marche opposition togo
Au premier rang, quelques têtes d’affiche de l' »opposition » togolaise au temps de la C-14: Nathaniel Olympio(g), Brigitte Adjamagbo Johnson (c) et Jean-Pierre Fabre (d) |

« La folie c’est le fait de répéter la même chose et d’espérer un résultat différent ». Albert Einstein.

Si on s’en tient à cette définition de la folie, on peut dire que les opposants au régime militaire togolais sont tous…fous, puisque de part et d’autre de la ligne de démarcation que constituent les élections, les uns et les autres répètent la même chose en espérant un résultat différent.

D’un côté, le fait d’aller aux élections tout en sachant qu’elles seront truquées pour donner la part du lion au régime, tout étant conscient que l’élection ne mènerait pas à la fin du régime (aspiration principale des Togolais), et le fait de répéter cet acte sur trois décennies est une folie, selon les termes de Einstein.

De l’autre côté le fait de boycotter les élections tout en sachant que toute absence de la véritable opposition au parlement est un boulevard ouvert à toutes les restrictions des libertés publiques et à tous les tripatouillages constitutionnels (2002, 2019), le fait de maintenir cette attitude tout en sachant que cela ne met pas le régime en danger est tout aussi une folie, toujours selon la définition de Einstein.

Que ce soit donc la participation aux élections ou le boycott, certains opposants peuvent qualifier ceux qui ne partagent pas leur position de…fous et vice-versa. Et chacun aura eu raison. Et puisque tout le monde est fou et que chacun compte rester dans sa folie, la question qui mérite d’être posée est celle-ci: comment devenir moins fou? Peut-être qu’on serait moins fous en faisant un peu différemment ce qu’on a toujours fait. En substance :

Pour ceux qui participent aux élections, cela revient à s’organiser rigoureusement pour une participation électorale qui surprendrait ou déjouerait les pronostics, malgré tout ce que le régime aurait fait pour se tailler la part du lion. Jusqu’à présent on n’est pas parvenu à le faire, faute d’une réflexion sérieuse, et en temps opportun (c’est-à-dire une réflexion qu’on n’engage pas à 3 semaines de l’échéance). Par exemple, même si le régime et l’opposition obtenaient le même nombre de suffrages exprimés, le pouvoir obtiendrait deux ou trois fois plus de sièges. Faut-il dès lors revenir sur le découpage électoral ? de quels leviers disposent-on pour changer la donne sur cette problématique? quand faut-il commencer par en faire un objet de revendication ?

Pour ceux qui maintiennent le boycott, cela revient à faire du boycott le point de départ d’une campagne de délégitimation des dirigeants et des institutions du pays. Ici aussi, malgré toutes les tentatives passées, les succès du boycott ont été limités ; pire ils se sont dissipés, faute d’une bonne lecture de l’évolution des relations internationales au cours des 30 derniers années. Or comme dit l’adage, quand le rythme change il faut changer de danse.

Sur le plan international, il y a eu une évolution par rapport aux évènements ou incidents politiques qui pourraient attirer les sanctions de la fameuse communauté internationale vis-à-vis du régime militaire togolais ou délégitimer le régime au plan international. Du fait du recul démocratique et l’émergence des « régimes forts » constaté à travers le monde, il y a une baisse considérable du degré de condamnation ou d’isolement des régimes responsables de violations des droits politiques (arrestations arbitraires ou torture des opposants, tueries et autres abus). Ceci est d’autant plus évident vis-à-vis des régimes qui comme celui du Togo sont les premiers à collaborer étroitement et à répondre aux appels des puissants de ce monde dans la lutte contre ce que ces derniers considèrent déterminant pour leur sécurité nationale (libéralisation économique, terrorisme, influence chinoise, influence russe, Wagner, etc.).

Sur le plan interne, l’un des arguments, voir l’un des trophées brandis par les partisans du boycott électoral a toujours été que cela délégitime le régime. Mais là aussi les choses ont évolué.

Sous Eyadéma, après avoir perdu son statut de « chouchou » de la communauté internationale, le régime était constamment en quête d’une légitimité perdue, ce qui l’amenait à faire certaines concessions à ses opposants, quoique cela ne changeait pas fondamentalement la donne. Du fait aussi de l’envergure de certains parmi eux, les opposants à Eyadéma disposaient d’une marge à l’international qui leur permettait de menacer ou ternir l’image d’Eyadéma. Par conséquent, ce dernier tenant beaucoup à son image, il voulait tout faire pour qu’elle ne soit pas ternie davantage. C’est pourquoi la participation de l’opposition aux élections était pour lui un baromètre par lequel il jaugeait son image. L’apparence de légitimité et la fréquentabilité étaient une préoccupation permanente sous Eyadéma.

Sous Faure, la quête de légitimité n’a duré que 3 ans (2005-2008), le temps que l’Union Européenne et d’autres pays lèvent leurs sanctions contre le Togo. Sachant que leur péché originel (les massacres de 2005) leur collerait toujours à la peau et qu’ils resteraient toujours des mal-aimés, Faure et sa clique sont moins regardant sur ladite légitimité, et donnent l’impression de ne pas vraiment avoir besoin de faire les yeux doux à l’opposition au nom d’une quelconque quête de légitimité. Et pour enfoncer le clou, les opposants à Faure ne sont pas aussi connus sur le plan régional et international que les opposants à Eyadéma ; ils ont une marge beaucoup plus faible et on ne les entend pas du tout sur les grandes thématiques continentales ou mondiales. Ils sont restés des opposants à un homme, plutôt que de s’élever à être des opposants à un système, donc leur envergure ne va pas au-delà du Togo. Le boycott a donc peu de chance de contrarier les membres de l’équipe dirigeante actuelle, car leur perspective sur la vie publique ou politique est totalement différente de celle de ceux qui dirigeaient le Togo il y a 25-30 ans.

Peut-être qu’il est temps de se dire que ni la participation électorale, ni le boycott n’est la solution et de s’épargner des invectives et des insultes à tout bout de champ. Dans ce cas il y a une troisième solution ; la trouver reviendrait à guérir de notre folie à deux faces.

A Ben Yaya
New York, le 1er Mai 2023

A. Ben Yaya