Sei Mémène | Archives

Le Géneral Séyi Memene n’aura donc pas échappé à ce passage obligatoire et inévitable pour tous les êtres humains du monde des vivants à l’au-délà. Pour les croyants et pour le musulman qu’il fut, il est retourné à son dieu. Effectivement, l’Officier Supérieur au parcours controversé a rendu l’âme au CHU Sylvanius Olympio dans la nuit du vendredi 20 au samedi 21 novembre 2020. Que retenir de cette disparition subite? Que retenir de son parcours sur terre? Que retenir surtout de son rôle dans ce qui intéresse aujourd´hui au premier chef les Togolais? Son rôle dans la situation politique actuelle de notre pays? Son rôle dans la mauvaise gouvernance des Gnassingbé du père au fils?

Beaucoup de Togolais y vont déjà de leurs commentaires, qui pour regretter la disparition de l’illustre compatriote, qui pour insulter et cracher sur le cadavre à peine refroidi du Géneral Tem. Certes, Séyi Memene y est forcément pour quelque chose dans la situation politique critique que connaît le Togo. Vu les rôles politiques et militaires qu’il a eu à jouer pendant qu’il était actif, c’est un droit pour chaque citoyen d’y trouver à redire, de juger les actes posés par l’homme, actes qui ont dû, d’une façon ou d’une autre, contribué à façonner la situation politique dramatique qui est aujourd’hui la nôtre. Mais nous estimons de notre côté qu’il est important de respecter la mort et le mort, comme savent le faire les Africains, quel que fût le rôle, bon ou mauvais, qu’avait eu à jouer celui que nous enterrons aujourd’hui. Ne dit-on pas que la mort met fin à toutes les animosités qui pourraient avoir existé entre le défunt et nous?

Séyi Memene, d’origine modeste, s’engagea dans l’armée coloniale à l’âge de 18 ans. Le hasard d’une affectation le conduit au Niger où il fait la connaissance d’un certain sergent nommé Étienne Éyadéma. Le natif de Kparatao ne pouvait pas imaginer à cet instant qu’il venait de faire la connaissance de quelqu’un avec qui son destin sera intimement lié jusqui’à la fin de sa vie presque. Revenu au pays et envoyé en France pour une formation d’officier, Séyi Memene en revient Sous-Lieutenant. Intelligemment et patiemment, jouissant d’une grande estime et d’un grand respect pour son travail auprès de ses supérieurs, il saura se faire une place au soleil. En privé, avec ses proches, toujours acceuillant, l’officier tem évite le langage des casernes, contrairement à beaucoup de ses collègues militaires qui semaient la terreur autour d´eux.

Comme nous le mentionnions plus haut. L’Officier Supérieur Séyi Memene a eu la chance ou la malchance, c’est selon, de servir sous une dictature. Et comme tel, il a dû forcément poser ou faire poser des actes qui vont à l’encontre de l’intérêt de ses compatriotes. Il a dû donner ou faire donner des ordres qui n’allaient pas forcément dans le sens de la promotion de la vie humaine. Nous savons que notre grand-frère savait ce que les Togolais pensaient de lui. Il était conscient du fait que dans ce brouhaha politique et militaire togolais, il n’était pas une brebis innocente. Comment d’ailleurs pouvait-il en être autrement, avec toutes ces responsabilités politiques ou militaires qui furent les siennes dans un régime militaire aux côtés d’un dictateur? Séyi Memene avait des choses à dire. Beaucoup de choses sur son rôle auprès d’Éyadéma durant toute sa vie militaire et politique. Il savait beaucoup de choses qui ont alimenté les rumeurs, toutes sortes de rumeurs le concernant, concernant Éyadéma et concernant le Togo tout court.

Ici les choses deviennent plus personnelles, c’est pourquoi je demande au lecteur de m’excuser l’utilisation de la forme « je » qui aura cours dans les lignes qui vont suivre. L’idée avait lentement mûri en moi depuis quelques années, de profiter de la proximité familiale qui me lie à l’illustre disparu, pour l’approcher et le faire parler. Ce fidèle, presque cet intime d’Éyadéma doit avoir beaucoup de choses à dire avant de quitter ce monde. Étant loin du pays et conscient que le destin pouvait frapper à tout moment, j’ai d’abord contacté des cousins de village à Lomé pour leur demander s’ils pouvaient faire le travail avant qu’il ne soit trop tard. Ces derniers m’avaient poliment dit non pour des raisons personnelles que je respecte. L’année dernière, en juillet 2019 j’appelai l’aide de camp de Memene pour lui annoncer que j’étais à Lomé, et qu’il devrait arranger un rendez-vous pour moi auprès du Général. Ce qui fut fait. À son domicile sis à Casablanca, il m’acceuillit quelques jours après dans son salon et nous causâmes pendant presqu’une heure de temps. Cette première visite devrait servir pour lui annoncer mon projet et éventuellement fixer une nouvelle date pour l’interview.

Il était d’accord pour répondre à mes questions sur son enfance à Kparatao, ses débuts dans l’armée coloniale, sa rencontre avec Éyadéma, sur toutes les rumeurs sur la dictature qu’il a servie, sur toutes les tentatives, supposées ou vraies de coups d’état, sur son emprisonnement par Éyadéma au camp RIT entre 1989 et 1991, sur son rôle aux élections présidentielles de 1998, sur l’assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre 1987 où des rumeurs parlent du rôle que notre pays y aurait joué, sur les vraies circonstances de la mort d’Éyadéma…. Je lui avais parlé de l’importance de publier toutes ces vérités après sa mort pour couper court à toutes les rumeurs. Et il était prêt à tout me dire. Il devrait se rendre bientôt à Paris pour un contrôle médical; rendez-vous était donc pris sur la capitale française où l’interview devrait se tenir. Il me donna un avant-goût de ce qui m’attendait à Paris en me révélant la vraie raison pour laquelle Éyadéma l’avait fait interner pendant 2 ans au camp militaire de Tokoin. D’après ses propos, ce jour de juillet 2019 dans son salon à Lomé, lors d’un voyage en Israël où il aurait rencontré le chef des services secrets de ce pays, le Colonel Kadhafi lui aurait demandé de venir le voir avant de retourner au Togo. Il se serait alors rendu à Tripoli pour rencontrer le leader libyen. Après l’entrevue, Kadhafi aurait fait affréter un avion qui le ramène à Lomé. Le lendemain, le journal français « Le Monde » publie l’information selon laquelle, le Colonel libyen aurait trouvé un remplaçant pour Éyadéma. C’est l’information qui aurait mis Gnassingbé Eyadéma dans tous ses états et coûté une privation de liberté à Séyi Memene. Le reste ne serait qu’imagination fantaisiste du défunt dictateur. Ce jour-là dans son salon j’avais un témoin à mes côtés qui n’était autre que mon jeune neveu qui me servait de chauffeur, qui avait tout écouté et qui vit actuellement à Lomé.

Le défunt Général arrive effectivement à Paris en décembre 2019 et devait repartir quelques jours avant Noël. Son aide de camp m’informe depuis Lomé et j’appelle l’intéressé pour lui souhaiter bonne arrivée et lui dire que je vais essayer d’aménager mon emploi du temps pour voir dans quelle mesure un court voyage sur Paris serait possible. Malheureusement mes obligations professionnelles ne me permirent pas d’honorer ma promesse. En dehors des appels téléphoniques, nous étions obligés de remettre à plus tard. Et je n’ai jamais désespéré que ce jour viendrait où je pourrais parler avec le Géneral. Mais cette nuit fatidique du 20 novembre 2020 met fin à mon projet d’interview. Séyi Memene avait-il pu, de son vivant, se confier à quelqu’un d’autre au Togo ou à l’étranger? Avait-il pu libérer sa conscience avant de partir? Nous l’espérons vivement. En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle, disait Amadou Hampâté Bâ. Le Général Séyi Memene n’était pas un vieillard, mais il avait un certain âge. Si vraiment le défunt Général n’avait pas pu dire ce qu’il avait sur le cœur avant de nous quitter, ce serait un pan important de l’histoire du Togo qui serait parti en fumée.

Que la terre lui soit légère!!!

Samari Tchadjobo
25/11/2020
Allemagne

Samari Tchadjobo