Pourquoi Faure Gnassingbé ne peut jamais sanctionner les prévaricateurs

Depuis la prise du pouvoir dans le sang par cet homme, Faure Essozimna Gnassingbé, en 2005, le Togo est devenu un véritable paradis de crimes économiques. | Caricature : Donisen Donald / Liberté
Depuis la prise du pouvoir dans le sang par cet homme, Faure Essozimna Gnassingbé, en 2005, le Togo est devenu un véritable paradis de crimes économiques. | Caricature : Donisen Donald / Liberté

Les crimes politiques sont sans doute les premières plaies caractéristiques du règne de Faure Gnassingbé. Mais à côté, les crimes économiques lui disputent cette place d’honneur (sic). Pillages, détournements de deniers publics et autres ressources nationales, corruption, pots de vin, retro-commissions sur les marchés, prévarications de toutes sortes, flux illicites de capitaux sont des sports quotidiens. Les scandales financiers s’enchaînent sous Faure Gnassingbé. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, « le maître » reste impuissant malgré les discours et les professions de foi en faveur de la bonne gouvernance…

Des scandales financiers à la pelle

Compagnie énergie électrique du Togo (CEET). Débutons le tour par ce scandale de grande ampleur le plus récent. Le Conseil d’administration s’est vu obliger de démettre en février dernier le Directeur Général Dr Gnande Djetelli, nommé en 2012 pour remettre sur pied la société, et le remplacer par Paul Mawussi Kakatsi, l’ancien Directeur intérimaire. Et pour cause, un audit financier réalisé sur sa gestion fait état de « manquements graves, des résultats insuffisants et des problèmes de gouvernance ». Cette société est aujourd’hui au fond du gouffre, à cause de la gestion opaque et de la gabegie ostentatoires. Les pertes techniques et commerciales sont évaluées à 20 milliards FCFA ; les emprunts s’élèvent à plus de 65 milliards ; l’Etat, mauvais payeur, doit à la CEET une ardoise de 16,1 milliards…On parle en tout de 54 milliards de FCFA de dettes. Les pillages et détournements sont aussi passés par là.

Banque Togolaise du Commerce et de l’Industrie (BTCI). Cette banque commerciale a été l’objet d’un pillage à ciel ouvert. Carrément en coupe réglée, elle a été la vache laitière de beaucoup de ses premiers responsables, membres du conseil d’administration et autres cadres qui s’en sont mis plein les poches. C’est une véritable mafia qui a pris en otage la banque, saignée à blanc. De Yao Kanekatoua à Etienne Bafaï en passant par Barry Moussa Barqué…tous ont participé au pillage. Ce sont des dizaines de milliards de FCFA qui se sont volatilisées. Actuellement, c’est Mme Maguy Gnakadé, décrite comme une proche ou une intime – c’est selon – du Prince qui la dirige et a pour rôle de la remettre d’aplomb.

Projet BIDC. Il s’agit de ce projet de réhabilitation des infrastructures hospitalières pour lequel la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao a accordé en 2010 un prêt de dix milliards de FCFA au Togo. Il devrait permettre d’améliorer le plateau technique sanitaire par l’acquisition de matériels dont notamment un scanner pour le CHU Sylvanus Olympio, et était géré par le Conseiller médical de Faure Gnassingbé, le Col Badjona Sognè. Mais ce dossier s’est révélé un véritable scandale. C’est un scanner de dernière main qui a été acquis, tout comme les autres équipements, en lieu et place de nouveaux équipements performants. Où sont passés les fonds ? Question pour un champion. Le scanner n’a pu être inauguré et son fonctionnement se révèle une catastrophe. Tombant répétitivement en panne, il est devenu une épave. Aux dernières nouvelles, cet appareil qui illustre à lui tout seul ce scandale BIDC servirait de pièces détachées pour remettre d’aplomb le scanner du CHU Campus.

Togo Telecom. Cette boîte est dirigée actuellement par Romain Tagba, et depuis 2014. Mais l’évocation du nom Togo Telecom fait tout de suite remonter à la mémoire le pillage dont la société a été l’objet sous Sam Bikassam durant huit bonnes années. Détournements de fonds, blanchiment d’argent…cette boîte a connu tous les maux économiques ; et cela se ressent sur ses prestations. En 2010 à la découverte du pot aux roses, il avait été retiré à Sam Bikassam la signature des dossiers. Mais après quelques semaines passées au purgatoire, l’homme va retrouver son poste et ses privilèges. Complètement mise à genou, cette société n’arrive pas à se relever.

Fonds d’Entretien Routier (FER). Comment ne pas parler du FER d’un certain Ferdinand Tchamsi. Ce dossier fut en quelque sorte le coup d’envoi de la série de scandales financiers connus sous Faure Gnassingbé dont le règne se révèle assez fécond pour les crimes économiques. Les milliards confiés à Tchamsi pour l’entretien des routes se sont volatilisés, des audits ont fait état d’un trou béant dans les finances. Mais pour toute réaction, il a été simplement enlevé de son poste, sans devoir rendre compte, et le nom de la société changé.

Phosphates togolais, voilà l’autre dossier. Un ministre avait reconnu devant les députés à l’Assemblée nationale un gouffre financier de 300 milliards laissé par les responsables successifs. Mais personne n’a été inquiété. La société de gestion des phosphates a simplement changé de dénominations dans le temps, mais les pratiques de pillages continuent.

Kodjo Menan, l’ancien ambassadeur du Togo aux Nations Unies a été entre-temps gardé à vue dans une affaire de détournement de 500 millions de FCFA destinés à la rénovation de la représentation diplomatique de notre pays aux Etats-Unis. Après quelques jours de privation de liberté, il a été libéré, grâce aux pressions de sa sœur tribale, la ministre multitâche du gouvernement et proche de Faure Gnassingbé – suivez les regards.

Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), Loterie nationale togolaise (LONATO), Port autonome de Lomé, différents ministères…toutes ces structures étatiques n’échappent pas aux malversations, détournements, pillages. Les flux illicites, la pratique des rétro-commissions sur les marchés, l’enrichissement illicite sont tous devenus un sport quotidien sous le fils du père.

Impuissance de Faure Gnassingbé, impunité garantie

Il est présenté comme un expert financier formé dans les plus grandes universités occidentales, un as de la gestion transparente, l’incarnation même de la bonne gouvernance, ce qu’il y a de mieux en termes de personnalité capable d’engager efficacement le Togo dans la voie de la gestion transparente. Soit. Sur la corruption, les détournements, les pillages des ressources nationales et maux connexes, Faure Gnassingbé a eu à s’épancher à plusieurs reprises dans ses discours. La plus retentissante de ses sorties aura été celle du 26 avril 2012 où il reconnaissait, à demi-mot, qu’une minorité de gens accapare les ressources nationales au Togo. « Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès », avait-il osé déclarer. Ces propos devraient être une sorte de catharsis, un coup d’envoi de la lutte contre les crimes économiques. Mais depuis lors, aucun acte n’a suivi. Malheureusement.

Un mandat social implique une gestion saine des affaires, une lutte résolue contre le détournement et le pillage des ressources nationales, à même de dégager des ressources conséquentes à investir pour la satisfaction des besoins des populations. Faure Gnassingbé a semblé en prendre conscience, dans son discours en léger différé de fin d’année 2015.

Morceaux choisis : « (…) Nous devons poursuivre cette recherche d’un mieux-être pour tous les Togolais en redoublant d’efforts pour répondre à la demande sociale légitime et sans cesse croissante » ; « Nous devons intensifier la mobilisation de ressources internes afin d’offrir des services publics plus efficients, de meilleure qualité, et au plus grand nombre. Cela nous permettra également de renforcer la protection sociale aux plus vulnérables en amplifiant les initiatives que nous avons déjà lancées dans les domaines de l’assurance maladie, des transferts monétaires, de l’emploi des jeunes et de la finance inclusive » ; « (…) La lutte que nous avons entamée contre la corruption doit être intensifiée avec méthode et détermination ».

Mais tout reste au stade de simples discours. Le Prince semble/est impuissant à agir devant les multiples scandales financiers. Certains pilleurs sont même promus et restent tout puissants – c’est le cas du ministre à la rigueur sélective qui aura réussi à renvoyer du Togo l’autre institution de Bretton Woods qui a osé recommander des réformes dans son ministère et sa façon de gérer les finances nationales. Comment comprendre cette passivité de Faure Gnassingbé qui est censé avoir tous les pouvoirs entre ses mains ?

Cette attitude intrigue, même dans les rangs des représentants diplomatiques occidentaux dans notre pays. « (…) C’est curieux, ce qui se passe dans votre pays. Un chef d’Etat qui avoue publiquement l’existence des détournements, des pillages des ressources nationales, mais reste impuissant devant les nombreux scandales financiers ! (…) Sans doute que lui-même il tire son compte de la situation », confie l’un d’eux qui n’a pas voulu en dire davantage. Mais il aura été suffisamment clair.

L’expert financier ne tape jamais du poing sur la table afin de faire peur aux adeptes de ces sports nuisibles, et pour cause. La plupart des pilleurs de la République, sinon tous se trouvent être ses proches collaborateurs, des pontes du pouvoir RPT/UNIR. Lorsqu’on prend tous les dossiers de crimes économiques qui ont défrayé la chronique, leurs auteurs ne sont autres que ses suppôts. Difficile dans ce cas de sévir contre eux. La plupart sont simplement enlevés de leurs postes et des regards des citoyens, puis ramenés à d’autres autant ou plus juteux quelque temps après. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il ne leur est jamais demandé des comptes.

Il y a aussi comme une stratégie mise en œuvre par les prévaricateurs pour échapper au châtiment. L’un des arguments souvent invoqués par les mis en cause pour se débiner, c’est d’avoir utilisé les fonds pour financer des activités du parti au pouvoir. A titre d’illustrations, ils étaient nombreux, ces responsables de sociétés d’Etat et autres pontes du régime à organiser et financer des activités de propagande politicienne en faveur de l’UNIR dans le cadre de l’élection présidentielle du 25 avril 2015, des fraudes au profit de son candidat. Autant de dépenses faites sur des fonds des structures qu’ils dirigent. Il va de soi que Faure Gnassingbé qui joue à l’ennemi des pilleurs soit impuissant.

Le Prince lui-même semble profiter suffisamment du pillage des ressources du pays. Il nous revient que les palais luxueux dont il dispose un peu partout sur le territoire sont parfois des cadeaux (sic) à lui offerts… Une chose est certaine, la plupart ont été construits par l’ancienne toute puissante patronne des impôts, et sur fonds publics. Il ne saurait donc se mettre en marge de cette minorité nocive pour les ressources nationales.

Comme l’a caricaturé un confrère, Faure Gnassingbé n’est visiblement qu’un faux Zorro des crimes économiques qui ont trouvé une terre fertile en son règne. Toutes ses déclamations contre la corruption, les détournements et pillages ne sont que des écrans de fumée. Les crimes économiques ont le vent en poupe et l’impunité y relative a encore de beaux jours devant elle.

Source : [25/04/2016] Tino Kossi, Liberté