est dans les mains de la gendarmerie togolaise sans aucune communication officielle ? Est-ce un cas de flagrance ? Est-il arrêté dans le cadre d’une procédure en cours ? Il est urgent que l’opinion soit située. Le silence prolongé des autorités de fait du Togo crédibilise la thèse de l’enlèvement crapuleux. Il faut y mettre fin et établir les responsabilités dans ce qui apparaît comme un abus de pouvoir, une détention arbitraire et une violation flagrante des droits de l’homme en l’occurrence la liberté d’opinion, le droit d’aller et de venir ainsi que le droit d’établissement.
M. Oumolou est résident suisse dans le cadre de son droit d’asile au titre de réfugié politique. Jean-Paul Oumolou ne devient pas pour autant un apatride. Lui reproche-t-on d’être rentré dans son pays sans « autorisation » ?

Toutes interrogations qui situent l’absurdité de la manœuvre et indiquent l’état d’esprit de la gouvernance de hasard du Togo : l’énervement présent de l’usurpateur de Lomé 2. Jean-Paul Oumolou est juste le défouloir de la rage impuissante de l’exécutif togolais et d’une large frange compromise de l’opposition factice. M. Oumolou est la victime collatérale du séisme qui secoue la galaxie françafricaine. Le monde que Faure Gnassingbé et ses séides ont contribué à construire et à consolider contre leur peuple au profit d’une oligarchie mafieuse locale, relai des intérêts léonins de la France, prend l’eau de toute part.
Le rapt de M. Oumolou ne se comprend qu’à travers la géopolitique mondiale qui se déploie sous nos yeux et dont les répercussions rendent fébriles les puissances publiques en voie d’extinction.
Je parie que M. Oumolou n’est pas à sa première tentative de « passage » dans son pays natal. Je parie plus encore que les services secrets togolais étaient bien au courant de ses visites antérieures. Le gouvernement avait fait la seule chose sensée qui devrait l’être : laisser M. Oumolou aller comme si de rien n’était. La pantalonnade en cours obéit à une autre logique. Elle est trop embrouillée pour ne pas dénoter d’une panique au sommet de l’État.

Le cas Oumolou correspond au très récent cas de Kémi Séba arbitrairement arrêté au Burkina Faso et expulsé quelques heures plus tard vers le Bénin. Il fait surtout écho au cas Djimon Oré, condamné à deux ans de prison pour ses critiques acerbes des liaisons incestueuses entre la France et ses relais locaux. La défense de la Françafrique, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les critiques formulées par M. Oumolou vont bien au-delà de la dictature togolaise pour fustiger son principal soutien exogène qu’est la France. Il faut éteindre cette voix accusatrice.

Faure Gnassingbé doit apporter son écot dans l’effort de guerre de défense de l’outil commun de destruction de l’Afrique qui échoit à la 5° colonne de la nébuleuse française de pillage et de destruction de l’Afrique. Le pilier français s’effrite sous les coups de boutoir de la Chine et de la Russie notamment en Centrafrique et au Mali confirmant les précédentes victoires en Syrie, au Burundi, au Mozambique, etc. Il s’agit d’un nouvel affrontement du bloc de Shanghai dominée par la Russie et la Chine contre le bloc Atlantique emmenée par les USA. Une résurgence de la guerre froide dans laquelle la France ne retrouve plus le rôle de « Gendarme » ou de « Shériff » de l’Afrique que les USA lui avait concédé contre le communisme. L’effondrement de la puissance française est accélérée par l’expansion du panafricanisme comme prise de conscience des peuples noirs décidés à acquérir leur indépendance réelle. Le soutien des dictatures ne suffit plus à assurer l’essor de la France devenue un nain géopolitique dont les anglo-saxons ont hâte de se débarrasser pour conduire directement leur influence dans la zone qui déterminera l’issue de la suprématie future : l’Afrique et ses richesses incommensurables. La reconstitution du bloc anglo-saxon par l’éjection de la France du contrat des sous-marins avec l’Australie en dit long sur la place réelle du mentor de Faure Gnassingbé et de ses alliées de la Françafrique dans l’échiquier géopolitique actuel. Face aux USA, M. Macron commence à comprendre la vacuité de son rôle de puissance et mesure précisément son nouvel état de mari cocu assis à côté de l’amant de sa femme en fronçant les sourcils le visage fermé tout en redoutant une gifle.

Dans cette Bérézina politique française, le régime togolais né et biberonné par la volonté exclusive de la France traverse une tragédie qui justifie sa panique actuelle. Dans son affolement il s’adonne à des diversions comme l’arrestation de M. Oumolou que rien de logique ne justifie. Lomé 2 perd pied à mesure que les forces structurantes de la France déclinent.
La Pax Américana qui veut étendre sa zone d’influence sur le Golfe de Guinée en échange de son retrait d’Afghanistan ne compte pas nécessairement sur les vieilles dictatures françafricaines.
Le secours pourrait venir du rapprochement avec la Russie et le bloc de Shanghai. Cela ne peut se faire que par les gouvernants en phase avec leur peuple. Las ! les Gnassingbé ont toujours gouverné contre leur peuple. De plus, s’ils osent se rapprocher de la Russie, ils seront « vitrifiés » par la France qui a fait du Togo le centre névralgique de son système maffieux de pillage et de déstabilisation de l’Afrique.

L’idylle morganatique entretenue par la diplomatie togolaise entre Washington et Tel-Aviv qui a conduit le Togo à être le seul pays du bloc africain à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël a longtemps entretenu l’illusion. Elle est morte à présent avec le départ de Trump et de Nétanyahou. La tentative désespérée de rapprochement avec la Turquie, troisième armée de l’OTAN et cheval de Troie de l’expansion américaine dans le Golfe de Guinée, est bien l’expression de l’inconfort d’un régime aux abois tombé dans une trappe géopolitique.

Le kidnapping de Jean-Paul Oumolou montre que nous sommes en présence d’un régime extrêmement affaibli qui s’engage dans une fuite en avant échevelée. Il n’attend que le coup de grâce d’une nation décidée à recouvrer sa liberté. Faure Gnassingbé ne compte plus que sur la peur qu’il distille au sein du peuple par la brutalité des arrestations spectaculaires. Il peut aussi compter sur le mutisme de ses complices de la Françafrique que sont la plupart des acteurs politiques de l’opposition. Tendez bien l’oreille, scrutez leurs discours, identifiez les axes de leurs préoccupations et vous comprendrez qui sont les alliés de l’émancipation du peuple. Faure Gnassingbé a intérêt à suivre l’exemple de son voisin du nord et à libérer immédiatement l’otage Oumolou qui ne lui sert à rien. Il a donné à la France les gages de son implication dans la défense de la maison en ruine. Oumolou, Djimon Oré et tous les autres prisonniers politiques ne sont plus que la preuve d’une immense stupidité induite.

Jean-Baptiste K.