Le « melting pot » des opposants togolais | Infog : 27avril.com

« La famille c’est comme une forêt. Quand on la regarde de loin, elle est compacte.Mais quand on s’en approche, on voit la différence entre les arbres ». Proverbe africain

En ce milieu d’année 2020 l’opposition togolaise présente un bien piteux état, au point où on se demande si la délivrance viendrait d’elle ou des acteurs publics encore inconnus. Chaque acteur de l’opposition togolaise investit son énergie dans trois combats: (1) la lutte pour le changement politique, objectif louable, avoué publiquement et répété en boucle depuis des lurettes; (2) la lutte pour le pouvoir politique, motivation centrale de l’action politique, objectif principal mais qui est soigneusement occulté en dehors des périodes électorales. À ces deux luttes s’ajoute une troisième: la lutte contre deux autres générations d’opposants.

Je ne reviendrai pas sur les deux premières luttes; mon intérêt concerne beaucoup plus la dernière du fait de l’énergie qu’elle accapare et du potentiel qu’elle représente, soit pour une renaissance et une redynamisation, soit d’une mise à mort de toute les forces opposées au régime de dictature militaire.

En ce moment où les voix s’élèvent de plus en plus contre une ou des génération(s) de politiciens accusés de manque de résultats, ou pire, soupçonnés de connivence avec la dictature militaire ou ses alliés de l’oligarchie internationale, la lecture de l’actualité politique s’avère plus efficace lorsqu’on situe la dynamique des attaques et contre-attaques, les récriminations et les positions défensives sous un angle générationnel.

À l’heure actuelle, on distingue trois générations dans « la lutte pour le changement ».

 Il y a la GG ou Génération Gilchrist, celle qui ayant atteint l’âge adulte au lendemain de l’indépendance, a affronté et résisté au père Gnassingbé avant de se jeter dans les bras du fils.

 Il y a ensuite la GL ou Génération des Lieutenants de la GG qui, insatisfaits du statut quo, ont décidé de se séparer de leurs mentors pour « réorienter » la lutte, mais qui chaque jour tombent dans les mêmes travers que leurs aînés, notamment l’intérêt démesuré pour les affrontements et débats autour des personnes (et non autour des idées), et l’incapacité à se débarrasser de l’égocentrisme, ce trait de personnalité qui a conduit les acteurs de la GG au naufrage puis à la compromission.

 Il y a enfin la GA ou Génération des Activistes, celle qui, plus présente et aidée par les réseaux sociaux, peine à se décider entre soutien à l’une des deux premières générations et une affirmation d’elle-même en tant que force alternative.

La GA a assisté aux faits d’armes et au délitement de la GG ainsi qu’à l’émergence de la GL ; mais quoique la tendance en son sein soit l’obligation de résultat, elle aussi souffre d’un manque criard d’organisation et d’harmonisation pour se positionner en alternative crédible.

Trois générations, une lutte. Cela fait de la lutte pour le changement de régime au Togo la seconde au monde après celle des Cubains contre le régime castriste ; quant aux Nord-Coréens ils ont renoncé à la leur.

Karl Marx a parlé de la « conscience de classe » comme moteur de la lutte des classes, et facteur de la victoire (et de la domination) d’une classe sur une autre. Au Togo, les trois générations des acteurs de l’opposition, qui constituent une même « classe »,

travaillent peu dans le sens de l’édification d’une « conscience oppositionnelle ». La Génération Gilchrist (GG) n’a pas préparé la Génération des Lieutenants à la lutte pour le changement au cas où elle-même échouait. Pour sa part, la Génération des Lieutenants (GL) voit d’un mauvais œil l’émergence de la Génération des Activistes qu’elle préférerait voir dans le rôle de béquilles comme elle-même le fût pour la GG ; c’est dire que l’optique d’un échec éventuel et de la prise de relai par une autre génération lui importent peu.

Les acteurs au-devant de la lutte pour le changement politique ne sont pas objectivement parlant dans l’optique d’un affrontement contre la dictature, mais plutôt dans la quête d’une légitimité par rapport à d’autres générations afin d’affronter la dictature, ce qui n’est qu’une manière de lâcher la proie pour l’ombre.

Fait intéressant, il a fallu 30 ans (1960 – 1990) à la première génération d’opposants pour être au-devant de la scène (ou « percer » comme on dit), 20 ans (1990 – 2010) à la deuxième génération pour se rebeller et s’affirmer, et 10 ans (2010 – 2020) à la troisième génération pour rappeler aux deux premières leur obligation de résultats.

Les trois générations d’opposants ne se parlent pas et elles ne collaborent pas dans la réalité ; elles s’affrontent. Les priorités des opposants étant ailleurs, ce n’est donc pas surprenant que le régime qui de tout temps titube jouit d’une longévité surprenante.

Comme l’appel de Karl Marx aux prolétaires à s’unir, les opposants des trois générations doivent être conscients que malgré toute leur intelligence, ils peuvent échouer, et que pour éviter leur disparation, il leur faut collaborer à travers les générations plutôt qu’uniquement au sein d’une génération.

A. Ben Yaya
28 juin 2020

Aminou Ben Yaya