Les quartiers Agoè Djikamé, Zoulkpota et Fidokpui souffrent le martyre loin des regards. Situés derrière l’espace affecté aux courses de moto cross, le dépotoir abandonné et le champ de tirs, ces quartiers semblent oubliés par les gouvernants.

Inondations, pas de voies d’accès, ni d’adduction d’eau potable, de système d’électrification…27avril.com
Zone inondée à Agoè, Lomé, Togo | Photo : DR

Des voies d’accès parsemées de flaques d’eau persistantes ou d’herbes aquatiques, sans rigoles, des « systèmes d’araignée » en guise de réseau électrique et des forages en lieu et place de système d’adduction d’eau potable constituent le quotidien de leurs habitants. Randonnée à travers les rues-sentiers de cette partie de la capitale togolaise et dont les populations sont sollicitées lors des élections, mais oubliées une fois passées ces échéances.

Du carrefour qui débouche sur le Grand contournement jusqu’à celui qui donne sur le quartier Agoè Fidokpui, on s’est surpris à penser que ce qu’on nous avait décrit du quartier et qui nous a motivés à y effectuer une visite guidée, était exagéré. Mais quand nous avons quitté ce carrefour, nous sommes restés la plupart du temps bouché bée. A perte de vue, des maisons construites selon un plan cadastral : bien qu’elles ne se suivent pas « à la queue leu-leu », elles sont alignées selon un tracé précis. Mais chose étonnante, une moiteur persistante émane du sol, tant dans les maisons que dans les rues. Et parlant de rues, on devrait plutôt dire « rues boueuses », tellement elles sont parsemées de flaques d’eau, vestiges des pluies et dont la persistance fait deviner une saturation du sol en eau et un afleurement de la nappe phréatique.

Partout, des herbes et des buissons émergeant d’eaux stagnantes occupent la voie, réduisant celle-ci à l’espace nécessaire pour laisser passer une voiture aux amortisseurs solides. Car, que ce soient les usagers en voiture ou ceux sur deux roues, les gymnastiques sont de mise lorsqu’il faut traverser à tout moment les flaques d’eau et de boue. Mais les habitants sont-ils conscients des maux dont souffre cette partie du Togo ?

Ayant requis l’anonymat, un maisonier dont la devanture est occupée par une « mare » témoigne : « Même si je ne vous dis rien, le fait que vous soyez arrivés jusqu’à nous vous permet de cerner nos problèmes. Nous sommes installés depuis six ans, mais d’autres font déjà 10 ans ici. Les voies sont inexistantes, surtout en saison des puies. Plus personne ne peut sortir pour rejoindre la voie principale. Les conducteurs de moto et de voitures patinent. Nous avons besoin qu’il y ait de la latérite au moins, pour une rue de 24 mètres. En décembre 2018, le Préfet d’Agoè qui a constaté les difficultés, a fait élargir la voie, en accord avec le Cadastre. Mais la boue est présente partout. En plus, il y a le manque de poteaux électriques pour raccorder les personnes désireuses de se faire raccorder. Sans oublier les moustiques qui agressent les enfants. Déjà à 16 heures, leurs piqures commencent, bien que la majorité disposent de grillages aux portes et fenêtres. Le dernier problème est le manque d’eau potable. Pour un quartier de cette envergure, nous sommes obligés de nous contenter de l’eau de forage ». Les problèmes soulevés sont visibles, il faut reconnaître.

Plus loin, nous sommes tombés sur une autre voie de 24 mètres qui disparaît sous les buissons et les herbes dont les bases disparaissent à leur tour sous l’eau stagnante. Et pourtant, des maisons sont éparses et leurs occupants font des jeux de jongle pour sauter d’une pierre à l’autre réparties dans la flaque d’eau depuis les devantures jusque sur la terre moins humide. « Cette voie est tout aussi large que celle d’où vous venez, mais constatez par vous-mêmes comment, du fait des herbes aquatiques, la voie est devenue exiguë par endroits et impraticables un peu plus devant. Et pourtant, notre zone d’habitation n’est pas déclarée zone inondable. Ce qui veut dire que les services du Cadastre reconnaissent que cette partie est bien habitable. Pourquoi alors devons-nous nous comparer à des batraciens dont la majeure partie de la vie se passe en milieu aquatique ? », s’interroge une autre habitante. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises.

« Si bon nombre de médias pourraient faire comme vous en venant s’enquérir des réalités à Agoè Fidokpui, je crois que les autorités accorderaient plus d’attention à tout ce qui nous ronge et pour lequel nous ne trouvons pas d’oreilles attentives pour nous prendre au sérieux. Concernant les problèmes du quartier, comme vous pouvez le constater, nous sommes inondés pendant des saisons pluvieuses, les voies sont inaccessibles comme vous l’aurez constaté en venant. Nous sommes enclavés et ne pouvons pas nous déplacer pour aller en ville. En saison des pluies, les taxis-motos prennent parfois jusqu’à 1.000 FCFA pour parcourir moins de 2 km ; l’autre problème est le manque d’électricité. Sur ce sujet, peut-être que ce sont les voies qui manquent et qui doivent conditionner la disposition des poteaux électriques pouvant donner accès à un raccordement décent, en lieu et place du système « araignée » qui veut que 5 à 10 personnes se greffent sur un compteur, ce qui occasionne des problèmes de gestion. Nous avons assisté à l’implantation d’un château d’eau, mais sans un réseau de canalisation d’eau potable, on se demande si nous autres dans ce quartier, nous pourrons aussi rêver d’avoir un jour de l’eau potable pour nos besoins », tels sont les maux dont souffrent les habitants, selon un autre riverain. Interrogé sur le risque d’une manifestation géante des moustiques qui pourraient leur déclarer la guerre un jour, il nous a rassurés, sur un air rieur, qu’eux aussi sont en réunion pour contrer toute éventualité. Moustiquaires, grillages, insecticides sont, à l’en croire, les armes dont ils disposent pour la lutte. Surtout que pratiquement, chaque maison a son gîte larvaire de moustiques.

Au quartier Zoulkpota, nous découvrons un système pensé par les parents pour protéger un tant soit peu leurs progénitures. Une dame installée devant son étal nous reçoit et déclare : « Depuis 2016 que nous sommes arrivés dans la zone, nous faisons face chaque année aux problèmes d’inondation et de saturation du sol en eau en saison des pluies. Ainsi, à certaines périodes de l’année, tout le monde porte des bottes. Tout nouvel arrivant acquiert des bottes puisqu’il marchera dans l’eau et dans la boue pour rejoindre la grande route. Ceux qui vont au service à moto rangent leurs chaussures dans un sac et portent des bottes jusqu’au début du quartier Bernard Kopé avant de les troquer contre leurs chaussures. Même processus au retour. Et tous les enfants scolarisés en disposent, surtout les enfants du CI. En plus des problèmes sus-mentionnés, ici le kilowatt-heure est facturé à 200 FCFA, parce que les poteaux électriques sont inexistants pour que chacun veuille se faire installer le réseau électrique. Celui chez qui tu voudras prendre le courant te fait payer un droit d’adhésion de 10, 15 ou 20.000 FCFA. A prendre ou à laisser. Ici, quand tu es en ville et tu vois le ciel s’assombrir, tu te tiens la tête entre les mains. C’est encore tombé, c’est encore arrivé, se répète-t-on après toute pluie. Mais l’Etat gagnerait à trouver une solution rapide à nos problèmes si les fonds publics sont bien gérés ».

Et pourtant, il existe des chantiers budgétivores au Togo

Lorsqu’on effectue une telle visite et qu’on se rappelle qu’ailleurs, des gens prennent des libertés avec les fonds publics, on a du mal à excuser la négligence de l’administration envers cette zone de la ville de Lomé. Qu’est-ce qui aurait pu être réalisé si la voie Lomé-Vogan-Anfoin avait été bien maitrisée et que les fonds supplémentaires de 31 nouveaux milliards y affectés devaient servir à aménager cette partie du Togo, rien que sur le plan des infrastructures ? Que ne ferait-on pas avec le surplus de fonds décaissés pour aménager le boulevard des armées situé entre le carrefour Ramco à Gbadago et celui du collège Protestant, en termes d’ouvrages d’assainissement ? Aujourd’hui, des contribuables sont abandonnés alors que les routes, le réseau électrique, l’adduction d’eau potable, les rigoles, relèvent des prérogatives de la municipalité, donc des autorités.

L’OTR pourra-t-il exiger le payement de la taxe d’habitation ?

Article 289 du Code général des impôts (CGI) : « Cette taxe est due par tout ménage ayant en République Togolaise, la disposition ou la jouissance d’une habitation (tout local occupé à des fins personnelles ou familiales, soit à titre de résidence personnelle, soit à titre de résidence secondaire, y compris les dépendances de toute nature non affectées à un usage exclusivement professionnnel) ». Voilà ce que l’Office togolais des recettes se prépare à servir comme plat de résistance aux citoyens togolais. Mais irait-on jusqu’à réquisitionner les habitants de cette zone également quand on sait que le milieu manque de tout ? Soit dit en passant, il n’existe pas de service de la voirie, public ou privé, la zone étant difficile d’accès et les voies n’y encourageant point.

Agoè Djikamé, Fidokpui et Zoulkpota sont des zones sinistrées invisibles aux regards. Mais ce sont aussi des citoyens togolais à part entière qui y vivent. Combien de temps encore l’Etat togolais fermera-t-il les yeux sur les affres de ces populations ? Si la route du développement passe par le développement de la route, l’assainissement est prévention des maladies, l’électricité éloigne l’obscurité et participe à l’apprentissage des élèves. Et l’eau potable est source de vie.

Nous nous sommes rendus à la Division des services tchniques pour comprendre cette situation. Mais malheureusement, il nous a été répondu que cette partie de la ville ne relève pas du ressort territorial de ce service. Ce serait plutôt à la préfecture d’Agoè de nous répondre. Mais en attendant un tour chez le Préfet et le futur maire, bien malin qui dira que cette nouvelle préfecture dispose de services techniques pouvant faire face aux constats. Bon à suivre.

Reportage réalisé par Godson K. avec Salifou Nihad (stagiaire)

Source : Liberté