Samari Tchadjobo | Photo: S.T.

Hier, dans le n° 3753 du quotidien « Liberté », notre ami et compatriote Pierre Adjété nous avait proposé une réflexion concernant « Le Grand Pardon » auquel les Togolais devraient penser pour sortir de l’ornière afin que notre pays soit vivable pour tous les citoyens sans exclusion aucune. Nous avons quelques réserves parce que nous n’avons pas très bien compris, dans le développement de notre ami, comment ce Grand Pardon pourrait être possible aujourd’hui au Togo. De qui devrait-il venir?

Commençons par le peuple martyrisé. C’est clair qu’un peuple torturé et humilié, et qui continue de l’être ne peut pas pardonner sans aucune garantie. Comment le pourrait-il quand ses bourreaux sont toujours en possession de leurs instruments de répression et continuent leur œuvre macabre? Donc pour nous, tant que le régime de dictature togolais n’aura pas été mis hors d’état de nuire, il nous paraît difficile, très difficile de parler de réconciliation et de grand pardon. Si nous demandons au régime RPT/UNIR de cesser d’opprimer les Togolais, de respecter leur dignité et leur vie ou de démocratiser le pays, il ne s’agirait aucunement là d’un pardon de sa part, mais plutôt d’un droit des Togolais dans leur ensemble. Qui doit alors pardonner qui dans la situation actuelle de notre pays? Nous croyons que le gros du travail, du devoir et des responsabilités incombe à ceux qui prétendent nous gouverner, en tuant, en volant, en emprisonnant et en envoyant en exil d’autres Togolais.

Nous aurions été d’accord avec notre compatriote Adjété s’il avait parlé du Grand Pardon au sein de l’opposition togolaise aujourd’hui totalement déchirée. Un Grand Pardon entre les responsables de la DMK et ceux de l’ANC, par exemple, aujourd’hui en guerre larvée. Car pour nous, c’est le lieu où les choses devraient changer positivement pour que la lutte reprenne pour mettre hors d’état de nuire ce régime inhumain des Gnassingbé. Et ce serait après ce processus de libération qu’on pourrait parler de Grand Pardon et de réconciliation. Vous parlez dans votre réflexion du grand pardon initié en son temps par feu Édem Kodjo; et s’il n’avait pas eu le succès escompté à l’époque, c’était justement parce que les bourreaux étaient encore au pouvoir et que les victimes ne pouvaient pas leur demander des comptes. On avait commis l’erreur à l’époque de vouloir placer la charrue avant les boeufs. Aujourd’hui nous croyons malheureusement que la situation au Togo, du point de vue violation des droits de l’homme et jusqu’au-boutisme du régime, est encore plus dramatique qu’au début des années ’90.

Il faudrait aujourd’hui, pour que la situation politique redevienne normale dans notre pays, que le régime dirigé par Faure Gnassingbé libère les prisonniers politiques, fasse revenir tous les exilés politiques sans exception, convoque des assises nationales pour laver le linge togolais sale en famille, englobant les stratégies de lutte contre le terrorisme, réactualiser notre constitution selon nos réalités et mettre sur pied un gouvernement de transition. Il ne sert à rien d’éviter d’affronter les vrais problèmes en parlant de réconciliation ou de Grand Pardon pendant que nos tristes réalités togolaises ne s’y prêtent pas encore. Quitter surtout la logique des élections, qui n’ont pour but que l’illusion d’une démocratie qui n’en est pas une, pour affronter les vrais défis pour des solutions durables, comme savent le faire les hommes et les femmes qui aiment vraiment leur pays. Après, nous pouvons nous retrouver pour fêter la vraie réconciliation et le vrai Grand Pardon.

Samari Tchadjobo
Allemagne